« Je vous parle là au téléphone, mais je suis dehors et je regarde ma terre. Et cette terre-là, je l’emprunte à mes enfants. »

Dominic Perron, l’agriculteur au bout du fil, est un producteur laitier du Saguenay. « De chez nous, je vois l’eau », explique-t-il. Celle de la rivière Saguenay, à La Baie, où la ferme des Perron existe depuis six générations.

Sur ces terres, il veille sur des vaches dont le lait est transformé par la coopérative Nutrinor, un organisme de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean comptant 900 fermes, qui a annoncé mardi qu’il lançait une vaste initiative pour changer la façon de faire de l’agriculture dans la région. Le Pacte agricole durable Nutrinor (PADN).

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

La coopérative Nutrinor, un organisme de la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean comptant 900 fermes, a annoncé mardi qu’elle lançait une vaste initiative pour changer la façon de faire de l’agriculture dans la région.

L’équipe espère ensuite inspirer tout le Québec et être même un exemple à suivre dans le monde sur l’art de faire prendre un tel virage à tout un secteur économique. L’initiative, dotée d’un budget de 2 millions, approuvé par tous les membres de la coop, vise à montrer aux agriculteurs comment rendre leurs pratiques à la fois plus propres, donc écologiques, voire biologiques, mais aussi plus profitables et plus équitables en même temps, et à les encourager à le faire.

Au même moment, mardi à Montréal, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) publiait, à la demande de l’Union des producteurs agricoles (UPA), un document destiné aux agriculteurs québécois et faisant une revue sommaire mais troublante des dangers causés par les pesticides les plus vendus dans la province.

Dans ce document, on retrouve tellement de doutes sur l’innocuité de tellement de produits – du glyphosate au paraquat en passant par l’atrazine et le malathion – que, même si parfois il n’y a pas de certitude absolue au sujet des méfaits irrémédiables des herbicides, fongicides et autres insecticides utilisés au Québec, on a juste envie de dire « dans le doute, abstenons-nous » et de virer totalement au bio.

Deux événements en même temps, le même jour, ne font pas une révolution.

Mais mon intuition me dit que le vent agricole est peut-être en train de tourner.

Une institution s’inquiète des méfaits de ses pratiques, une coop dynamique prend le leadership de l’agriculture propre, durable.

Les producteurs sont prêts pour ce changement-là. Le consommateur est rendu là. On veut tous mieux faire.

Dominic Perron, producteur laitier du Saguenay

La difficulté, dit-il, c’est de trouver des gens « qui ont du guts et de l’argent », pour aider le monde agricole québécois à prendre le virage. Un virage vers des façons de faire modernes, mais souvent ancrées dans les vieilles techniques éprouvées, des approches qui remettent en question l’agriculture industrielle telle qu’on la conçoit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des approches qui permettent aussi au monde agricole d’avoir des salaires justes, de bonnes conditions de travail. Peut-être des vacances ou des fonds de pension ? Le tout en permettant des revenus réalistes.

Ce que Dominic Perron espère, et c’est là que je vois un lien avec le document demandé par l’UPA pour ses membres, c’est que « ça soit une démarche inclusive ». En d’autres mots, le projet de Nutrinor vise à faire embarquer dans le mouvement des agriculteurs qui n’y sont pas déjà.

« On n’est pas là pour forcer personne », dit-il.

Mais pour accompagner des agriculteurs qui ont peut-être des doutes, des craintes, des questions. Des producteurs qui se demandent comment faire une transition ni douloureuse ni abrupte vers des techniques innovantes. Et continuer à être rentables.

Dominic Perron parle carrément de « projet de société », qui « accepte tout le monde ».

Pour préparer la démarche, la coopérative Nutrinor a amené une quinzaine de ses producteurs en France et au Danemark, histoire de voir quelles sont les meilleures pratiques actuellement.

Tout ça n’est pas simple. Ça ne sera pas facile. Mais Nutrinor est là pour aider.

Dominic Perron

Et si les producteurs lisent le nouveau document produit par l’IRSST, ils auront de quoi songer à vouloir faire des changements. L’idée, explique France Labrèche, chercheuse sénior à l’Institut, était de rendre l’information, de base, facilement accessible pour les producteurs agricoles. Afin qu’ils voient tout de go quels risques ils courent en utilisant certains produits.

« Oui, il y a des inquiétudes », m’a dit une porte-parole de l’UPA. Les producteurs posent des questions.

Et si on a beaucoup entendu parler de glyphosate et de cancers et des ravages que font les néonicotinoïdes sur les abeilles, il y a une foule d’autres produits qui ne sont guère plus appétissants, dont on entend moins parler dans les médias, mais que le document classifie et que les agriculteurs connaissent.

La recherche fait le bilan de ce qui peut affecter la peau, le système nerveux, le système reproducteur, le système endocrinien…

Vous n’y ferez pas de découverte fracassante. Mais pour un petit rappel de la problématique pesticide, une de celles que l’initiative de Nutrinor essaie d’affronter, c’est vraiment efficace.

Personnellement, je n’ai jamais eu envie de Cyprodinil ou de Fludioxonil dans mon bol de fraises. Mais après avoir lu ça, tout ce qui n’est pas bio est encore moins invitant.

Bon appétit !