La victime de l’attaque du 13 février parle

Six mois après avoir été sauvagement attaquée à coups de bâton par un inconnu aux abords du métro Beaubien, Josée-Anne Choquette a choisi de raconter son histoire à La Presse pour exprimer son désarroi.

Son agresseur a été arrêté, accusé. Une évaluation psychiatrique a décrété qu’il était en psychose au moment de l’attaque du 13 février. Simon Coupal Gagnon a été déclaré non criminellement responsable.

Josée-Anne Choquette, 34 ans, n’est pas fâchée par ce verdict. Elle sait que Coupal Gagnon est d’abord et avant tout un homme malade. Mais elle est fâchée parce que son agresseur est déjà « libre ».

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Josée-Anne Choquette a été attaquée par Simon Coupal-Gagnon aux abords du métro Beaubien le 13 février dernier.

« Je sais que la prison n’est pas un endroit approprié pour quelqu’un comme lui, parce qu’il n’y recevra pas de soins, me dit-elle, lors d’une entrevue dans son appartement du quartier Rosemont. Mais dans ma tête, il allait passer au moins quelques années en psychiatrie, en garde fermée. Une prison psychiatrique, où ces gens-là sont évalués, traités, avant de pouvoir être libérés. Je dis ça à cause de la gravité de ce qu’il a fait… »

Elle aurait pensé que Coupal Gagnon, six mois après les faits, serait encore enfermé, soigné avec suivis serrés. Ce n’est pas le cas. Elle ne sait pas grand-chose, mais elle sait que son agresseur n’est pas enfermé.

À sa table de cuisine, elle sort des documents du Tribunal administratif du Québec (TAQ), qui chapeaute la Commission d’examen des troubles mentaux, chargée de déterminer ce qui advient des personnes comme Simon Coupal Gagnon, jugées criminellement non responsables.

Au bas d’une page, les mots « Libération sous réserve des modalités suivantes » apparaissent. Sous ces mots, cinq cases, toutes cochées : 

Habiter à un endroit approuvé par les responsables de l’Hôpital.
Se conformer aux recommandations de l’équipe traitante.
S’abstenir de consommer toute drogue.
Garder la paix.
Se soumettre à des tests urinaires de dépistage de drogues lorsque demandé par l’équipe traitante.

Et c’est tout.

C’est tout ce que Josée-Anne Choquette sait, ou presque, de ce qui encadre le retour à la liberté de l’homme qui a essayé de la tuer, il y a six mois.

Elle sait que la Commission était formée des juges administratifs Dominique Audet, Gérard Cournoyer et Jean-Rosemond Dieudonné. Elle sait que le psychiatre traitant est le Dr Biskin, de l’Hôpital juif. Que l’audience qui a statué sur le sort de son agresseur s’est déroulée de 10 h 55 à 12 h 10, le 28 mai dernier…

Sans plus. Personne ne lui dit rien. Elle doit se battre pour des moignons de réponses.

Cette attaque, c’est à moi que c’est arrivé. Mais je suis laissée de côté par le système.

Josée-Anne Choquette

Sur le document de la Commission d’examen des troubles mentaux, Josée-Anne a griffonné des questions.

Après la ligne sur l’endroit où habitera Coupal Gagnon : « Quel quartier ? »

Le sien ? Va-t-elle croiser l’agresseur dans la rue ? À l’épicerie ?

Après la ligne sur les recommandations de l’équipe traitante : « Lesquelles ? »

Après la ligne sur les tests de dépistage de drogues : « À quelle fréquence ? »

Autant de questions sans réponses.

Josée-Anne a aussi souligné le préambule des conditions de libération de son agresseur, préambule qui affirme que l’accusé représente « un risque important pour la sécurité du public ». Elle l’a même souligné en double, avec deux lignes.

Entre ces deux lignes, je devine l’interrogation de Josée-Anne : si Simon Coupal Gagnon représente un risque important, pourquoi n’est-il pas enfermé dans un endroit où il sera soigné ?

