Selon une célèbre formule, « gouverner, c’est prévoir ». Et pourtant, la COVID-19 démontre que c’est parfois le contraire. Gouverner, c’est aussi gérer l’imprévu.

L’année 2020 le prouve. Qui avait prévu que le gouvernement Trudeau passerait son hiver empêtré dans les blocages ferroviaires à cause d’un gazoduc critiqué en Colombie-Britannique par une partie des Wet’suwet’en ? Et qui aurait cru que le reste de son mandat serait perturbé par une pandémie mondiale ?

Il y a un an, Justin Trudeau promettait de ne pas hausser le ratio de la dette par rapport au PIB. Aujourd’hui, même les conservateurs fiscaux acceptent – à un degré moindre que les libéraux – d’alourdir la dette.

Plusieurs autres promesses de la dernière campagne électorale fédérale sont devenues tout aussi désuètes. Elles étaient écrites pour un monde qui n’existe plus.

Pour savoir comment réagir à l’imprévu, M. Trudeau et les autres chefs de gouvernement ne peuvent pas se tourner vers leur programme électoral. Ils doivent miser sur leur instinct, leur expérience et leur entourage.

Quand François Legault a été le premier au pays à confiner sa province, le 13 mars dernier, il ne pouvait s’en remettre à un quelconque « Petit guide universel de gestion de pandémie »… Ni quand il a été le premier, six semaines plus tard, à entamer un déconfinement graduel.

Fallait-il risquer des faillites, des dépressions, de la violence conjugale et des retards d’apprentissage pour sauver des vies ? Dans l’entourage de M. Legault, certains experts lui disaient d’aller plus vite ; d’autres, de prendre son temps. Il a dû trancher.

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Le premier ministre François Legault

Face à des données incomplètes et des hypothèses invérifiables, il a opté pour ce qui lui semblait être la moins mauvaise des options. Dans ce brouillard, il naviguait à vue. Devant lui, que des écueils. Peu importe où il allait, il y aurait des victimes. Des morts qu’il devrait par la suite annoncer lui-même dans ce qui est devenu l’habituel préambule morbide de ses conférences de presse « sur la situation au Québec quant à la COVID-19 ».

Le premier ministre porte encore la responsabilité de ses choix.

Comme il le résumait la semaine dernière à La Presse, M. Legault en retient cette leçon sur son travail : « On se sent seul. »

Car gouverner, c’est aussi se compromettre.

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La pandémie heurte aussi une conception naïve et technocrate de la politique dont Justin Trudeau s’est fait le champion.

En 2015, le chef libéral avait gagné l’élection en répétant quelques milliers de fois la même phrase : « J’ai un plan ! » L’automne dernier, il demandait un deuxième mandat aux Canadiens pour compléter la mise en œuvre de ce plan.

Durant son premier mandat, le bureau de M. Trudeau a créé une unité de « deliverology », méthode empruntée au premier ministre anglais Tony Blair. Le concept : établir des priorités, les traduire en cibles puis obtenir des données précises pour en vérifier l’atteinte. Comme si la politique était une science.

IMAGE TIRÉE DU SITE WEB DU GOUVERNEMENT DU CANADA

Sir Michael Barber

Sir Michael Barber, gourou de M. Blair, avait même été invité en 2016 à offrir une formation aux ministres fédéraux. On n’en entend plus beaucoup parler.

Certes, il n’y a rien de mal à respecter ses engagements… C’est juste que la gouvernance ne se résume pas à l’application d’un programme.

M. Trudeau n’est pas seul. Même c’est souvent ainsi qu’on idéalise les campagnes électorales : les partis présentent une plateforme puis les électeurs choisissent la meilleure selon leurs valeurs et leurs intérêts.

Les adeptes de cette vision déplorent que les campagnes négligent les enjeux pour se réduire à des concours de popularité. C’est vrai qu’une quantité impressionnante de temps se perd à chasser les squelettes et à poser des pelures de bananes. Reste que les campagnes servent aussi à tester le caractère des chefs. À voir comment ils réagissent sous pression. Les électeurs ne connaissent peut-être pas très bien les programmes, mais ils se fient à leur pif pour choisir qui les représenterait le mieux. Et, aussi, qui serait le ou la meilleure pour réagir aux inévitables crises.

Pour s’en convaincre, imaginons une pandémie sous Philippe Couillard et Stephen Harper. Comment auraient-ils réagi aux conseils de la Santé publique et au blocage de la bureaucratie ? Auraient-ils été plus proactifs en matière de dépistage ? Plus sévères envers les insouciants ?

J’ignore s’ils auraient mieux géré la crise. Mais chose certaine, avec leur personnalité, ce n’aurait pas été la même chose.

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Bien sûr, la pandémie n’était pas aussi imprévisible qu’on le prétend.

Comme le répétaient des épidémiologistes depuis plusieurs années, une pandémie, ça arrive… Le message de l’Organisation mondiale de la santé en 2018 : préparez-vous, car même si on ignore où et quand frappera la prochaine pandémie, il y en aura inévitablement une. D’où l’importance de stocker de l’équipement de protection et de prévoir des protocoles de santé publique.

Et même sans pandémie, il est toujours préférable que le réseau de la santé fonctionne avec suffisamment de préposés aux bénéficiaires et d’infirmières, et sans un organigramme dysfonctionnel.

La COVID-19 a révélé la fragilité du système de santé, des chaînes d’approvisionnement et du filet social. Mais elle a aussi été un grand révélateur de la personnalité des chefs. Le facteur humain compte, et c’est aussi pour cela que les gens votent.