(Gaspé) À Gaspé, la crise de la COVID-19 touche durement l’offre de transports déjà restreinte dans la péninsule. Air Canada vient de plier bagage, le service d’Orléans Express reprend à peine et le train, lui, n’entre plus en gare depuis 2013. Une situation difficile que les Gaspésiens ont bien l’intention de transformer en occasion.

« Ça cause vraiment des casse-têtes »

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La pandémie de COVID-19 exerce une pression sur un service de transports déjà fragile à Gaspé.

« J’aimerais bien ça moi, avant de mourir, reprendre le train. »

Angèle Bélanger n’a pas oublié l’époque où le train de VIA Rail roulait de Montréal à Gaspé. C’était il y a sept ans, en 2013. Avant que le chemin de fer ne devienne en trop mauvais état. « À partir de ce moment-là, tout notre système de transport s’est réduit comme une peau de chagrin », relate l’aînée de 83 ans.

Elle n’a pas tort. L’offre de transports à Gaspé a déjà été mieux. De plus, la pandémie de COVID-19 exerce une pression sur un service déjà fragile.

Orléans Express – qui avait considérablement réduit ses services en 2015 – a dû suspendre ses liaisons avec les centres urbains, et vient de les relancer. Quatorze passagers par voyage sont admis. L’entreprise, propriété de Kéolis Canada, affirme se trouver en « situation précaire » et demande l’aide de Québec pour traverser la crise.

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« C’est aussi ça, le confinement. Les personnes seules, qui sont rendues à un certain âge, ne peuvent plus voyager. Ça chamboule une grande partie de nos vies », déplore Angèle Bélanger, 83 ans.

La dernière tuile à être tombée : l’abandon, à la fin de juin, de la seule desserte aérienne reliant Gaspé à Québec et Montréal, celle d’Air Canada. Le transporteur a expliqué subir des pertes financières de 20 millions par jour à cause de la crise sanitaire.

« La plus belle comparaison, c’est avec ce qu’on vit maintenant : le confinement », illustre Mme Bélanger. « C’est aussi ça, le confinement. Les personnes seules, qui sont rendues à un certain âge, ne peuvent plus voyager. Ça chamboule une grande partie de nos vies », poursuit-elle.

Celle qui se décrit comme une « citoyenne engagée » prend bien soin aussi de souligner les impacts sur les jeunes familles et le citoyen en général. Le secteur touristique, économique et le milieu de la santé écopent également, a pu constater La Presse lors de son passage dans la péninsule à la mi-juillet.

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Daniel Côté, maire de Gaspé

On a parfois le sentiment d’être plus loin que ce qu’on devrait être. On demeure accessible, mais c’est problématique. Soit que c’est très coûteux, soit que c’est très long.

Daniel Côté, maire de Gaspé

« On est assurément plus isolé qu’avant à Gaspé », tranche pour sa part la députée de Gaspé, Méganne Perry Mélançon.

À preuve, cela relève presque de la gymnastique de faire venir un médecin dans la région, indique la directrice des services professionnels du CISSS de la Gaspésie, la Dre Nathalie Guilbeault. « Ça cause vraiment des casse-têtes », soutient-elle.

« On se débrouille toujours, mais c’est certain qu’il y a un frein pour un médecin qui veut partir de Montréal pour venir faire du dépannage à Gaspé », ajoute-t-elle. Sans desserte aérienne directe, un professionnel de la santé peut, pour l’heure, voler de Saint-Hubert à Bonaventure, sur les ailes de Pascan Aviation.

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La Dre Nathalie Guilbeault, directrice des services professionnels du CISSS de la Gaspésie

« Après, il faut trouver quelqu’un pour aller le chercher ! C’est beaucoup de travail. » Bonaventure est à 200 kilomètres de Gaspé. Compliqué aussi pour le déplacement d’usagers qui doivent recevoir des soins à l’extérieur, pour le transport des prélèvements – analysés à Rimouski – et pour l’approvisionnement en médicaments.

« Ce n’est pas viable à long terme », assume la Dre Guilbeault.

