Une mère de famille de Saint-Hubert revenue d’un grand voyage à travers les États-Unis l’an dernier est soupçonnée d’avoir envoyé récemment des lettres empoisonnées au président Donald Trump et à des policiers américains. Lundi, au lendemain de son arrestation, la GRC et l’armée canadienne ont bouclé sa résidence, à la recherche de traces de ricine, un poison mortel.

La petite troupe est arrivée devant l’immeuble de condos vers 10 h lundi matin. Des dizaines de policiers, de pompiers, d’ambulanciers et de militaires se sont rassemblés devant l’édifice du boulevard Vauquelin, près de l’aéroport de Saint-Hubert.

Une partie des occupants a dû être évacuée, alors que d’autres résidants étaient confinés temporairement à l’intérieur de leur logement. Deux hommes en combinaison de protection contre les matières dangereuses (« hazmat ») et d’autres en tenue militaire sont montés jusqu’au quatrième étage et ont investi l’appartement de Pascale Ferrier.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Deux hommes en combinaison de protection contre les matières dangereuses (« hazmat ») et d’autres en tenue militaire sont montés jusqu’au quatrième étage et ont investi l’appartement de Pascale Ferrier.

La locataire de 53 ans n’était pas là. Ciblée par une enquête du FBI, elle avait été arrêtée dimanche en tentant de pénétrer aux États-Unis par la route, à la hauteur du pont qui relie Buffalo à l’Ontario, près des chutes du Niagara. Selon la chaîne CNN, elle avait une arme à feu en sa possession.

L’identité de la suspecte, d’abord dévoilée par CBC, a été confirmée à La Presse par une source gouvernementale lundi.

Le département de la Justice des États-Unis, de son côté, a simplement confirmé qu’une personne comparaîtra en cour ce mardi dans cette affaire.

Pascale Ferrier est soupçonnée d’avoir envoyé au président américain une lettre contenant de la ricine. La lettre, envoyée de la région de Montréal, a été interceptée par les services de filtrage du courrier de la Maison-Blanche.

Pas de troubles apparents

« Je suis sous le choc. Je lui ai parlé samedi matin, 15-20 minutes, et elle ne semblait vraiment pas avoir de troubles psychologiques. Ni samedi ni jamais, en fait. C’est une personne qui parlait énormément, mais elle parlait de sa famille, de sa nouvelle petite-fille, de son quotidien », a raconté Luc Gagnon, propriétaire du marché Ami dans le secteur Le Moyne, à Longueuil, où la suspecte a travaillé plusieurs mois.

M. Gagnon décrit Pascale Ferrier comme une employée « très exemplaire, fiable et dévouée ». Jamais elle n’a tenu de propos politiques, indécents ou décousus sur son lieu de travail, a-t-il dit.

Mme Ferrier a travaillé au marché Ami d’août 2019 à février dernier et continuait de fréquenter l’endroit sur une base régulière pour ses emplettes. À l’épicerie de quartier de la rue Saint-Pierre, lundi soir, on s’étonnait des évènements impliquant cette cliente et ex-employée.

« Elle était ici vendredi. Elle ne travaillait plus ici, mais elle était venue donner un coup de main », a témoigné l’employée sur place, qui la connaissait plutôt comme cliente.

C’est quand même traumatisant. Je réalise que tu ne connais jamais une personne, même si tu la côtoies presque quotidiennement… Je la voyais chaque semaine. Elle avait une belle joie de vivre. C’est vraiment un choc.

Luc Gagnon

Selon M. Gagnon, Mme Ferrier avait occupé un emploi à son commerce en attendant un poste chez Pratt & Whitney, où elle disait travailler depuis l’hiver dernier. C’est aussi ce qui est indiqué sur sa page Facebook. Or, il n’a pas été possible de confirmer cette information auprès de l’entreprise lundi.

Précautions extrêmes

Les enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui agissent en assistance au FBI dans cette affaire, n’ont pas pris de risque en entrant pour mener une perquisition chez la mère de famille, lundi. « Notre équipe d’intervention en cas d’incident chimique, biologique, radiologique, nucléaire et explosif [CBRNE] mène l’opération. Les policiers et pompiers de Longueuil sont également en assistance. On prend toutes les précautions nécessaires pour assurer la sécurité de la population, mais aussi des policiers », a précisé le caporal Charles Poirier, porte-parole de la GRC.

La dangerosité de la substance en cause a aussi poussé la police fédérale à demander l’aide d’une équipe des Forces armées canadiennes, formée à affronter les attaques chimiques et bactériologiques en temps de guerre, selon ce qu’a confirmé un porte-parole du ministère de la Défense.

Emprisonnée au Texas

En 2018, Pascale Ferrier avait publié de nombreux messages sur les réseaux sociaux qui expliquaient son désir de quitter son logement de l’époque, à Laval, pour vivre en « nomade ». Elle avait acheté un véhicule récréatif et avait traversé les États-Unis seule jusqu’au Texas, où elle disait avoir de la famille. C’était un rêve devenu réalité pour elle.

Des dossiers de cour consultés par La Presse montrent toutefois que son rêve a viré au cauchemar dans la petite localité texane de Mission, sur la frontière mexicaine, où elle devait passer quelques mois dans un camping.

