(Québec) Suspendu depuis 17 mois de son poste de directeur général de la Sûreté du Québec (SQ), Martin Prud’homme ne reviendra pas dans ses fonctions.

Déjà bien des observateurs prédisaient que le patron, après un si long purgatoire, n’aurait plus la crédibilité nécessaire pour diriger la SQ. Mais à ces déductions s’ajoute un élément de poids, un obstacle qui empêchera l’ex-policier vedette de revenir au 11e étage de Parthenais.

Entre les mains du Conseil exécutif, l’équivalent du ministère du premier ministre, un rapport d’enquête a été remis il y a quelques jours. Un verdict sans appel : l’ex-patron de la SQ a commis une faute déontologique suffisamment lourde pour qu’elle l’empêche de réintégrer son poste. Le rapport remis au Secrétariat aux emplois supérieurs est toujours en évaluation. Le cercle « politique », qui soutient ne rien savoir de son contenu, attend la conclusion de « l’administration », probablement pas avant septembre.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Martin Prud'homme, ex-patron de la SQ, aurait commis une faute déontologique suffisamment lourde pour qu’elle l’empêche de réintégrer son poste, selon un rapport d'enquête.

Le rapport porte sur les conséquences déontologiques d’une altercation, au téléphone, entre le directeur Prud’homme et Annick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales. Une version caviardée circule.

Surtout, il est signé par trois juristes de choc, les trois spécialistes de ces questions d’éthique dans l’administration québécoise. Michel Bouchard, ancien sous-ministre à la Justice, a été appuyé par Louis Sormany, ex-secrétaire général associé à l’éthique, et par MLuc Chamberland, ancien directeur du contentieux au ministère de la Justice.

Informé des conclusions et conscient du poids du trio, de leur réputation, M. Prud’homme a mandaté un deuxième conseiller pour l’aviser. Il avait déjà recruté MMichel Massicotte, avocat vedette de nombreux procès retentissants. Il a demandé l’aide en renfort de Pierre Moreau, ex-ministre libéral, précisément sur ces questions de déontologie, explique-t-on à l’interne. Il le connaissait des années où MMoreau était chef de cabinet de l’ex-ministre de la Sécurité publique Jacques Dupuis.

Une conversation explosive

Quelle faute aurait commise M. Prud’homme, dont la carrière était jusqu’alors impeccable ? Le collègue Daniel Renaud a révélé en avril que sa suspension avait été entraînée par une plainte de MAnnick Murphy, directrice des poursuites criminelles et pénales. Celle-ci se serait sentie intimidée lors d’une conversation téléphonique avec le directeur Prud’homme.

Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) avait enquêté sous l’angle d’une infraction criminelle – en mars dernier, un an après sa suspension, M. Prud’homme apprenait qu’il n’y aurait aucune accusation contre lui. Il restait l’enquête sur les conséquences de cette altercation du point de vue de l’éthique.

Sur quoi portait le différend entre M. Prud’homme et MMurphy ? Daniel Renaud a expliqué que cette conversation explosive portait sur les fuites médiatiques à l’Unité permanente anticorruption, qu’avait quittée son beau-père Robert Lafrenière, un an auparavant. L’enquête « Serment », déclenchée sur ces fuites il y a près de deux ans par le BEI, n’est pas proche d’une conclusion toutefois.

Dix-sept mois après que le gouvernement a relevé de ses fonctions le grand patron de la police, la population ne sait toujours pas ce qui a déclenché cet évènement inusité.

Inusité, mais pas sans précédent ; dans un passé pas si lointain, Richard Deschesnes, aussi patron de la SQ, a été suspendu à cause d’allégations quant à l’utilisation trop laxiste d’un fonds secret normalement réservé strictement à appuyer des opérations délicates.

M. Deschesnes a été acquitté récemment, mais la Couronne a interjeté appel. Comme sous-ministre à la Sécurité publique, Martin Prud’homme était aux premières loges quand est venue l’heure de constituer une brigade spéciale pour mener cette enquête.

Indépendance

Les décideurs politiques de tout temps martèlent que la police est totalement indépendante. Pourtant, quand on regarde le passé, les patrons de la police n’ont pas souvent survécu à un changement de gouvernement. Richard Deschesnes, nommé par les libéraux sous Jean Charest, avait été remplacé par Mario Laprise quand Pauline Marois a pris le pouvoir. Martin Prud’homme a remplacé M. Laprise six mois après l’arrivée de Philippe Couillard au pouvoir.

Quand François Legault a pris les commandes, Martin Prud’homme en était à réorganiser le Service de police de la Ville de Montréal, véritable défi dont il s’est acquitté avec brio – un succès reconnu par tous.

Revenu à la SQ à la fin de 2018, il a été suspendu par la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, en mars 2019. En décembre, Québec a nommé une ancienne collaboratrice de M. Prud’homme, qu’il avait amenée à la Ville de Montréal, Johanne Beausoleil, à la tête de la SQ. Mario Bouchard a occupé un bref intérim entre les deux avant sa retraite. En 12 mois, la SQ a changé trois fois de patron.

La chaise musicale n’a rien apporté de bon ; on parle encore de tensions dans la haute direction, deux des directeurs généraux adjoints n’ont pas beaucoup d’expérience.

Québec a renouvelé Yves Morency comme DGA pour quelques mois, afin de conserver un peu de mémoire à l’institution. Les fidèles de Martin Prud’homme sont graduellement mis sur la touche.

Les interventions de Liette Abel-Normandin, cheffe de cabinet du DG depuis M. Prud’homme, font grincer des dents depuis le départ de son mentor. Le responsable des communications, Guy Lapointe, aussi homme de confiance de M. Prud’homme, est lui aussi graduellement écarté.

La SQ n’a pas l’apanage des problèmes : Sylvain Caron, ancien de la SQ que M. Prud’homme avait amené au SPVM, en arrache passablement à la tête de la police municipale, entend-on. Tout serait en place pour que Johanne Beausoleil, nommée par intérim, soit finalement choisie pour diriger la SQ.

Car chez François Legault, on a longtemps voulu trouver la perle rare, un civil qui pourrait diriger la police. Et une femme serait encore mieux. Le candidat aura à passer des entretiens avec les représentants des partis de l’opposition avant que son nom soit soumis au vote de l’Assemblée nationale. Un appui des deux tiers est nécessaire.

Depuis mars 2019, Martin Prud’homme attend chez lui, dans les Laurentides, complètement assommé, confie-t-on, par une rétrogradation, humiliation que jamais son parcours sans faute n’aurait pu laisser prévoir. Qu’on lui ait laissé son plein traitement est un réconfort bien accessoire pour un ex-mandarin, à la réputation écorchée.