René Dupont, qu’on avait d’abord cru être la victime d’un meurtre survenu pendant une vidéoconférence, vient de donner signe de vie ! Sur l’application Strava, il a tracé un trajet que s’échinent à suivre les deux enquêteurs, Baptiste Bombardier et Angele Jones, afin d’élucider le mystère de la mort d’un homme, tué alors qu’il participait à une vidéoconférence. Quel secret, quel indice recèle ce trajet dessiné par Dupont ? Suite de notre polar estival.

Fuck, fuck, fuck. La sueur transperçait déjà la chemise propre de Jean-Marc Chicoine, le seul vêtment présentable qu’il possédait.

Un barman d’une taverne de la rue Ontario, dans le Centre-Sud, ça ne se promène pas en habit de bourgeois comme ces avocats-pingouins qui pullulent au centre-ville. Un barman, ça se contente de jeans Parasuco élimés et de vieux t-shirts du Festival de jazz des années 80.

Dans les toilettes du palais de justice de Montréal, Jean-Marc a exposé ses aisselles mouillées au vent chaud et sec du sèche-mains, qui lui a quasiment infligé une brûlure au deuxième degré, en plus d’abîmer le tissu synthétique de son unique vêtement des grandes occasions.

« Estie de patente à gosse du calisse », a blasphémé Jean-Marc en quittant bruyamment les toilettes.

Il n’était même pas 8 h 30 et cette journée du 7 mai 2012 allait être « fucking longue », grogna-t-il. Longue et stressante.

Comme des centaines de Montréalais, le grand Jean-Marc avait été convoqué comme candidat juré dans une cause explosive : celle du caïd Bob « Big » Bigras, accusé d’un paquet d’affaires louches en lien avec l’opération Julep.

Bon, la lettre du shérif ne précisait pas qu’il s’agissait du procès de Bob Bigras comme tel, mais les journaux en beurraient là-dessus depuis des semaines. Alors, ça ne pouvait pas être une autre personne que Bob Bigras, qui était « en dedans » depuis son arrestation par l’enquêteur vedette Baptiste Bombardier.

Jean-Marc Chicoine voulait absolument faire partie de ce jury. Il le fallait. C’était non négociable. Il le devait à Bob Bigras.

Dans une grande pièce qui sentait la tente-roulotte pas aérée depuis huit mois, Jean-Marc avait menti une première fois au juge Jean-Guy Cournoyer. Non, non, non, il ne connaissait pas l’accusé Bob Bigras. Juré craché, main sur la Bible !

Bah, une petite menterie. Ça n’a jamais tué personne. Pas encore, du moins.

Après un long processus, que Jean-Marc avait qualifié intérieurement de « gros crisse de niaisage », les 12 membres du jury avaient été sélectionnés, dont un Jean-Marc à la chemise aussi fripée qu’humide. Le vrai travail commençait maintenant.

Réunis dans une minuscule antichambre sans fenêtre, les jurés racontaient leur vie dans le détail. Jean-Marc les écoutait comme Anne-France Goldwater à L’arbitre, son émission préférée.

Le parcours de la jurée numéro 5, Julie Chen, ressemblait beaucoup au sien. Préposée aux bénéficiaires dans un CHSLD et dotée d’une redoutable intelligence de la rue, Julie Chen avait eu une enfance fuckée.

Belle fille, rusée, avec une fragilité cachée, voilà une alliée potentielle, nota Jean-Marc dans son calepin.

Le juré numéro 8, un dénommé René Dupont, tapait déjà sur les nerfs de Jean-Marc. Beau bonhomme de 24 ans, il parlait constamment de son « vélo », d’ordinateurs et d’agriculture bio. Clairement un gosse de riche de Brébeuf, jugea Jean-Marc.

Les femmes du jury buvaient chacune des paroles de René, et Jean-Marc fulminait dans son coin. Une tête à claques, ce René, mais une tête forte, remarqua-t-il.

La Dre Louise Dumas-Beaudoin, jurée numéro 2, ne cessait de pleurer en répétant : « Mes patients, mes pauvres patients âgés, qui va s’occuper d’eux » ? Évidemment, c’est le beau René qui l’a prise dans ses bras et réconfortée. Téteux, en plus.

Rouge pivoine, la Dre Dumas-Beaudoin n’en revenait pas de recevoir autant d’attention. Elle aurait voulu que cette chaleureuse étreinte ne s’arrête jamais. Elle avait oublié l’odeur musquée que dégageait le corps d’un homme. Cela faisait si longtemps.

Julie Chen, René Dupont et Louise Dumas-Beaudoin. Ces trois personnes-clés permettraient à Jean-Marc Chicoine d’accomplir sa mission : faire acquitter Bob Bigras.

Jean-Marc n’avait pas le choix. Il devait cette faveur à Bob Bigras. C’était non négociable.

Au début des années 80, la mère de Jean-Marc avait accumulé une dette astronomique de poudre. Entre deux clients, elle « sniffait » d’immenses rails de cocaïne en répétant que, oui, oui, tabarnak, elle rembourserait la semaine prochaine, craignez pas, chus pas une voleuse, calvaire !

Le jeune Jean-Marc voyait les hommes défiler dans leur appartement miteux de la rue Dufresne qui sentait la clope froide, et il ne comprenait pas pourquoi aucun d’eux n’y passait la nuit.

Sa maman, un pétard que la coke ravageait lentement, jurait à son petit Jean-Marc qu’un jour, « on va le quitter, cet ostie de trou à rats-là, je te le promets, mon cœur ».

Quand Bob Bigras s’est finalement pointé pour collecter la colossale dette de drogue, il a gelé devant cette jolie femme au fort caractère. Oh, si elle avait été un homme, Bob lui aurait fracassé les jambes à coups de batte de baseball.

Mais là, il était incapable de violence, sans pouvoir se l’expliquer. Bob Bigras proposa alors un marché à la prostituée au charisme magnétique.

« OK, tu me dois plus une cenne, mais tu travailles pour moi astheure. On a-tu un deal ?

– Si tu baisses ta cut à 30 %, j’embarque. Pis y faut que tu me promettes de t’occuper de mon Jean-Marc si jamais y m’arrive de quoi. »

Le soir où Jean-Marc Chicoine a fêté ses 18 ans, sa maman a été retrouvée morte derrière une brasserie de la rue Sainte-Catherine Est, étranglée par un client intoxiqué au fentanyl.

Bob Bigras n’a pas oublié la promesse faite quelques années plus tôt. Il a acheté une taverne, rue Ontario, et l’a enregistrée au nom de Jean-Marc Chicoine.

« Tiens, mon homme, voici ta nouvelle job. »

En empoignant les clés du bar, Jean-Marc a immédiatement compris qu’il devrait repayer, un jour, celui qu’il a toujours appelé Mononcle Big.

Ce jour-là, c’était maintenant. Il n’était pas question que Bob Bigras finisse sa vie derrière les barreaux. Et Jean-Marc, le juré numéro 9 de ce superprocès, allait s’en assurer personnellement.

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