Non, le revenu familial d’un élève n’est pas un facteur déterminant de sa réussite au cégep. Ni le fait qu’il vienne d’une école secondaire défavorisée. Ni qu’il soit issu de l’immigration, au contraire.

La diplomation beaucoup trop faible au cégep s’explique par bien d’autres facteurs, révèle une nouvelle étude. Quatre chercheurs ont épluché les dossiers de 86 000 élèves du Québec pour trouver des réponses musclées au taux de diplomation de seulement 40 % dans les délais prévus (ou de 70 % en ajoutant deux ans aux délais prévus).

Les raisons des retards sont parfois conformes aux attentes, par exemple les faibles résultats obtenus au secondaire. Elles peuvent aussi être surprenantes, comme l’entrée au cégep à un âge tardif, le fait d’étudier dans un cégep mal organisé ou même l’admission dans un cégep francophone plutôt qu’anglophone.

Avant de poursuivre, il faut comprendre la force méthodologique de l’étude dirigée par Richard Guay, ex-directeur des études au Collège Jean-de-Brébeuf, maintenant à la retraite. La préface de l’étude de 280 pages est signée par l’économiste Pierre Fortin, un défenseur des cégeps.

En utilisant des outils mathématiques puissants, les chercheurs ont réussi à isoler l’impact de chaque facteur sur la diplomation, indépendamment des autres. Par exemple, leur modèle statistique de régression permet de mesurer l’incidence directe du revenu familial sur la réussite sans égard au genre de l’élève, à ses résultats précédents ou à son âge. Et ainsi de suite pour chacune des variables.

Selon l’étude, la moyenne obtenue par un élève aux cinq examens du ministère de l’Éducation du secondaire est un prédicteur puissant de la diplomation au cégep. Ainsi, pour un cégépien qui a eu une moyenne de 85 % aux examens ministériels du secondaire, le taux de diplomation dans les délais prévus au cégep passe de 40 % à 67 %.

À l’inverse, ce taux de diplomation tombe à environ 13 % pour les élèves qui ont obtenu une moyenne de 70 % à ces mêmes cinq examens. L’écart est majeur, bien qu’il diminue si l’on ajoute deux ans aux délais normalement prévus (voir le tableau plus bas).

Parmi les autres facteurs prédictifs figurent l’âge d’entrée tardif au cégep et le fait d’être de sexe masculin. Ainsi, le fait d’être un garçon fait chuter le taux de diplomation dans les délais de 28 %, indépendamment des autres facteurs comme les résultats au secondaire (le facteur masculin fait passer le taux de diplomation de 40 % à 29 %). La diplomation est aussi dégonflée de 25 % pour les élèves – garçons ou filles – qui entrent au cégep à un âge tardif (19 ans et plus).

« Oui, les jeunes changent de parcours et c’est normal. Mais on entend trop souvent cet argument, alors qu’il y a bien d’autres facteurs très importants, que nous relevons dans notre étude », dit le chercheur Richard Guay.

Influence des bons cégeps

Outre les facteurs individuels, le type d’établissements et son organisation ont-ils un impact sur la réussite ? Assurément, répondent les chercheurs.

Par exemple, sur les 48 cégeps, il ressort que les collèges anglophones parviennent à hausser de 29 % la diplomation dans les délais prévus d’un élève qui a les mêmes caractéristiques, par ailleurs, qu’un élève d’un cégep francophone.

Dit autrement, pour deux cégépiens en tout point semblables, celui qui fréquente le réseau anglophone a un taux de diplomation dans les délais de 51 %, contre la moyenne de 40 % pour l’ensemble du réseau.

Ce grand écart est toutefois dégonflé quand on scrute les exigences des cours, qu’ils soient techniques ou pour la formation préuniversitaire. « La moitié des écarts de diplomation plus élevés dans les cégeps anglophones s’explique par les difficultés moindres des cours », dit Richard Guay.

