Des séries télé comme Unité 9 et Orange Is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans cette série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Actuellement, nous vivons un désastre mondial digne d’un roman de Robin Cook ou de Stephen King. Les films catastrophe peuvent aller se rhabiller. Aucun d’eux n’a proposé un confinement des individus à l’échelle planétaire. Aucun d’eux n’a envisagé que l’ennemi serait invisible. C’est d’ailleurs ce qui fait le plus peur. Du moins, pour tous ceux qui sont en mesure de comprendre la gravité de la situation actuelle.

Naturellement, il y a les « covidiots » qui, au contraire des préceptes de la foi, n’arrivent pas à croire ce qu’ils ne voient pas. À l’opposé, il y a aussi ceux dont les croyances leur laissent supposer qu’une intervention surnaturelle mettra fin à cette calamité. Sans compter tous ceux qui, le regard centré sur leur nombril, considèrent qu’ils y contemplent le monde. Alors, il est tout à fait normal que ces « covidiots » augmentent la frustration chez les citoyens moyens.

Chers lecteurs, chères lectrices, vous n’aurez aucun mal à concevoir les contrariétés engendrées par notre confinement presque total. Surtout que nos « covidiots » ne sont pas nos voisins de palier ou de rue, mais bien certains de nos voisins de chambre. Nous partageons tout le reste : les corridors, les salles de bains, l’escalier, les salles de séjour, la cuisine et le téléphone.

Du côté du Service correctionnel, les membres du personnel ont fourni leur part d’efforts dans le cadre de la présente crise. Les agents portent masque et gants pour faire leurs rondes et nous ont informés des différents symptômes de la maladie à coronavirus, ainsi que des mesures à prendre pour l’éviter. Comme toujours, ils ont complété l’information avec la distribution d’affiches démontrant les principes d’un lavage de mains efficace et un rappel de la distanciation préconisée… même si ces informations nous parviennent en continu des réseaux de télévision et de radio.

Néanmoins, nul n’est plus aveugle que celui qui ne veut pas voir ou n’est plus sourd que celui qui ne veut rien entendre.

Quand le ton monte

Que dire quand l’odeur de notre cuisine attire le ou les pique-assiette de notre unité en quête d’un repas prêt et gratuit ?

Que dire lorsqu’on se fait tourner autour malgré nos efforts de distanciation ? Que dire quand, derrière notre dos, on entend une de nos compagnes ridiculiser notre désir de suivre les recommandations ?

J’ai même eu droit à une tape sur les fesses; il m’a fallu rappeler que le geste ne pouvait se faire à une distance de deux mètres. Devant ces inepties, on ne peut que monter le ton et froncer les sourcils pour ces malentendantes !

Plus encore !

C’est en vivant 24/7 avec nos consœurs que les différences de caractère font le plus de dommages. Habituellement, nos horaires de travail et de loisir nous tiennent loin de celles qui nous contrarient. Bien des conflits surviennent à cause de nos différences culturelles, de nos croyances, de notre façon de vivre ou de notre conception personnelle de l’hygiène; des différends souvent difficiles à concilier.

Aujourd’hui, nous y sommes confrontées de plein fouet. Dans ce confinement obligatoire, il ne nous reste qu’une seule échappatoire : notre chambre. Derrière notre porte fermée, nous n’avons pas le choix de nous accommoder d’un plus grand isolement. Pour ma part, cela vaut mieux que la discorde et j’ai la chance d’habiter dans l’unité à sécurité minimum.

Toutefois, je soupçonne qu’il n’en est pas de même pour les résidantes des autres unités. Il est probable que quelques tapes sur la gueule se sont envolées discrètement… ou non.

La cerise sur le gâteau

Tout ce qui précède n’est pas plaisant, mais ce qui fait vraiment mal, et je parle au nom de toutes, c’est l’absence des rencontres avec les membres de notre famille et l’appui de nos amis. Déjà que le manque de contacts physiques est un anxiogène important de l’incarcération.

Essayez d’imaginer une mère de famille qui ne peut plus voir ses enfants pendant cet isolement préventif. Que peut-elle leur dire pour les consoler de cette séparation ? Croiront-ils, dans bien des cas, que ce n’est qu’un nouveau mensonge de la mère, même si celle-ci tente désespérément de reprendre le contrôle de sa vie ?

Le confinement excessif, nécessaire en cette période de crise sanitaire, engendrera une fragilisation des relations familiales des détenues.

À l’inverse de mes habitudes, je termine cette chronique sur une idée plutôt inquiétante qui m’est venue lors d’une conversation avec un scientifique que je connais. Si la maladie à coronavirus de la COVID-19 peut infecter nos animaux familiers, peut-on présumer que ce virus pourrait aussi infecter certains mammifères sauvages qui nous entourent, se transformer, et revenir à la charge dans la population humaine ? On aura beau vacciner tout le monde lorsqu’on aura trouvé un vaccin, il sera difficile d’exterminer cet ennemi, si cette théorie devait s’avérer. Peut-être devrions-nous désinfecter les rues de nos villes comme l’Espagne ? J’espère de tout cœur que ce relent de soufre n’est pas la porte d’entrée qui mène à l’enfer.

* Il s’agit d’un nom fictif pour protéger la détenue.