Surtout, dit-elle, qu’il avait déjà commis un autre crime, avant l’agression, pour lequel il n’avait pas respecté ses conditions de libération…

« Je pensais qu’à cause de son crime, il serait gardé bien plus longtemps en psychiatrie. Ça me choque. Et ça me choque qu’on ne me dise rien : si l’enquêteur au dossier ne m’avait pas avertie, je n’aurais jamais su qu’il est sorti… »

***

En quittant son appartement, j’ai promis à Josée-Anne que La Presse tenterait d’avoir des réponses à ses questions. Ma collègue Janie Gosselin a fait un bout de chemin, dans son texte.

J’ai pour ma part demandé au psychiatre Gilles Chamberland — qui fait des évaluations psychiatriques d’accusés comme Simon Coupal Gagnon, qui a préparé des rapports pour la Commission d’examen des troubles mentaux — de me traduire en termes simples ce que les documents obtenus du TAQ par Josée-Anne Choquette signifient.

D’abord, le psychiatre a vanté la composition des membres de la Commission affectés à ce dossier : des professionnels, dit-il. Les recommandations du psychiatre ont été suivies, ce qui n’est pas toujours le cas, selon lui.

« Quant au “risque important pour la sécurité du public” de l’accusé, dit Gilles Chamberland, c’est une phrase consacrée, un passage obligé : si la personne n’est pas un risque important, il faut la libérer. Les décisions de la Cour suprême sont claires : si on ne peut pas démontrer un danger sérieux, il faut libérer la personne sans conditions. »

Ensuite, observe-t-il, quant aux conditions de libération qui sont décrites, « la personne doit les suivre », mais c’est aux hôpitaux de les appliquer. C’est un angle mort du système : tous les hôpitaux ne font pas les suivis de la même manière, avec le même zèle, ça dépend des approches et des moyens de chacun.

« Quant à l’endroit “approuvé” où l’accusé doit habiter, poursuit Gilles Chamberland, il y a des endroits comme des centres d’hébergement avec des professionnels bien formés, ça existe. Mais il y a des listes d’attente pour y accéder, et c’est long. »

Simon Coupal Gagnon est-il dans un de ces centres ?

Impossible de le savoir, tranche le psychiatre.

« Pourquoi est-ce impossible de le savoir ?

— Quand la personne qui a commis le crime est dans le système judiciaire, répond le psychiatre Chamberland, il y a moyen d’avoir des informations. Mais quand elle est à la Commission d’examen des troubles mentaux, à peu près tout devient confidentiel : on est davantage dans le domaine du dossier médical. Donc, la victime n’a plus le droit de savoir ce qu’il en est… »

Je note ici que j’ai appris de quelqu’un de l’entourage de Simon Coupal Gagnon le fait suivant : il aurait loué récemment « une chambre » où il recevrait la visite « d’un organisme d’encadrement ».

Une chambre dans quel type de résidence, dans quel quartier ?

Je n’ai pas eu de réponses à mes questions, soumises à cette personne.

Après la décision, la Commission doit publier une décision « motivée », ce qui peut prendre jusqu’à six mois, basée sur les recommandations du psychiatre traitant, ajoute Gilles Chamberland. Josée-Anne Choquette pourra donc (probablement) en apprendre plus sur Simon Coupal Gagnon à la fin de novembre…

Voilà.

C’est l’essentiel des informations que j’ai pu glaner à propos de ce qui attend Simon Coupal Gagnon ces prochains mois.

***

J’ai soumis tout cela à Josée-Anne Choquette en me disant que ce n’est pas grand-chose, mais que c’est mieux que rien…

J’ai de la misère à te dire comment je reçois ça, parce qu’au final… je ne sais à peu près rien de plus. Je reste choquée du manque d’information. Les mots me manquent.

Josée-Anne Choquette

Je souligne ici que Josée-Anne Choquette, tout au long de mes échanges avec elle, ne m’est jamais apparue comme une enragée de la loi et de l’ordre. Ce n’est pas quelqu’un qui veut que son agresseur soit pendu haut et court.

Elle veut deux choses, en fait.

Un, elle veut que Coupal Gagnon soit soigné adéquatement.

Deux, elle veut savoir en quoi consisteront ces soins.