L’autre moitié des écarts qui avantage les cégeps anglophones n’est pas expliquée. Est-ce que la migration d’élèves francophones dynamiques du secondaire vers le réseau collégial anglophone joue un rôle ?

La recherche permet de constater, par ailleurs, que l’organisation des cégeps (enseignement, pédagogie, structure, etc.) a un impact marquant sur la réussite. Un même élève aux mêmes caractéristiques qui fréquenterait le pire cégep verrait son taux de diplomation dans les délais diminuer de 53 %, tandis qu’il augmenterait de 70 % dans le meilleur cégep.

Les données fournies par le ministère de l’Éducation sont anonymisées et les chercheurs ne savent donc pas lesquels se classent dans le haut et le bas de la fourchette. Seule constatation : les cégeps publics se trouvent autant dans le haut que dans le bas de la fourchette, tandis que les privés sont surtout dans le milieu et dans le haut de la fourchette. Le meilleur cégep est privé, et de loin.

Globalement, les chercheurs ont aussi découvert que le fait d’étudier dans un collège privé – général ou technique – augmente la diplomation dans les délais de 55 %. La plus petite taille des cégeps privés explique environ le quart de cette différence, explique Richard Guay. Les collèges privés techniques sont aussi un peu moins exigeants que ceux du public.

L’étude ne mesure pas l’effet sur la motivation que pourraient avoir les droits d’admission élevés des cégeps privés (6000 $ par an) ou, autrement dit, l’impact des frais sur la rapidité de la diplomation.

Quoi qu’il en soit, en combinant les divers facteurs, le taux de diplomation varie en conséquence. Par exemple, être une fille avec une forte moyenne au secondaire dans un excellent cégep fait bondir la réussite.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Un effet des forts sur les faibles ?

Autre résultat intéressant, qui alimentera les débats houleux : la mixité dans les groupes a un certain effet positif sur la diplomation, mais très modeste.

Plus précisément, l’effet de la mixité socioéconomique est nul, celui de la mixité ethnique est faible – il est fort aux États-Unis – et l’effet de la mixité de la force scolaire est très modeste.

Selon les constats de Richard Guay, plus un groupe est composé d’élèves forts, plus il y a un effet favorable, mais modeste, sur la diplomation des élèves. Et dans ce cas, « ce sont les étudiants les plus forts qui bénéficient des effets d’un groupe fort, tandis qu’il n’y a pas d’effets sur les étudiants très faibles ».

En revanche, une grande disparité entre les faibles et les forts dans un même groupe a un effet négatif, quoiqu’encore modeste, sur la réussite de l’ensemble, selon l’étude.

Les chercheurs estiment que leur étude permettra de mieux déceler les élèves qui risquent de décrocher au cégep, de mieux les appuyer et ainsi d’augmenter le faible taux de diplomation au cégep.

L’étude a été financée par l’Association des collèges privés du Québec à partir de fonds venant du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. Outre Richard Guay, formé en économie, les trois autres chercheurs sont Pierre Michaud (enseignant en philosophie au Collège Laflèche), François Paquet (enseignant en psychologie à Brébeuf) et Sophie Poirier (conseillère pédagogique à Brébeuf).

Aidez-nous, Ministère !

L’étude a été réalisée après des démarches herculéennes pour avoir accès aux données du ministère de l’Éducation, qui ont exigé trois ans de patience.

À ce sujet, Pierre Fortin fait remarquer que « l’avenir de nos connaissances repose sur une étroite collaboration entre les chercheurs et le ministère. Ce dernier dispose de données anonymisées d’une richesse inouïe sur les dossiers individuels d’étudiants de tous les niveaux scolaires.

« Si on facilite l’accès des chercheurs à ces données tout en assurant intégralement la protection des renseignements personnels, comme c’est le cas dans plusieurs provinces, alors le progrès scientifique en matière d’éducation sera assuré pour l’avenir et de meilleures politiques dans ce domaine crucialement important auront de meilleures chances de fleurir au Québec », écrit l’économiste dans la préface.

Alors, on retrousse ses manches pour améliorer la diplomation ?

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