Six mois après avoir fait la queue pendant des jours dans l’angoisse et un froid polaire pour déposer leur dossier de parrainage de réfugiés, des parrains et des marraines ne décolèrent pas. Et pour cause : après un processus de dépôt de demandes chaotique et inéquitable, ils ont appris récemment qu’environ la moitié des 1200 demandes de parrainage collectif avaient été refusées(1).

Raison officielle invoquée par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) : les « plafonds » ont été atteints. Mais les plafonds de quoi, au juste ? D’indifférence ? D’insensibilité ? D’iniquité ?

« On est tous frappés par le manque d’empathie du Ministère », me dit Pierre-Luc Bouchard, avocat au Centre de réfugiés de Montréal. Le 20 janvier à l’aube, son organisme a envoyé un messager déposer six demandes de parrainage. Les six demandes lui ont été renvoyées sans même être examinées.

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Pierre-Luc Bouchard, avocat au Centre de réfugiés de Montréal

« Pourquoi sommes-nous la seule province où tout ça est un problème ? », demande l’avocat en rappelant que le Québec devrait pourtant respecter les mêmes engagements humanitaires que les autres provinces.

« Un organisme comme le nôtre à l’Île-du-Prince-Édouard pourrait déposer sa demande au moment où il le veut dans l’année. On aurait essentiellement les mêmes prérogatives. Et on n’aurait pas été soumis à des règles aussi confuses et compliquées pour si peu de résultats. »

Bien que, faute de demandes, les organismes de parrainage en région n’aient pas atteint les quotas fixés par Québec, le MIFI n’entend pas redistribuer la centaine de places restantes aux groupes de parrainage montréalais qui ont essuyé des refus. Pourquoi ? Parce que les règles régissant les quotas dans chacune des catégories de parrainage, d’abord établies sous le gouvernement libéral, sont prévues par un arrêté ministériel adopté en octobre 2019. On estime que ce serait inéquitable de les changer en cours de route. Ce qui n’a pas empêché le MIFI de tolérer le 20 janvier un processus de dépôt de dossier inéquitable, ignorant les mises en garde des parrains. Résultat : un cafouillage bureaucratique annoncé, marqué par de la surenchère et de l’intimidation.

> (RE)LISEZ l’article « Demandes de parrainage : un “fiasco bureaucratique” dénoncé » 

Pourquoi mettre des bâtons dans les roues de citoyens qui ne demandent rien d’autre au gouvernement que de les laisser ouvrir leurs bras à des réfugiés ?

Pierre-Luc Bouchard ne comprend pas. J’avoue ne pas comprendre non plus.

Je m’explique mal ce que le gouvernement perd là-dedans… Nous, on s’engage à ce que les gens ne dépendent pas de l’aide sociale. On a un système qui nous permet de les aider à se trouver un emploi, à apprendre le français, à inscrire leurs enfants à l’école… Notre association prend tout ça en charge.

Pierre-Luc Bouchard, avocat au Centre de réfugiés de Montréal

Mardi, une trentaine de parrains et de marraines inquiets ont envoyé une lettre à la nouvelle ministre de l’Immigration, Nadine Girault, dans l’espoir qu’elle se montre plus sensible au drame des personnes réfugiées et de leur famille que son prédécesseur, Simon Jolin-Barrette. Ils lui demandent notamment d’admettre l’ensemble des dossiers déposés le 20 janvier dernier, de relever le plafond de quotas de dossiers de parrainage collectif, de réduire les délais de traitement et de s’assurer de consulter les groupes de parrains et les autres organismes concernés (voir la lettre dans la section Débats).

Au cabinet de la ministre Girault, on dit vouloir prendre le temps de bien étudier la lettre avant d’y répondre. Pour l’heure, la ministre maintient l’engagement de son prédécesseur à « revoir le programme de parrainage collectif dans son entièreté ». On promet un « processus amélioré » de réception des demandes, sans s’avancer davantage. « On demeure à l’écoute des acteurs du milieu, des partenaires et de la clientèle », m’écrit son attachée de presse.

Cette écoute a fait défaut sous le règne du ministre Jolin-Barrette. Parmi les parrains qui ont fait des pieds et des mains pour déposer une demande le 20 janvier, certains ont mis six mois à recevoir un simple accusé de réception. Pendant des mois, en dépit de tous leurs efforts, ils n’ont eu aucune réponse du MIFI quant au suivi de leur dossier. Comme si la vie des réfugiés qu’ils désiraient parrainer ne valait pas plus qu’un paquet de chaussettes égaré par la poste.

« C’est vraiment la maison des fous ! », déplore Florence Bourdeau.

On écrit au MIFI pour dire : on n’a toujours pas d’accusé de réception. On nous répond : quel est le numéro qui se trouve sur votre accusé de réception ? C’est très fâchant.

Florence Bourdeau, marraine

Très fâchant parce qu’on ne parle pas de numéros de dossier mais de vies en danger. Pour Florence et son groupe de parrainage, on parle de Congolais qui vivent des jours pénibles dans un camp de réfugiés en Ouganda et dont les nouvelles échangées sur WhatsApp ne sont pas réjouissantes. « On ne sait pas quoi leur dire. Ils sont dans une situation sanitaire qui était déjà déplorable avant la COVID-19. Pas d’accès à l’eau potable, des enfants qui ont la diphtérie… Et on est là dans cette situation d’impuissance à communiquer avec eux une fois par semaine sans être fichus de leur dire si leur dossier est en bonne voie ou pas. C’est absolument n’importe quoi. »

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Les marraines et parrain de réfugiés Sophie Ferron, Stéphane Hernandez, Florence Bourdeau, Eva Gracia-Turgeon et Myriam Richard ont tous déposé un dossier le 20 janvier dernier au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration.

À l’heure où les voies d’accès à la protection humanitaire se réduisent pour les réfugiés, les parrains et les marraines s’inquiètent pour la survie d’un programme d’accueil qui a pourtant fait ses preuves depuis 40 ans. « Ça m’inquiète parce que pour l’avoir vu, entendu, étudié, analysé sous plusieurs aspects, on sait que c’est un programme unique qui fonctionne très bien depuis des décennies. Le Canada inspire plusieurs autres pays dans le monde avec cette façon de faire », me dit la marraine Myriam Richard, étudiante au doctorat en travail social.

D’un strict point de vue économique, on sait que le programme de parrainage collectif est une véritable aubaine pour l’État puisque ce sont les parrains et les organismes sans but lucratif qui prennent en charge les personnes réfugiées durant leur première année au pays. Sur le plan humain, ce programme se démarque encore davantage. « Le visage humain de l’accueil change tout », observe Myriam Richard. Le fait d’avoir accès à un réseau adoucit et accélère l’intégration. C’est toute la société qui y gagne.

N’est-ce pas exactement le genre d’objectifs que devrait avoir à cœur la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration ? Puisse-t-elle percer les plafonds d’indifférence.

(1) LISEZ l’article du Soleil « Parrainage des réfugiés : près de la moitié des demandes refusées, tout le programme révisé »