(Ottawa) C’est la fin pour WE Charity au Canada. L’organisme, qui s’est retrouvé au cœur d’un scandale qui l’a embarrassé autant que le gouvernement Trudeau, cessera ses activités au pays. Il jette le blâme sur la « désinformation » découlant de cette saga politique ainsi que sur les impacts négatifs de la pandémie de COVID-19.

« C’est avec un profond regret que Mouvement UNIS [WE Charity] et son conseil d’administration annoncent qu’ils mettent fin aux activités de l’organisme au Canada », a-t-on déclaré mercredi dans un rare communiqué transmis en français.

L’organisation cofondée par les frères Marc et Craig Kielburger cible deux facteurs susceptibles d’expliquer sa déroute : la pandémie, qui « a considérablement perturbé les programmes d’aide », et « la controverse » politique qui « a placé l’organisme au centre de joutes politiques et d’une désinformation contre lesquelles il est mal outillé pour lutter ».

On a par ailleurs l’intention de liquider prochainement les actifs immobiliers au Canada afin de permettre aux autres succursales mondiales de WE Charity de poursuivre leurs activités. « Tous les bénéfices nets tirés de la vente de ces immeubles » serviront à garnir un fonds de dotation destiné à financer, entre autres, des projets en cours dans les villages UNIS en Amérique latine, en Asie et en Afrique.

Quant aux frangins Kielburger, ils vont « quitter définitivement l’organisation », une fois que les livres auront été fermés au Canada, et ce, « à la demande du conseil d’administration ». Les décisions annoncées mercredi « nous attristent », a regretté Marc dans un communiqué, déplorant que cela survienne alors que l’année 2020 marquait le 25e anniversaire de WE au pays.

Au Canada, WE Charity n’aura plus de personnel. L’organisme met également fin aux Journée UNIS, ces évènements auxquels ont notamment participé la mère et le frère de Justin Trudeau, Margaret et Alexandre (Sacha), et pour lesquels ils ont été rémunérés des centaines de milliers de dollars.

L’organisation avait obtenu un contrat de gestion d’un programme de bourses de bénévolat étudiant dont la facture aurait pu s’élever à 912 millions de dollars, mais s’en était retirée en raison de la controverse qui a éclaté au sujet de sa proximité avec les familles de Justin Trudeau et de son ancien ministre Bill Morneau.

L’affaire a coûté à l’ancien grand argentier son poste, après qu’il a révélé devant le comité des finances qu’il avait omis de payer 41 366 $ pour des voyages familiaux au Kenya et en Équateur avec WE Charity. Et à la table du même comité, les frères Kielburger ont plaidé que la saga avait coûté cher à leur bébé.

Cinq millions de dollars, ont-ils affirmé. Et ces derniers jours, l’organisation a remboursé au gouvernement fédéral la somme forfaitaire de 30 millions de dollars qui lui avait été consentie pour coordonner le programme avorté.

« Le scandale est toujours présent »

Trois comités parlementaires avaient entamé des études sur cette affaire. Elles ont été interrompues quand le premier ministre a annoncé la prorogation du Parlement. Les libéraux avaient donc eu droit à une accalmie, mais avec ce rebondissement, l’affaire revient sous les projecteurs.

Au bureau de Justin Trudeau, on n’a pas voulu offrir de commentaire, mercredi.

Mais les partis de l’opposition, eux, ne se sont pas fait prier pour réagir.

« UNIS doit immédiatement fournir les documents que le Comité des finances a demandés concernant son implication dans le scandale de 900 millions $ de Justin Trudeau », a écrit sur Twitter le chef de l’opposition Erin O’Toole.

Le député bloquiste Rhéal Fortin a pour sa part argué que « WE Charity a peut-être quitté le Canada, mais le scandale est toujours présent », se demandant ce que le premier ministre voulait « taire ou cacher » alors que WE Charity « fuit le territoire canadien ».

Au Nouveau Parti démocratique, l’élu Charlie Angus a plaidé que la nouvelle « montre à quel point WE Charity était dans le pétrin » et que « la question est de savoir pourquoi le gouvernement n’a pas vu cela avant de leur remettre un contrat de plusieurs millions ».

La structure financière de l’organisation s’était retrouvée sous la loupe des médias et des parlementaires.

Au Comité permanent des finances, fin juillet, la présidente démissionnaire de son conseil d’administration, Michelle Douglas, a témoigné s’être fait montrer la porte après avoir posé des questions trop insistantes sur les états financiers de WE Charity.

Des leçons à tirer

La disparition de la section canadienne de l’organisation ne laissera pas un grand vide sur l’échiquier de l’aide au développement international, estime le directeur de l’Institut d’études internationales de Montréal, François Audet.

« Ici, dans le milieu de la coopération internationale canadienne, disons que ce n’était pas un partenaire qui faisait partie de la communauté des ONG [organismes non gouvernementaux]. Ils en menaient très large », a-t-il dit en entrevue avec La Presse, faisant référence aux entrées que WE avait avec le gouvernement.

« Par contre, il faut qu’on en tire des leçons, tant pour le milieu [humanitaire] que pour le milieu politique. Il ne faut pas tomber trop facilement dans le piège du vedettariat et du glamour », a-t-il ajouté.