(Ottawa) Pour la seconde fois en 12 ans, Marc-André Bernier et son équipe d’archéologie sous-marine ne se rendront pas explorer les épaves de l’expédition de John Franklin.

Selon le Franco-Ontarien, l’exploration de l’an dernier a été la plus fructueuse entreprise par son équipe jusqu’à maintenant. Les membres de l’équipe ont pu dégager des cabines et un placard du garde-manger de l’Erebus, un des deux navires de l’expédition. Ils ont rapporté pas moins de 355 objets pour les restaurer et les étudier. Des caméras robotisées ont été utilisées pour sonder l’intérieur de l’autre navire, le HMS Terror, dont l’épave a été retrouvée il y a quatre ans.

Cette année, le chef de l’équipe d’archéologie subaquatique de Parcs Canada voulait profiter des conditions climatiques estivales pour poursuivre le travail.

Mais le tout a été mis… sur la glace. À cause de la COVID-19, l’accès aux épaves du Erebus et du Terror, au large de l’île du Roi-Guillaume, au Nunavut, a été interdit à tous, sauf aux gardiens inuits et aux pêcheurs locaux.

« C’est plutôt décevant », reconnaît M. Bernier.

Une patiente recherche

En 1845, les deux navires avaient quitté l’Angleterre avec 129 hommes à bord. Le but était de trouver et de cartographier le passage du Nord-Ouest. Ils ne reviendront jamais à bon port.

PHOTO DE AGOSTINI PICTURE LIBRARY

Une peinture illustrant l’équipage du Terror pris dans les eaux gelées du Nunavut

L’endroit où étaient situées les épaves est demeuré une énigme internationale jusqu’en 2014. Cette année-là, des plongeurs de Parcs Canada, aidés par des guides inuits, ont retrouvé l’Erebus. Deux ans plus tard, ce fut au tour du Terror, qui reposait au fond de l’eau à environ 100 kilomètres plus au nord, dans la baie qui porte son nom.

Sauter une année dans l’exploration d’épaves vieilles de plus de 150 ans peut ne pas sembler être bien grave, mais chaque jour qui passe comporte le risque que certains secrets contenus à l’intérieur des navires ne soient jamais percés.

« Nous sommes préoccupés par l’état de l’Erebus », mentionne M. Bernier.

Ce navire, le seul que les plongeurs ont pu visiter l’intérieur, n’est pas très éloigné de la surface. Lorsque les eaux sont particulièrement houleuses, elles exposent le sommet du bateau. Parfois, quand ils reviennent l’explorer, les archéologues peuvent constater d’importants dégâts.

M. Bernier se console comme il peut. La pause imprévue permettra à son équipe de consacrer plus de temps à la recherche et aux travaux de restauration des objets déjà récupérés. Par exemple, une paire d’épaulettes laissées dans une boîte sous un lit de la cabine du lieutenant James Walter Fairholme et une brosse avec encore des poils qui peuvent être analysés pour l’ADN.

La COVID a contraint les archéologues à revenir chez eux à la mi-mars lorsque la plupart des bâtiments fédéraux ont été fermés. Ils ne savent pas quand ils pourront revenir dans leur laboratoire, dit M. Bernier.

L’équipe a pu utiliser les photos et vidéos prises sur les deux navires pour travailler à la cartographie. Le Terror, mieux protégé que l’Erebus parce qu’il est dans des eaux plus profondes, n’a pas encore été entièrement cartographié. Ce travail est en cours. Plonger dans des épaves sous la surface de l’eau exige de la précision. Les cartes sont nécessaires pour le faire correctement.

Les plongées à bord de l’Erebus peuvent s’étendre pendant trois heures, mais les eaux beaucoup plus froides environnant le Terror limiteront l’exploration de ce navire à environ 30 minutes par jour, indique M. Bernier.

Selon lui, chaque voyage et chaque découverte permettent de combler des lacunes de l’histoire. Si les épaulettes du lieutenant ont été retrouvées, tous ses autres vêtements sont disparus. Les a-t-il apportés lorsqu’il a quitté le navire pour toujours ?, se demande l’archéologue.

Cette exploration patiente a permis de soulever d’autres questions. Pourquoi a-t-on retrouvé les affaires d’un membre de l’équipage du Terror sur son navire-sœur ? A-t-on abandonné le Terror en premier ? Tous les hommes se sont-ils installés à bord de l’Erebus avant que celui-ci ne soit emprisonné par les glaces et sombre à son tour ?

M. Bernier raconte que les assiettes dans un placard de l’Erebus étaient toujours soigneusement empilées sur leurs étagères, tout comme une cafetière des crayons et des boîtes à crayons.

Ces découvertes laissent croire que le navire n’a pas été abandonné rapidement et qu’il n’a pas coulé soudainement. Un afflux soudain d’eau aurait causé plus de dégâts.

« C’est ce que nous devons faire maintenant, c’est essayer de mettre les choses en ordre, souligne M. Bernier. Cela nous aidera à comprendre ce qui s’est passé. Quelles ont été les intervalles entre chaque évènement ? »

L’équipe d’archéologues prendra son mal en patience jusqu’à l’année prochaine. Elle espère que la pandémie sera alors terminée et qu’ils pourront à nouveau retourner dans le Nord pour l’exploration.

« Pour un archéologue, ce genre de découverte n’arrive qu’une fois dans sa vie », résume M. Bernier.