(Québec) L’industrie du plastique veut profiter du contexte sanitaire pour convaincre le gouvernement Legault de s’opposer à l’interdiction du plastique à usage unique, mesure qu’Ottawa prévoit adopter.

L’industrie du plastique martèle depuis le début de la pandémie que ses produits à usage unique seraient plus sécuritaires à utiliser que leurs contreparties réutilisables, comme les sacs à l’épicerie. Cette affirmation est toutefois contestée par des écologistes et des scientifiques.

Anthony Koch, qui faisait partie de l’équipe québécoise du nouveau chef conservateur Erin O’Toole, s’est récemment inscrit au Registre des lobbyistes du Québec. Il représente le Foodservice Packaging Institute, un organisme qui regroupe plusieurs producteurs et distributeurs nord-américains d’emballages à usage unique.

Le lobbyiste veut que Québec « se prononce contre l’interdiction pour faire en sorte qu’elle ne soit pas mise en place », et cela « à cause de raisons sanitaires et économiques », peut-on lire dans l’inscription.

M. Koch n’a pas voulu nous accorder d’entrevue. Il nous a plutôt renvoyé à Marc Robitaille, porte-parole de la Canada Coalition, un organisme de pression qui relève du Foodservice Packaging Institute.

« La pandémie de COVID-19 illustre le rôle hygiénique du plastique », a écrit M. Robitaille dans un courriel.

Le gouvernement, le secteur industriel et les consommateurs remettent maintenant en question l’interdiction de ces plastiques qui ont été essentiels à la protection de la santé et du bien-être des Canadiens pendant la pandémie.

Extrait d’un courriel de Marc Robitaille, porte-parole de la Canada Coalition

Celui-ci ajoute que « la filière du plastique emploie plus de 50 000 personnes au Québec ». « L’interdiction de certains plastiques à usage unique causera du tort à ces familles et aux entreprises qui utilisent ces produits au moment où elles sont particulièrement vulnérables », ajoute-t-il.

Interdiction dès 2021 ?

Cette offensive de l’industrie survient alors qu’Ottawa avait annoncé en juin 2019 son intention de bannir le plastique à usage unique au pays. Parmi les produits dans la ligne de mire du gouvernement fédéral se trouvent les sacs de plastique, les bouteilles d’eau, les couvercles de tasses de café, etc.

Selon une étude gouvernementale, « une proportion de 1 % des déchets plastiques pénètre dans l’environnement, ce qui représentait une pollution plastique de 29 000 tonnes en 2016 ».

Les Canadiens jettent 34 millions de sacs de plastique chaque jour, selon Environnement et changement climatique Canada.

PHOTO MIKE SUDOMA, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jonathan Wilkinson, ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique

Ottawa voulait mettre en place l’interdiction dès 2021. Mais depuis la pandémie, le ministre de l’Environnement, Jonathan Wilkinson, laisse entendre qu’elle pourrait être repoussée.

C’est que plusieurs commerces, comme des cafés ou des épiceries, ont interdit dans les derniers mois l’usage de contenants réutilisables.

« Il y a un marketing qui martèle que l’usage unique, c’est sécuritaire. C’est simplement faux, ce n’est pas plus sécuritaire qu’autre chose », soutient Aurore Courtieux-Boinot, coordonnatrice de La vague, regroupement des cafés et restaurants pour l’environnement.

La pandémie, un prétexte ?

La vague a notamment mis en place La tasse, un concept de gobelet réutilisable et consigné qu’acceptent plusieurs cafés à travers la province. Mais de nombreux établissements ont interdit les contenants réutilisables aux premiers mois de la pandémie.

« Les premiers à avoir fait le pas, c’est Starbucks. Et comme souvent quand un grand joueur prend une décision, les autres suivent », relate Mme Courtieux-Boinot.

L’écologiste craint que la pandémie serve de prétexte à l’abandon d’une interdiction du plastique à usage unique. Selon elle, le contenant jetable n’est pas plus sécuritaire.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Aurore Courtieux-Boinot, coordonnatrice de La vague, regroupement des cafés et restaurants pour l’environnement

Le contenant à usage unique a été beaucoup manipulé, entreposé, transporté, exposé… Tandis que si vous arrivez dans une épicerie en vrac avec votre propre contenant, il n’y a que vous qui y avez touché. Il y a moins de risques de contamination.

Aurore Courtieux-Boinot, coordonnatrice de La vague

Peut-on attraper la COVID-19 en utilisant un contenant contaminé ? La recherche n’est pour l’instant pas très concluante. Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), le virus pourrait survivre jusqu’à 72 heures sur le plastique.

Mais l’organisme ajoute que « la présence du virus sur les surfaces ne signifie pas pour autant qu’il ait conservé son pouvoir infectieux ». Il n’y a par ailleurs pour l’instant aucun cas documenté d’infection à la COVID-19 par contact avec les surfaces contaminées, toujours selon l’INSPQ.

Québec préfère réduire

À Québec, le cabinet du ministre de l’Environnement dit attendre qu’Ottawa précise son plan avant de commenter la nouvelle. Mais il semble clair que le gouvernement Legault se dirige vers une approche de réduction, plutôt que d’interdiction.

PHOTO PATRICK SANÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Benoit Charette, ministre québécois de l’Environnement

« La stratégie plastique du gouvernement se finalise actuellement. C’est une stratégie qui repose sur une réduction et une gestion responsable de ces matières », explique Louis-Julien Dufresne, attaché de presse de Benoit Charette.

« Les différents joueurs de l’industrie seront consultés au courant de l’automne, ajoute-t-il. Nous ferons connaître nos intentions à cet égard par la suite. »