Et dans les deux cas, Josée-Anne Choquette se sent laissée dans le noir, quantité négligeable dans une saga où elle a — petit détail — failli se faire tuer…

Des tribunaux inférieurs jusqu’à la Cour suprême, les juges justifient souvent leurs décisions en invoquant la confiance du public dans le système de justice. C’est un argument qui revient souvent dans les décisions des tribunaux : la confiance du public envers le système.

« Six mois plus tard, Josée-Anne, parle-moi de ta confiance dans le système de justice…

— C’est sûr qu’elle a pas mal baissé. »

Cette chronique était sur la glace parce que Josée-Anne devait obtenir auprès du tribunal la levée de l’interdit de publication sur son identité. La procédure veut que son agresseur peut donner son avis sur cette requête. Simon Coupal-Gagnon n’a cependant pas donné son avis sur la question pour une raison bien simple : son avocat a été incapable de le retracer.

La vidéo de l’agression

« Je n’ai pas braillé en regardant la vidéo. Je suis quand même forte. Je ne veux pas me considérer comme une victime. Et puis, j’ai un bébé, je peux pas m’apitoyer et m’écraser… »

Josée-Anne Choquette a obtenu la vidéo de l’agression qu’elle a subie le 13 février dernier aux mains de Simon Coupal Gagnon, un jeune déséquilibré en proie à une psychose. La caméra de surveillance d’un appartement situé aux abords du métro Beaubien a capté la scène.

C’est épouvantable de violence. On voit Josée-Anne qui marche d’un pas mal assuré sur le trottoir enneigé et glissant. Pendant 10 secondes, elle marche, elle entre dans le cadre de la caméra…

Et à la 11e seconde, un homme surgit sur sa gauche, sorti de nulle part.

Et comme un joueur de baseball visant le circuit, il frappe Josée-Anne à l’aide d’un bâton, en visant la tête.

« Ce qui m’a choquée quand j’ai visionné la vidéo, c’est la puissance du premier coup, raconte Josée-Anne Choquette, 34 ans, qui travaille en publicité. La police m’a dit que ce premier coup aurait pu être fatal. »

Le miracle, c’est que la jeune femme aperçoit l’ombre qui surgit à sa gauche une fraction de seconde avant que Coupal Gagnon s’élance. Elle a le temps d’esquiver.

Mais l’attaque n’est pas terminée : un deuxième coup suit, qu’elle bloque en levant la main. Les deux tombent au sol, Josée-Anne fuit en traversant la rue, mais Coupal Gagnon la suit et continue de la frapper.

Josée-Anne Choquette sort du cadre, poursuivie par son agresseur.

Après le premier visionnement, j’ai eu la nausée. J’ai eu besoin de prendre quelques respirations. Et étant donné que je le savais déjà libéré, ça m’a juste fâchée encore plus…

 Josée-Anne Choquette

En effet, deux mois après l’attaque, Simon Coupal Gagnon — qui a aussi attaqué deux autres femmes de la même manière — était jugé non criminellement responsable. Fin mai, la Commission d’examen des troubles mentaux le libérait sous conditions.

Josée-Anne : « On m’a dit que le psychiatre de l’Hôpital juif qui a traité mon agresseur, celui qui a fait des recommandations à la Commission d’examen des troubles mentaux, n’a pas vu la vidéo. Quand tu la vois, tu as une autre perspective sur les choses. »

Josée-Anne Choquette estime s’être relativement bien remise de l’attaque du 13 février dernier. Elle a encore des maux de tête, elle a encore une certaine peur au ventre.

Elle n’en veut pas à son agresseur. Elle le sait malade, elle sait qu’il était en proie à une psychose au moment des faits. Elle est consternée, cependant, de constater qu’en ce début d’août 2020, six mois après l’attaque du 13 février, Simon Coupal Gagnon n’est pas en établissement psychiatrique, à y recevoir des soins.

Si sa confiance dans le système de justice sort amochée de cette saga, Josée-Anne Choquette n’a que de bons mots pour la police de Montréal, notamment pour le sergent-détective Landry, du poste de quartier 35 : « Je suis très reconnaissante de ça, ils ont été super efficaces, super gentils, eux… Ils ont été là pour moi. »