Une ressource convoitée, le homard, provoque de vives tensions entre pêcheurs autochtones et non autochtones en Nouvelle-Écosse. L’affrontement a grimpé d’un cran jeudi, alors que des pêcheurs commerciaux ont mis le feu à deux locaux où la communauté micmaque entrepose ses prises. Gros plan.

Que se passe-t-il ?

Le 17 septembre dernier, des pêcheurs autochtones ont lancé leur saison de pêche au homard dans la baie Sainte-Marie, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse. Depuis, les affrontements se multiplient tout comme les actes de vandalisme. Les pêcheurs commerciaux sont en colère puisque leur saison de pêche réglementaire ne commence qu’en novembre.

Pourquoi les autochtones ont-ils le droit de pêcher avant les autres ?

Les pêcheurs des nations micmaque et malécite possèdent des droits ancestraux qui ont été confirmés par une décision de la Cour suprême en 1999. Le jugement Marshall a reconnu le droit aux autochtones de pratiquer une pêche de subsistance, mais dans le respect de la réglementation fédérale. Cependant, la Cour n’a jamais défini les limites d’une « pêche de subsistance », ce qui constitue encore aujourd’hui l’une des sources de conflits avec les pêcheurs non autochtones.

PHOTO ANDREW VAUGHAN, LA PRESSE CANADIENNE

La saison de la pêche au homard s’est ouverte le 17 septembre pour les pêcheurs autochtones de la baie Sainte-Marie.

Pourquoi les pêcheurs commerciaux sont-ils en colère ?

Bon an, mal an, des tensions subsistent entre les deux communautés, particulièrement en Nouvelle-Écosse, où la pêche au homard occupe une place importante. « Mais la violence est plus élevée cette année. Ça faisait longtemps qu’on avait vu de tels affrontements », affirme Megan Bailey, professeure à l’Université Dalhousie, en entrevue avec La Presse. Les pêcheurs commerciaux se disent inquiets d’une réduction importante des prises depuis 2016. Selon eux, les pêches autochtones constitueraient une menace pour l’avenir de la ressource, qu’il faut protéger. Mais les origines de cette colère sont plus complexes, avance Mme Bailey. « On y retrouve du racisme, de la peur et un manque cruel d’information. »

Que réclament les pêcheurs commerciaux ?

Les pêcheurs réclament que les autochtones respectent les mêmes règles qu’eux, c’est-à-dire qu’ils pêchent au moment prévu par la réglementation fédérale. Ils invoquent aussi le fait qu’eux doivent payer leurs permis de pêche et qu’ils sont soumis à des quotas. Bref, ils accusent les pêcheurs autochtones de pratiquer une pêche commerciale et non de subsistance.

Le homard est-il en danger ?

« Ce n’est pas un enjeu biologique ou environnemental, c’est un enjeu politique », affirme Megan Bailey, qui est aussi chercheuse à la Chaire de gouvernance intégrée des océans et des côtes. Elle estime que ce ne sont pas les prises « autochtones » qui affectent les stocks de homards. Des questions subsistent néanmoins sur l’état de la ressource. Les Micmacs ont d’ailleurs proposé de mener conjointement avec le fédéral une étude pour vérifier si les stocks actuels nécessitent de nouvelles restrictions.

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Au Canada, 60 % des captures de homards sont réalisées en Nouvelle-Écosse.

Qui pêche quoi ?

Dans la baie Sainte-Marie, les autochtones disposeraient d’environ 550 paniers pour capturer les homards, tandis que les pêcheurs commerciaux utiliseraient jusqu’à 36 000 paniers. Rappelons que 60 % des captures canadiennes de homards, qui totalisent en moyenne 500 millions de dollars par année, sont réalisées en Nouvelle-Écosse.

Que veulent les Micmacs ?

Ils invoquent évidemment le jugement de la Cour suprême, mais depuis quelques années, les autochtones plaident aussi pour un meilleur partage de la ressource afin de permettre à leurs pêcheurs de vivre « décemment ».

Qui a raison ?

Selon la professeure Megan Bailey, la question est plutôt de savoir qui peut régler le problème. « La faute incombe d’abord au gouvernement fédéral. Ils travaillent fort en coulisses, mais ils ne font pas grand-chose. Il y a aussi un manque évident de communication et de transparence. » Les gens sont aussi en colère contre la GRC, qui observe des gestes illégaux, mais n’agit pas. Une situation qui inquiète des députés néo-écossais qui ont écrit à la ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière le 16 septembre dernier afin qu’elle intervienne pour désamorcer la crise.

Et au Québec ?

L’an dernier, des pêcheurs de Listuguj, en Gaspésie, ont défié le gouvernement fédéral en prenant la mer en septembre afin de capturer des homards pour les revendre, plutôt que de seulement les distribuer dans leur communauté. Les Micmacs plaidaient être dans leur droit en raison du jugement Marshall, alors que Pêches et Océans Canada a plutôt qualifié ces activités de « pêche commerciale non autorisée ».