Depuis cette entrevue, Pascan a annoncé l’ajout d’une liaison aérienne de Saint-Hubert à Gaspé, à compter du 17 août prochain, pour pallier le départ d’Air Canada.

« D’une tristesse incroyable »

« Il faut se réorganiser », lance la propriétaire de l’Auberge sous les arbres, Claudine Roy. « La Gaspésie doit devenir LA destination touristique du Québec. Si on n’a pas de transport aérien, c’est difficile. On n’a plus de train. Avec la COVID-19, on n’avait plus l’autobus. La seule manière de te rendre, c’est de sauter dans ton char. »

« C’est 10 heures de route. Ça se fait, mais on n’est pas chez le voisin », poursuit celle qui est fondatrice des Traversées de la Gaspésie. Le transport dans sa région est « depuis toujours en dents de scie », estime-t-elle.

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Claudine Roy, propriétaire de l'Auberge sous les arbres

Air Canada a, pendant des années, fait « la pluie et le beau temps », prenant « un plaisir malin » à réduire ses prix lorsqu’un concurrent tentait de s’implanter, relate Mme Roy. « C’est d’une tristesse incroyable », se désole-t-elle. « Gaspé-Montréal en avion, c’était 1200 $. C’est moins cher de faire Montréal-Paris ! »

Rares sont ceux à Gaspé, d’ailleurs, qui pleurent le départ d’Air Canada. Les élus estiment plutôt qu’il faut voir en « cet abandon » une occasion de structurer une offre de transports pérenne et abordable à l’abri des aléas du marché.

Pour le retour du train

Les évènements récents ravivent l’urgence du retour d’une liaison ferroviaire de Gaspé vers les grands centres. La réfection du tronçon de 325 kilomètres reliant Matapédia à Gaspé devrait être terminée d’ici 2025, 2026. Québec, propriétaire du rail depuis 2015, a réservé 235 millions pour la réalisation des travaux.

Voyez le plan de réhabilitation du chemin de fer

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Méganne Perry Mélançon, députée péquiste de Gaspé

Des manifestations ont eu lieu encore l’été dernier pour réclamer que le gouvernement accélère le rythme. Les travaux se concentrent sur le premier tronçon entre Matapédia et Caplan. « C’est vraiment un exercice de communication de dire que les travaux [se font pour Gaspé] », critique la députée Méganne Perry Mélançon.

« Ça va aboutir », assure pour sa part le maire Côté. Il dit ne plus compter le nombre de « ficelles tirées » pour faire progresser ce dossier.

Ça va se régler, il faut être patient. On récupère des décennies d’abandon. Si on n’avait rien fait, il n’y a rien qui se serait passé. Il a fallu mordre.

Daniel Côté, maire de Gaspé

Pour l’heure, le train de passagers de VIA Rail (qui doit reprendre le 4 novembre en raison de la pandémie) relie Montréal à Matapédia seulement. Entre Matapédia et New Richmond, le chemin de fer est ouvert au transport de marchandises. La liaison vers Gaspé sera aussi bénéfique pour les entreprises gaspésiennes, explique le maire.

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La réfection du tronçon de chemin de fer de 325 kilomètres reliant Matapédia à Gaspé devrait être complétée d’ici 2025-2026, ce qui devrait permettre à la gare de Gaspé de reprendre du service.

Daniel Côté donne l’exemple de LM Wind Power – le plus important employeur privé de Gaspé –, qui doit malgré lui emprunter la route 132 jusqu’à New Richmond (220 km) pour charger ses pales d’éolienne sur le train jusqu’au Texas. « Je peux vous dire que pour 500 emplois, c’est capital », résume M. Côté.

Le train viendrait offrir une option « plus abordable » que l’avion et un choix plus « confortable » que l’autocar pour les citoyens, les aînés notamment, croit Mme Perry Mélançon. « On a besoin d’avoir une offre complète », martèle l’élue péquiste. « Il faut autant miser sur le train que sur le prix du billet d’avion », explique-t-elle.

C’est aussi ce que croit Angèle Bélanger, qui craint qu’avec le départ d’Air Canada, les efforts des décideurs ne se concentrent que sur le transport aérien et moins sur le retour du service ferroviaire. « L’un ne va pas sans l’autre », affirme-t-elle.

