Le premier ministre François Legault s’est donné un « grand chantier » pour la deuxième moitié de son mandat : remplacer « Fait en Chine » par « Fabriqué au Québec » sur les étiquettes d’une série de produits vendus ici.

Dans une entrevue accordée à La Presse lundi, François Legault a mis de l’avant le nationalisme économique pour relancer son mandat et, espère-t-il, l’économie québécoise, durement éprouvée par la pandémie de COVID-19.

Il veut aller plus loin que la promotion de l’achat local et les initiatives comme Le Panier Bleu. Les Québécois « se sont montrés ouverts à acheter » des produits d’ici depuis le début de la pandémie, et il faut profiter de ce mouvement, estime le premier ministre. Son objectif est d’accroître la production locale, d’augmenter le nombre de produits fabriqués au Québec. Il en fait sa « grande priorité » d’ici à la fin du mandat, dans deux ans.

Il gonfle les attentes en osant un parallèle historique. « Je comparerais ça un peu avec ce qu’on a vécu à l’époque avec M. Parizeau et M. Lévesque, ce qu’on avait appelé le Québec inc. [qui visait à] reprendre le contrôle de notre économie. Là, ça va être vraiment : achetons québécois et produisons au Québec », affirme-t-il.

Un État interventionniste

Ce chantier l’occupe ces jours-ci. Après l’entrevue accordée à la Place des Arts, le premier ministre avait une rencontre avec son ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, et Investissement Québec « pour identifier les secteurs dans lesquels on va être très généreux avec les entreprises qui ont des projets pour produire plus au Québec ». On comprend que l’État se fera très interventionniste dans l’économie.

« J’ai fait partie de ceux qui sont allés cogner aux portes de certains présidents de compagnies québécoises en disant : ‟Tu ne penses pas qu’ensemble, on pourrait faire un projet ?” » Investissement Québec, réformé en début de mandat, a « beaucoup de projets » dans « son pipeline » — dans « son oléoduc », traduit-il aussitôt. « Ça va aboutir », promet-il.

Parmi les secteurs concernés par son offensive, il y a l’agroalimentaire. « À peu près 50 % seulement de nos aliments sont fabriqués au Québec », déplore-t-il. Il évoque l’augmentation de la production en serre, stimulée par des tarifs préférentiels d’Hydro-Québec.

Autre secteur visé : le manufacturier. Il faudra fabriquer au Québec « toutes sortes de produits qu’on importe de la Chine, mais aussi de l’Europe et des États-Unis ».

« Si on veut demain matin remplacer par exemple des produits qui sont importés de Chine, […] il y a tout le défi du coût de la main-d’œuvre, du volume pour avoir des prix compétitifs. Mais il y a aussi des retombées fiscales quand on achète un produit québécois : ça permet d’avoir des travailleurs qui envoient des revenus fiscaux au gouvernement du Québec. Il y a une marge où, pendant au moins un certain temps, [le gouvernement] peut aider à ce que le coût, le prix soit compétitif », explique le premier ministre.

Sur le sujet, il n’hésite pas à donner raison… au président américain ! « Je ne suis pas souvent d’accord avec M. Trump, mais ce qu’il a fait avec la Chine, et en général l’Asie, en ramenant certaines usines aux États-Unis… C’est une tendance partout dans le monde », souligne-t-il.

Parlant des États-Unis, il prévient qu’on aurait tort de penser qu’une victoire de Joe Biden à l’élection présidentielle se traduira par une baisse du protectionnisme. Les démocrates « vont peut-être être plus parlables, avec des discours plus raisonnés, par exemple sur l’aluminium et le bois d’œuvre, mais il reste qu’ils vont vouloir garder les emplois le plus possible aux États-Unis ».

Le Québec est forcé d’ajuster ses stratégies devant cette montée du protectionnisme, accentuée par la pandémie. François Legault ne se fait pas d’illusion : augmenter les exportations « va devenir de plus en plus compliqué ».

Si on veut réduire notre déficit commercial, il va falloir réduire certaines importations.

François Legault, premier ministre du Québec

La pandémie a accéléré la transformation du marché du travail « plus que ce qu’[il] avait pensé », en particulier dans le commerce de détail. Son gouvernement devra s’y adapter. « On le savait déjà, et c’est un problème à la Caisse de dépôt avec la quantité qu’ils ont de centres d’achats, il va y avoir de moins en moins d’emplois dans le commerce de détail. Mais il y aura de plus en plus d’emplois dans tout ce qui s’appelle technologies de l’information. Il va falloir prendre des gens qui vont avoir perdu leur emploi, dans certains cas pour toujours, et les requalifier dans tout le domaine, par exemple, des technologies de l’information. »

« Un gars de résultats »

Le premier ministre reconnaît que son gouvernement « a perdu quelques dossiers », comme le Cirque du Soleil. Mais « c’est comme un match de baseball : il faut regarder la moyenne au bâton. On n’aura jamais une moyenne de 1000 », dit-il, rappelant que le PIB a tout même bondi de 2,7 % en 2019, « le double du reste du Canada ».

Et Bombardier ? « Il y a plusieurs manières de voir le dossier », répond-il. Des discussions sont en cours avec Alstom, le géant français qui a acheté la division ferroviaire, pour augmenter le nombre d’emplois au Québec, à l’usine de La Pocatière. « On travaille sur un REM 2 », un prolongement du réseau dans l’est de Montréal, « et le train ne se fera pas en Inde comme les libéraux ont fait, il va être fait au Québec », lance M. Legault. Il ajoute : les traverses de béton du REM fabriquées aux États-Unis, « ça me choque ! ».

Il demandera d’ailleurs aux ministères et aux organismes d’acheter davantage québécois. Il a passé le message à tous les ministres responsables. D’ici à la fin du mandat, « je veux voir des résultats », insiste-t-il.

Il assure que sa stratégie « achetons et fabriquons québécois » n’est pas que des vœux pieux. « Je suis un gars de résultats. Ça veut dire si, aujourd’hui, on a 50 % des aliments qui sont fabriqués ici, moi, je vais vouloir voir ce pourcentage augmenter. Si nos exportations, et on peut les prendre pays par pays, sont à tel niveau aujourd’hui ou avant la pandémie, je vais vouloir voir nos importations être réduites et voir plus de produits fabriqués au Québec », fait-il valoir.

Pour lui, son « grand chantier » est un moyen d’accroître les revenus du gouvernement et de lui permettre de retrouver l’équilibre budgétaire « sans austérité » d’ici cinq ans.

C’est aussi une opération qui le replonge au cœur de sa motivation pour revenir en politique. Il permettra de diminuer l’écart de richesse entre le Québec et ses voisins, sa « grande raison pour fonder la CAQ », rappelle-t-il.