(Montréal) Trente ans après la crise d’Oka, les revendications territoriales n’ont pas encore été résolues, déplorent un chef et un aîné autochtones.

Serge Simon, l’actuel grand chef de Kanesatake, se souvient très bien des évènements du 11 juillet 1990 lorsque la Sûreté du Québec a voulu démanteler une barricade érigée par des Mohawks qui protestaient contre un projet d’agrandissement du golf sur une terre ancestrale.

« J’ai vu l’équipe tactique sortir de leurs véhicules et commencer à suivre une camionnette en haut de la colline et j’ai craint qu’elles tuent tout le monde », raconte-t-il.

Il se souvient de la confusion, des gaz lacrymogènes et d’un échange de coups de feu.

« Tout à coup, on a entendu un bruit sec et c’est devenu fou. On entendait des tirs d’armes automatiques des deux côtés, c’était le début. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Le grand chef de Kanesatake, Serge Simon, était à l'entrée du parc National d'Oka lorsque les Mohawks ont bloqué l'accès aux visiteurs pour signifier leur colère à la suite de la décision de la SEPAQ, le 20 mai.

Le caporal Marcel Lemay de la SQ est mort, abattu par une balle dont la provenance n’a jamais été déterminée.

L’armée canadienne a dû envoyer quelque 800 soldats pour cerner la communauté de Kanesatake avec des barbelés. Les longues négociations qui se sont étendues pendant plusieurs mois ont abouti à un accord. Les barricades devaient être levées contre l’annulation du projet d’agrandissement.

Ce conflit a inspiré les mouvements autochtones de tout le pays. La Commission royale sur les peuples autochtones lancée à la suite de ces évènements a contribué à la prise de conscience de la nécessité de régler les revendications territoriales.

Mais trois décennies plus tard, les différends fonciers au cœur de la crise ne sont toujours pas résolus. La communauté de Kanesatake est profondément divisée sur la question.

« La situation s’est aggravée depuis 1990, soutient Walter David, un aîné de Kanesatake. Selon lui, la communauté a continué de perdre des terres au profit des promoteurs qui ont abattu des arbres afin de lancer des projets immobiliers sur le territoire contesté.

« Il y a beaucoup de secret autour de ce qui se passe. Le gouvernement fédéral a donné beaucoup d’argent au conseil de bande pour ces négociations, mais la population n’en a rien tiré, tout simplement », avance-t-il.

M. David dit se souvenir vaguement des évènements de 1990, disant avoir été victime du stress post-traumatique. Pour lui, la crise demeure un exemple de violence policière et une preuve que les gouvernements refusent de parler des revendications territoriales.

« Nous voulions perturber l’agrandissement du golf, le faire pacifiquement et c’était paisible jusqu’à ce que nous soyons agressés deux fois », plaide-t-il en faisant référence à des interventions policières et à de présumées attaques de résidents non autochtones.

M. David croit que les récents évènements en Colombie-Britannique où la GRC a réprimé une occupation territoriale visant à empêcher la réalisation d’un projet d’oléoduc dans le nord de la province démontrent que les attitudes de la police n’ont pas encore changé.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Un homme porte une pancarte avec l'illustration d'un officier de la GRC alors qu'il marche pour rejoindre les manifestants qui bloquent une rue en appui à la communauté Wet'suwet'en qui s'oppose au projet de gazoduc Coastal GasLink, en Colombie-Britannique, le 18 février à Vancouver.

Si MM. David et Simon expriment des préoccupations similaires sur les problèmes vécus par la communauté et un désir de récupérer les terres contestées, ils s’opposent sur d’autres sujets.

L’aîné reproche à M. Simon d’avoir des négociations foncières avec le gouvernement fédéral à huis clos et de ne pas avoir été transparent avec la communauté sur cette question ou sur bien d’autres.

« Les conseils de bande sont financés par le gouvernement fédéral, donc il y a une sorte de conflit d’intérêts pour eux », allègue M. David.

Récemment, des membres de la communauté ont envoyé un questionnaire de 16 pages à M. Simon, demandant des réponses sur une variété de sujets, allant de l’état des négociations aux dépenses du conseil de bande.

M. Simon se défend en disant qu’il a essayé de tenir informée la communauté même s’il est lié par des accords de non-divulgation en ce qui concerne les négociations foncières.

Il regrette qu’on l’accuse d’être un « vendu » ou d’être un bras du gouvernement fédéral pour avoir tenté de négocier une rétrocession pacifique du territoire ancestral.

« Tout ce que je veux, c’est la paix », lance-t-il.

Le fossé s’est creusé davantage l’an dernier lorsqu’un promoteur local a offert de faire don de 60 hectares de terrain à Kanesatake en tant que « cadeau écologique ». L’homme se disait aussi prêt à discuter de la vente des 150 hectares supplémentaires qu’il possède à Oka au gouvernement fédéral pour que celui-ci les transfère à la communauté mohawk.

Si Simon croit que l’offre aiderait la communauté en protégeant des terres mohawks contre le lotissement, M. David et les membres traditionalistes du Longhouse rechignent à l’idée que des limites seraient imposées à l’utilisation du terrain.

La question, qui est toujours en cours d’examen par les avocats, a également ravivé les tensions avec le maire d’Oka, qui craignait que le fait d’être encerclé par Kanesatake puisse entraîner une baisse de la valeur des propriétés, un déversement illégal des ordures et une expansion des commerces de cannabis et de cigarettes.

Le maire, Pascal Quévillion, a présenté des excuses pour ses commentaires, mais le chef Simon dit que les relations restent tendues.

Même si certaines choses se sont améliorées dans la communauté depuis 1990, M. Simon mentionne que de nombreux problèmes persistent comme le déversement illégal, le manque de forces de police autochtones pour assurer la stabilité et le besoin de meilleurs emplois et de meilleurs logements.

Il reconnaît que son optimisme est « assez fragile ces jours-ci » face à la résistance qu’il rencontre dans sa propre communauté, à la mairie d’Oka et au gouvernement fédéral à qui « on doit crier et on doit donne des coups de pied » pour qu’il reconnaisse les titres autochtones.

À 70 ans, M. David dit est fatigué de se battre. Il a cessé de participer aux évènements commémoratifs de 1990 depuis longtemps, préférant se concentrer sur son jardin et son entreprise de torréfaction de café.

Il sent que s’il y a de l’espoir, c’est chez les jeunes, qui, selon lui, commencent à « faire de grandes choses » pour la communauté.

« Nous allons être là pour les surveiller, les aider et les faire avancer. Nous serons là pour eux pour les soutenir. Nous leur remettrons les clés en en disant : "c’est à vous". »