« Il faut être plus dynamique. Les occasions, il faut les créer. »

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Il faut environ 10 heures pour rejoindre Gaspé par la route à partir de Montréal.

Montréal-Gaspé de quatre façons

(Exercice réalisé le 28 juillet 2020)

1. La voiture

Parcourir 917 kilomètres entre Montréal et Gaspé
Durée estimée : 10 heures
Coût : Essence (selon le véhicule)

2. L’autocar

Durée estimée : 14 h 30 min (Départ de Montréal à 7 h – arrivée à Gaspé à 21 h 30)
Coût : 134,50 $ + taxes
Arrêts : Montréal – Québec – Rivière-du-Loup – Rimouski – Mont-Joli – Matane – Cap-Chat – Sainte-Anne-des-Monts – Mont-Louis – Grande-Vallée – Rivière-au-Renard – Gaspé
Transporteur : Orléans Express Keolis

3. Le train

Option impossible à l’heure actuelle

À compter du 4 novembre 2020, il sera possible de prendre le train de Montréal vers Matapédia* (la gare la plus proche de Gaspé) et d’utiliser la voiture de Matapédia vers Gaspé.
Durée estimée : 11 heures (départ à 19 h de Montréal – arrivée à 6 h à Matapédia)
Coût : 80 $ + taxes
Transporteur : VIA Rail
Prendre la voiture de Matapédia à Gaspé (route 132) : 320 km
Durée estimée : 4 heures
Durée totale du trajet train/voiture : environ 15 heures

* Le service ferroviaire de Montréal-Matapédia est suspendu en raison de la COVID-19 jusqu’au 4 novembre 2020.

4. L’avion

Option impossible à l’heure actuelle avec le départ d’Air Canada

À compter du 17 août 2020, il sera possible de prendre une liaison Saint-Hubert–Gaspé sur les ailes de
Pascan Aviation.
Durée estimée : 2 h 45 min
Coûts : entre 300 $ et 450 $ (un aller seulement, pour une réservation faite le 28 juillet pour le 17 août)
Arrêts : Saint-Hubert – Québec – Gaspé
Transporteur : Pascan Aviation

Pour l’heure, il est possible de prendre un vol avec Pascan Aviation de Saint-Hubert vers Bonaventure (à 200 km de Gaspé) et d’utiliser la voiture ensuite.
Durée : 2 h 30 min de vol + 2 h 30 min de route : total environ 5 heures
Coût : 550 $ (aller seulement pour un vol de dernière minute)

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L’aéroport Michel-Pouliot appartient à la municipalité de Gaspé.

Occasion unique

« Les occasions comme ça, ça ne se présente pas deux fois. »

Assis derrière une protection en plexiglas, installée sur une petite table près de son bureau de l’hôtel de ville, le maire de Gaspé, Daniel Côté, n’a aucun doute : le départ d’Air Canada représente l’occasion unique « de revoir enfin le modèle » du transport aérien dans les régions éloignées comme la sienne.

[Air Canada] nous a envoyés les papiers de divorce, mais qu’il ne croit pas qu’on va se mettre à genou pour les supplier de revenir.

Daniel Côté, maire de Gaspé

Daniel Côté, qui est aussi président du comité sur le transport aérien de l’Union des municipalités du Québec, admet que la nouvelle du départ du géant aérien, le 30 juin dernier, a d’abord été reçue comme « une douche froide ». Mais il était hors de question de se laisser abattre par cet « abandon » sans préavis.

Avec des revenus plombés par la pandémie, Air Canada a suspendu indéfiniment une dizaine de liaisons régionales au Québec, notamment à Sept-Îles, à Val-d’Or et à Gaspé. La liaison entre Montréal et les Îles-de-la-Madeleine sera aussi interrompue en septembre.

En réaction, le gouvernement Legault a annoncé le prolongement du Programme d’aide pour le maintien des services aériens régionaux essentiels en période d’urgence sanitaire, qui s’accompagne d’un budget de 40 millions, en plus de mettre sur pied un « groupe d’intervention » chargé de trouver des pistes de solution pour l’avenir.

