(Québec) Les Îles-de-la-Madeleine ne seront plus du tout desservies par Air Canada à partir du 8 septembre, et ce pour une durée « indéfinie ». Une situation « scandaleuse » que dénonce le maire Jonathan Lapierre.

« C’est comme si la mairesse de Montréal se levait un matin et que le métro, l’autobus et le train de banlieue étaient fermés sans préavis, sans discussion », lâche au bout du fil le maire des Îles-de-la-Madeleine, qui n’a pas caché sa déception.

Air Canada a annoncé mardi la « suspension indéfinie » d’une trentaine de lignes régionales, dont une dizaine au Québec. Le communiqué de l’entreprise mentionnait la suspension des liaisons entre Québec, Gaspé et les Îles-de-la-Madeleine.

Mais ce que le communiqué ne signalait pas, c’est que les vols entre Montréal et l’archipel seraient également « suspendus indéfiniment » à partir du 8 septembre. Une porte-parole de l’entreprise l’a confirmé à La Presse.

Le maire Lapierre a reçu la nouvelle comme une gifle. Elle signifie que l’archipel ne sera plus desservi que par le plus petit transporteur, Pascan Aviation.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

Il n’avait jamais été question de ça dans les discussions avec Air Canada. Ça démontre encore une fois à quel point Air Canada travaille de façon cavalière.

Jonathan Lapierre, maire des Îles-de-la-Madeleine

L’élu a appris la nouvelle dans les médias.

Cette décision aura selon lui un impact important sur les Îles. Il craint un coup dur pour le tourisme et pour toute l’économie insulaire. « C’est encore une fois un coup qu’on va recevoir dans les jambes », dit-il.

Une « cellule de crise »

Jeudi, l’Alliance de l’industrie touristique du Québec (AITQ), la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), le Réseau québécois des aéroports (RQA) et l’Union des municipalités du Québec (UMQ) ont d’ailleurs annoncé la création d’une « cellule de crise » pour trouver des solutions à court terme.

Le maire des Îles déplore également la perte de ce service précieux, qui permettait aux Madelinots de voyager grâce à des correspondances d’Air Canada partout au pays et à l’international. Pascan Aviation, un transporteur régional, n’offre pas de vols à l’international ou hors du Québec.

20 millions

Pertes financières d’Air Canada chaque jour, selon l’entreprise, qui explique devoir prendre « des mesures décisives » pour réduire ses coûts, alors que la pandémie a frappé durement l’industrie aérienne

Les Îles-de-la-Madeleine étaient desservies par Air Canada à longueur d’année, à raison de deux vols par jour au minimum, selon le maire. Des vols partaient de Québec et Montréal.

Tous les vols avaient été suspendus en mars avec la pandémie. Mardi, on a appris que les liaisons vers Québec ne reprendraient tout simplement pas. Les vols vers Montréal reprendront cet été jusqu’au 7 septembre.

Des voyageurs pris de court

Jacques Lacasse et sa conjointe avaient prévu visiter les Îles pour la première fois de leur vie au début du mois de septembre. « C’est un projet dont on discutait depuis plusieurs années. On se disait même que nous étions possiblement les derniers Québécois à ne pas avoir visité les Îles ! », raconte M. Lacasse.

L’homme a reçu mardi un courriel d’Air Canada. La compagnie l’avisait que son vol de retour le 9 septembre était annulé. Il s’est empressé de trouver deux places à bord de l’ultime vol du 7 septembre. Il a réussi, après 90 minutes d’attente au bout du fil.

Un couple d’amis avait des billets du 6 au 13 septembre. Air Canada a annulé le 13 sans rien dire d’autre. Il va sans dire qu’un retour le 7 pour eux n’a pas de sens. Ils devront, j’imagine, annuler leurs réservations d’habitation et de location auto.

Jacques Lacasse

Maintenant, aux Îles comme ailleurs, se pose la question de la suite. Comment assurer un service aérien vers la Côte-Nord, la Gaspésie, l’Abitibi… Plusieurs élus en région disent croire que les lignes abandonnées par Air Canada ne seront jamais rétablies.

Faut-il créer un nouveau transporteur pour reprendre les lignes régionales abandonnées par Air Canada au Québec, comme plusieurs élus le demandent ? Ou plutôt se fier aux petites compagnies aériennes existantes ?

« Tout doit être sur la table », a lancé jeudi le ministre québécois des Transports, François Bonnardel.

« Plus loin et à long terme »

M.  Bonnardel semble beaucoup compter sur les transporteurs comme Pascan, Air Creebec et Air Inuit pour combler le vide laissé par Air Canada.

