Ne comptez pas sur Nolinor pour prendre la place d’Air Canada dans les aéroports régionaux. « C’est un pattern qui se répète », déplore son président, Marco Prud’Homme. Pascan Aviation, elle, est tout à fait disposée à le faire. Mais les deux s’entendent sur un point : une aide gouvernementale à Air Canada rendrait la tâche difficile.
« Ce n’est pas la première fois, rappelle M. Prud’Homme. Chaque fois, Air Canada menace de quitter les régions. Chaque fois, le gouvernement lui vient en aide. […] On ne peut pas blâmer Air Canada, ça marche. »
Il y a quelques années à peine, Nolinor a été impliquée dans un projet de nouveau transporteur aérien régional.
« On s’est brûlés plusieurs fois, note son président. Au début, quand j’étais plus jeune, Gaspé ou les Îles-de-la-Madeleine appelaient, et je n’en dormais plus la nuit, je me mettais à penser à la façon de trouver des avions, etc. Puis, du jour au lendemain, le gouvernement faisait une entente avec Air Canada, et tout le monde nous oubliait. »
Selon lui, si Air Canada devait décider de reprendre du service avec l’aide des gouvernements, il deviendrait rapidement impossible pour un autre transporteur de rivaliser. « Tu vas concurrencer Air Canada comment ? Ils ont les liaisons, Aéroplan… »
Yani Gagnon, vice-président et chef de la direction financière chez Pascan Aviation, est moins pessimiste. Son entreprise a l’intention de discuter avec chacune des régions pour voir comment elle pourrait augmenter son offre.
« C’est notre métier, ça fait 20 ans qu’on couvre le territoire », rappelle-t-il.
Surtout, il ne « voit pas comment le fédéral pourrait justifier de donner l’argent à Air Canada ou de lui en prêter pour concurrencer de petits joueurs dans le marché régional ».
Typiquement, voler de Gaspé à Paris coûtait moins cher en achetant auprès d’Air Canada un billet avec correspondance à Montréal que de faire appel à deux transporteurs pour les vols Gaspé-Montréal et Montréal-Paris. M. Gagnon ne croit pas que ce sera encore le cas quand Air Canada reviendra, le cas échéant.
Au fil des années le « Goliath » Air Canada a souvent fléchi les genoux dans le marché régional, avant d’être relevé par une aide gouvernementale, explique M. Gagnon. « Si ça se passe encore, et que le gouvernement lui vient en aide, on va monter aux barricades. Ce n’est pas ça, une solution gagnante pour tout le monde. »
Trudeau « déçu »
Appelé à réagir pour la première fois vendredi à l’annonce de la réduction de desserte d’Air Canada, Justin Trudeau n’a suggéré aucune solution pour renverser la vapeur, se contentant d’« espérer » qu’Air Canada reprendra ses liaisons.
« On sait qu’Air Canada profite des liens les plus profitables au pays, mais on s’attend aussi à ce qu’ils desservent des personnes qui vivent dans des régions plus éloignées. C’est donc quelque chose qu’on espère, qu’ils vont pouvoir remettre à desservir ces régions-là au fur et à mesure que l’économie commence à reprendre », a-t-il affirmé.
Questionné sur la possibilité d’appuyer une solution aérienne québécoise, le premier ministre n’a pas semblé prêt à explorer cette idée. « C’est important que les Canadiens qui vivent dans toutes les différentes régions soient desservis par les compagnies aériennes. Ce qui frappe au Québec frappe aussi dans les Maritimes ; c’est donc quelque chose qu’on regarde avec Air Canada. On espère qu’ils vont pouvoir reprendre le service bientôt », a-t-il répondu.
Les Îles en été seulement
La Presse a annoncé vendredi matin que la liaison saisonnière avec les Îles-de-la-Madeleine, qui permet notamment aux touristes de s’y rendre l’été, serait « suspendue indéfiniment » après le 7 septembre. Or, cette information confirmée par Air Canada était une erreur, selon Pascale Déry, porte-parole de l’entreprise. « C’est un service saisonnier qui revient », affirme-t-elle. Par contre, la liaison ne sera maintenue que trois mois par année, pendant l’été.
Joint vendredi, le maire des Îles-de-la-Madeleine ne s’est pas réjoui de ce développement. Il estime que l’incertitude quant à la présence d’Air Canada en région nuira au tourisme et à l’économie.
Qui va réserver un billet d’avion pour l’été prochain ? Qui va croire Air Canada ? S’ils viennent, tant mieux. Mais il faudra trouver une solution durable.
Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine
Dominique Anglade, cheffe du Parti libéral du Québec, a sonné l’alarme en point de presse, vendredi matin à Montréal. Il ne faut pas attendre l’automne avant de s’asseoir autour d’une table pour trouver des solutions, a-t-elle martelé. C’est important de le faire le plus rapidement possible pour la période touristique, et aussi parce que les régions devraient « avoir un minimum de services garantis ». Le développement de nos régions est fondamental et passe par l’accès et la mobilité, a-t-elle ajouté.
Mme Anglade a aussi souligné qu’elle ne croyait pas que c’était au gouvernement fédéral de régler ce problème. « Le gouvernement du Québec doit exercer son leadership », a lancé la cheffe de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale.
— Avec Gabriel Béland, Louis-Samuel Perron et Véronique Lauzon, La Presse