La Franco-Québécoise a été arrêtée par la police de Mission le 12 mars 2019, pour possession illégale d’une arme et utilisation d’un permis de conduire falsifié. Elle a été jetée en prison.

Le 18 mai, considérant qu’il s’agissait d’une première offense et qu’elle avait déjà passé assez de temps en détention, les autorités américaines l’ont libérée et elle a pu revenir au Canada avec son véhicule récréatif.

Lundi, plusieurs médias texans ont rapporté que des services de police du Texas avaient justement reçu eux aussi des lettres suspectes récemment. Selon CNN, le FBI croit qu’elles ont la même provenance que la lettre envoyée à Donald Trump.

« Je peux confirmer que des enveloppes, contenant la toxine mortelle ricine, ont été postées à moi et trois de mes employés de la détention. […] Aucune blessure n’a été subie », a déclaré sur Twitter le shérif Eddie Guerra, qui gère la prison où Pascale Ferrier a été détenue l’an dernier.

« Insensé et impardonnable »

D’origine française, Pascale Ferrier a obtenu sa citoyenneté canadienne en 2015. Elle a notamment travaillé comme développeuse de sites web pour de petites entreprises québécoises.

Le 21 octobre 2019, le jour des élections fédérales canadiennes, elle a publié un rare commentaire politique : « Allez voter si vous voulez que ça change, sinon subissez… Et arrêtez de vous plaindre ! »

Puis, le 9 septembre dernier, un compte Twitter associé à son nom et à son année de naissance a publié soudainement un message au ton radicalement différent. « Personne n’a rien fait. Il est temps de changer ! », lisait-on, à côté du mot-clic « #KillTrump » (tuer Trump).

Lundi soir, sur Facebook, la fille de Mme Ferrier a répondu aux nombreux messages haineux publiés sur le compte de sa mère par un appel au respect, même si « ce qu’elle a fait est insensé et impardonnable ».

« Je suis complètement bouleversée et choquée. C’est très dur à digérer que ce soit ma mère qui a peut-être fait ça. Sa famille et ses amis sont en état de choc, on va très mal. Donc, s’il vous plaît, arrêtez de commenter des insultes », a-t-elle imploré.

« Les insultes ne la blessent pas elle, comme vous le savez, elle est en prison. Les insultes blessent ma grand-mère, mon frère, sa famille, ses amis et moi… », a-t-elle conclu dans le message qu’elle a ensuite supprimé.

Un poison extrait d’une plante courante

D’où venait la ricine trouvée dans l’enveloppe envoyée à la Maison-Blanche ? La substance est fabriquée à partir des graines d’un arbrisseau très courant, le ricin commun, mais il faut quand même s’y connaître pour concocter le poison, souligne un expert.

« On rapporte que le ricin est un poison remarquablement puissant. C’est vrai, mais à l’état pur. Dans la graine du plant de ricin, il y a de la ricine, en quantité variable. Mais pour ce qui est d’extraire la ricine de façon concentrée, c’est une autre histoire », souligne le Dr Alexandre Larocque, consultant en toxicologie pour le Centre antipoison du Québec.

« Chaque année, nous avons des appels pour des gens qui ont mangé les graines de façon accidentelle. Dans la grande majorité de ces cas, il n’y a aucun symptôme », dit le médecin.

Le concentré de ricine, par contre, peut être très dangereux. « Ça vient entraver beaucoup de voies métaboliques. Ça peut ressembler initialement aux symptômes d’une gastroentérite, mais ça peut atteindre plusieurs organes ensuite », dit-il.

La chimiste Danielle Stodilka, qui a travaillé avec le Bureau de réduction des risques de catastrophes des Nations unies, croit de son côté que le Canada doit réfléchir à un meilleur contrôle de ce genre de substances.

« Il faut qu’il y ait un système de contrôle amélioré et plus complet pour les produits chimiques toxiques et leurs précurseurs. Comme les graines de ricin sont facilement accessibles pour les consommateurs, les questions reliées à leur régulation doivent être soulevées au niveau étatique, alors même que les enquêtes reliées à cet incident se poursuivent. »

Des causes célèbres impliquant la ricine

1978 : le dissident bulgare Georgi Markov se fait piquer à la jambe à l’aide d’un parapluie modifié, alors qu’il se promène à Londres. On lui injecte ainsi une dose de ricine. Il meurt quatre jours plus tard.

1981 : un ancien agent double de la CIA est victime d’un attentat alors qu’il fait ses courses en Virginie. On lui tire dessus avec un fusil à air comprimé qui projette une capsule de ricine, mais il survit.

2009 : la police britannique saisit une petite quantité de ricine dans le cadre d’une enquête sur des sympathisants d’extrême droite. Un homme est condamné à 10 ans de prison pour une série d’infractions terroristes.

2013 : l’actrice américaine Shannon Richardson avoue avoir envoyé trois lettres contenant de la ricine, dont une au président Barack Obama. Elle écope de 18 ans de prison.

2015 : un homme de Liverpool est piégé par la police alors qu’il tente d’acheter de la ricine sur le Dark Web. Il avoue avoir été influencé par l’importance de ce poison dans l’intrigue de la série Breaking Bad. Il écope de huit ans de prison.