Le ministre des Transports, François Bonnardel, s’attend à instaurer une « solution à court terme » avant l’automne.

Dans la foulée de la décision d’Air Canada, Pascan Aviation – déjà présent dans certaines régions du Québec – a choisi de pallier le départ du transporteur et d’ajouter des vols quotidiens dans huit aéroports, dont Gaspé, à compter du 17 août.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement québécois essaie d’améliorer l’accès au transport aérien dans les régions. Les libéraux de Philippe Couillard avaient d’ailleurs organisé un sommet sur le transport aérien régional pour arriver à tout le moins à réduire le coût du billet d’avion.

C’est connu qu’il n’est pas rare de payer plus de 1000 $ pour un aller-retour de la Côte-Nord ou de la Gaspésie vers Québec et Montréal.

« Lors du sommet régional il y a trois ans, l’éléphant dans la pièce s’appelait Air Canada », se souvient le maire de Gaspé. « Air Canada nous empêchait de revoir le modèle tellement il était gros et puissant. On avait beau trouver la meilleure idée, tant qu’il était dans le décor, il écrasait chacune des solutions. »

Daniel Côté salue l’initiative de Pascan Aviation de prendre la relève, mais la cellule de crise qu’il pilote examinera différents modèles d’affaires qui seront présentés au ministre Bonnardel le 7 août prochain.

Parmi les solutions qui seront analysées, il y a le modèle proposé récemment par TREQ – groupe d’investisseurs québécois –, qui veut créer un transport aérien sous la forme d’une coopérative. L’idée de créer un transporteur public québécois, une sorte de nouveau Québecair, est aussi à l’étude. « Tout est sur la table », lance M. Côté.

Un tournant décisif

Selon la députée de Gaspé, Méganne Perry Mélançon, il faudra aussi s’assurer que les efforts faits par le milieu ne seront pas anéantis par un retour éventuel d’Air Canada. « On n’est pas à l’abri de ce genre de manœuvre parce qu’Air Canada est sans pitié pour les Gaspésiens. Ç’a toujours été comme ça », lance-t-elle.

À l’instar du maire Côté, elle qualifie la situation de tournant décisif pour la région.

C’est le bon moment d’être plus autonome sur le plan du transport régional et que le gouvernement [du Québec] s’en mêle pour développer une offre collée aux besoins régionaux.

Méganne Perry Mélançon, députée de Gaspé

Son collègue des Îles-de-la-Madeleine, Joël Arseneau, réclame un mandat d’initiative pour que la Commission des transports et de l’environnement, duquel il est membre, se penche sur l’avenir des liaisons aériennes régionales, « un enjeu crucial pour l’occupation et le développement » du territoire.

Solution avec Air Canada

La ministre fédérale et députée libérale de Gaspésie–Les-Îles-de-la-Madeleine, Diane Lebouthillier, estime aussi qu’Air Canada « a pris en otage » sa population pendant plusieurs années en réduisant « volontairement » ses prix afin de conserver le monopole. Mais elle n’est pas prête à écarter le transporteur pour l’avenir.

« L’inquiétude est que quand tout va se réorganiser, qu’Air Canada revienne et que le travail tombe, alors c’est important qu’Air Canada fasse partie de la solution à long terme », estime-t-elle, soulignant aussi la nécessité de conserver une connectivité à l’international, peu importe le transporteur qui offrira le service.

Il y a peut-être une occasion, en raison de la COVID, de faire les choses autrement et c’est important d’être autour de la table.

Diane Lebouthillier, députée fédérale de Gaspésie–Les-Îles-de-la-Madeleine

La ministre, qui n’a actuellement aucun moyen de se rendre à Ottawa autre qu’en voiture, assure avoir eu des discussions avec son collègue aux Transports, Marc Garneau, pour le sensibiliser à l’urgence de la situation.

« C’est certain qu’ici on voit l’arbre, lui il voit la forêt au complet », nuance-t-elle, rappelant que la situation se vit aussi dans d’autres provinces. L’important sera d’en arriver une fois pour toutes à une « solution permanente dans le temps ».