« On a des sociétés régionales qui ont des capacités d’augmenter leur fréquence, d’acheter de nouveaux avions… On ne pourra continuer juste avec des avions de 18 places, a dit le ministre. Air Canada avait des avions assez importants. Il faut penser plus loin et à long terme. »

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François Bonnardel, ministre québécois des Transports

François Bonnardel estime que ces entreprises auront probablement besoin d’aide pour assurer ces liaisons. Québec a déjà mis en place un programme de 40 millions pour les aider durant la pandémie. La décision d’Air Canada et la pandémie qui se poursuit lui font croire que le programme pourrait être renouvelé.

« On va avoir besoin de l’aide du fédéral si on doit poursuivre le programme d’aide dans les prochains mois », a prévenu François Bonnardel, qui attend que son homologue fédéral, Marc Garneau, le rappelle.

Le maire des Îles-de-la-Madeleine, lui, pense que les régions et Québec doivent travailler ensemble pour trouver un remplaçant à Air Canada.

« Une compagnie raisonnable aurait demandé une discussion avec les élus pour trouver des solutions, c’est comme ça qu’on aurait dû travailler avec Air Canada », dit Jonathan Lapierre.

« Je suis en train de me demander si Air Canada fait encore partie de la solution pour les régions du Québec, lâche-t-il. J’ai presque la réponse. »

« Honteux », selon Diane Lebouthillier

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Diane Lebouthillier, députée fédérale de Gaspésie—Les Îles-de-la-Madeleine

La députée fédérale de Gaspésie–Les Îles-de-la-Madeleine n’a pas mâché ses mots jeudi quand La Presse l’a jointe pour réagir à la suspension indéfinie par Air Canada de 30 lignes régionales au pays. « C’est honteux, la manière dont Air Canada s’est comportée auprès des gens des régions, des gens des [ordres] municipal, provincial et fédéral. Moi, j’ai appris la nouvelle dans La Presse », a lancé Diane Lebouthillier. Mme Lebouthillier était aux Îles-de-la-Madeleine jeudi pour une annonce. Le maire Lapierre lui a fait part de ses inquiétudes. Le caucus libéral veut selon elle amorcer une réflexion sur la suite des choses. « Pour nous, ce qui va être important sera de travailler en concertation avec tout le monde, les différents [ordres] de gouvernement. » L’élue est directement touchée par l’annonce de mardi. Elle prenait régulièrement des vols d’Air Canada de Gaspé vers Québec puis vers Ottawa. Pascan Aviation offre des vols de Gaspé à Saint-Hubert. Mais la logistique pour se rendre à Ottawa ensuite risque d’être difficile, note Mme Lebouthillier. « Nous sommes plein d’élus à travers le pays dans cette situation », dit-elle.

 – Gabriel Béland, La Presse

Marc Garneau déçu

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Marc Garneau, ministre fédéral des Transports

Le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, juge « très décevante » la décision d’Air Canada de réduire ses services en région. « Il s’agit d’une situation malheureuse », a-t-il déclaré jeudi par l’entremise de son attachée de presse. Le ministre n’a toutefois apporté aucune solution pour maintenir une desserte aérienne dans les communautés touchées. « Nous comprenons les conséquences que ces réductions de service auront sur de nombreux Canadiens à travers le pays et nous continuerons de travailler avec les compagnies aériennes et les aéroports en cette période difficile », a-t-il déclaré. Le ministre québécois n’était pas disponible pour une entrevue jeudi.

 – Louis-Samuel Perron, La Presse

Remboursés ou pas ?

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRECHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Un avion d'Air Canada Jazz à Havre aux Maisons, le 30 novembre 2018

La suspension de plusieurs liaisons régionales soulève une question bien légitime : les voyageurs qui se retrouvent avec des billets pour des vols qui n’auront pas lieu seront-ils remboursés ou pas ? À cette question, une porte-parole d’Air Canada n’a pas répondu directement jeudi. « Air Canada contactera les clients concernés et leur offrira certaines options qui tiendront compte des circonstances particulières actuelles », a expliqué Pascale Déry. Un courriel envoyé par l’entreprise à des clients laisse croire que seuls les voyageurs qui avaient acheté des billets remboursables seront remboursés. Ces billets sont habituellement plus chers. Pour les autres, l’entreprise offre notamment des bons de voyage sans date d’expiration ou encore des milles Aeroplan.

 – Gabriel Béland, La Presse

Jusqu’à quand ?

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Air Canada ne dit pas si les lignes régionales suspendues indéfiniment reprendront un jour.

Frappée de plein fouet par la COVID-19, Air Canada avait suspendu temporairement plusieurs lignes régionales au pays en mars. Les vols avaient déjà cessé. Mardi, elle a annoncé que 30 d’entre elles, dont 8 au Québec, étaient désormais suspendues indéfiniment. La liaison entre les Îles-de-la-Madeleine et Montréal sera quant à elle suspendue dès le 8 septembre. L’entreprise ne dit pas si les vols reprendront un jour.

 – Gabriel Béland, La Presse