Il était à peine midi quand j’ai remonté à pied la rue Principale, à Magog. Des employés du Liquor Store s’affairaient à préparer la grande terrasse de cette institution. Devant tous les restaurants, on avait mis des pancartes où était inscrite en grosses lettres la mention « Enfin ouvert ».

Des odeurs de viande grillée, d’oignon caramélisé et de bouillon en réduction m’ont monté au nez. Dieu que c’était réconfortant ! Réconfortant comme l’était la senteur des steaks au beurre que je reniflais lorsque, jeune camelot, je revenais de faire ma « run » vers 18 h.

Les restaurateurs ont recommencé à vivre et à nous nourrir lundi. Du moins dans les régions situées hors du Grand Montréal. Ils avaient hâte de retrouver leurs clients, hâte de hurler les commandes aux cuisines, hâte de faire ce qu’ils ont de mieux à faire dans la vie.

« Redémarrer après trois mois, c’est comme repartir à zéro, m’a dit Alain Roger, propriétaire du restaurant du même nom. Il faut faire les fonds, les sauces, et cetera. Ce matin, on avait des papillons dans le ventre. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Alain Roger, propriétaire du restaurant du même nom, et la serveuse Ashly Faucher s’entretiennent avec les clients Louise et Jean-Marie Charron, accompagnés de leur petit-fils Maxime, 5 ans.

Pendant les dernières semaines d’inactivité, Alain Roger a vendu des repas en libre service à ses fidèles clients. Du sous-vide ou du prêt-à-manger. Mais un restaurant n’est pas une bibliothèque ou un centre de location d’outils.

Alain Roger brûlait d’envie de retrouver le contact avec ses clients. Surtout, de leur offrir un cadre où il y a de la vie, des voix, du mouvement, des exclamations de satisfaction. « C’était bon jusqu’à la dernière bouchée », a justement dit très fort une cliente au patron.

Lorsque je suis arrivé dans ce restaurant, trois tables étaient déjà occupées. Mario et Marie avaient très hâte de revenir dans ce lieu qu’ils fréquentent assidûment. Un bol de moules devant lui, Mario a enchaîné les blagues. « Il ne faut pas nous photographier, je suis avec ma maîtresse, a-t-il à mon collègue photographe. Ben non, c’est ma conjointe. »

Non loin d’eux, il y avait un autre couple, André et Josée. En tenue de cyclistes, ces deux retraités étaient partis de Sherbrooke pour venir à Magog. « On fait souvent de longues randonnées de deux ou trois jours, m’ont-ils raconté. C’est impossible de faire cela en ce moment. Venir jusqu’ici et pouvoir manger au restaurant fait toute une différence. C’est notre première grande randonnée de l’année. »

Ashly, l’unique serveuse à la Table Alain Roger, lundi, allait et venait entre les clients. Elle portait une visière. « Ça me fait drôle, car je m’entends parler très fort. Je vais m’habituer », a-t-elle dit en m’apportant un foie de veau et des frites-mayonnaise que j’ai engloutis à la vitesse de l’éclair.

Sur les tables, on n’avait disposé que des choses pouvant être désinfectées. Pas de salière, pas de poivrière, pas de corbeille à pain. Ashly veillait aux moindres désirs des clients, même ceux de Maxime, 5 ans, venu avec ses grands-parents. Le petit garçon a exigé « beaucoup » de poivre sur ses spaghettis.

« Regarde, mamie, quand on roule les spaghettis dans la cuillère, il faut d’abord les soulever très haut au-dessus de l’assiette ». Les sparages de Maxime ont amusé tout le monde.

Même si Alain Roger avait du mal à contenir sa joie, il a quand même râlé un peu contre les mesures de distanciation physique, qu’il trouve exagérées. « Je possède une soixantaine de places. Si je devais respecter les règles, ça me ferait 20 places. C’est impossible d’être rentable. À force de jouer avec les tables et les chaises, j’en ai créé 30. »

Alain Roger espère que la belle saison sera bonne pour lui. Les commerçants du coin ont connu un été 2019 particulièrement éprouvant à cause de travaux de réfection qui se sont étalés d’avril à novembre. Alors qu’ils croyaient pouvoir enfin jouir des effets de cette transformation, la crise de la COVID-19 leur est tombée dessus.

« J’avoue que c’est un coup dur, m’a confié Alain Roger. Honnêtement, il faudrait fermer la rue et permettre la création de grandes terrasses. Ça serait une bonne façon de nous aider. »

Tous les clients à qui j’ai parlé lundi m’ont dit que les restaurants leur avaient beaucoup manqué ces derniers mois. Cuisiner matin, midi et soir finit en effet par nous transformer en Maman Taillefer. Je ne sais pour vous, mais j’avais l’impression d’avoir toujours une spatule dans une main et un épluche-légumes dans l’autre.

La réouverture des commerces a signifié le retour de services. Mais allez savoir pourquoi, le retour des restaurants symbolise davantage le rapprochement de la vie normale. Lundi, j’ai eu l’impression de reprendre le fil. Tous les éléments me disaient que les choses revenaient comme avant.

Même la petite musique d’ascenseur jazzy que le restaurant faisait jouer y contribuait.

C’est pour vous dire.

Les restaurateurs ont recommencé à vivre et à nous nourrir lundi. Et il y en a beaucoup pour l’âme.