Printemps 1971. Le Canadien est en séries. Oui, ça se peut. Mais on ne s’enthousiasme pas trop. Boston est la puissance du circuit. Bobby Orr est le meilleur joueur de hockey au monde. Et Phil Esposito, le plus opportuniste. Les Bruins ont terminé 24 points devant le Canadien. Les deux équipes s’affrontent en quarts de finale. Ça ne devrait pas être long. Surtout que dans les buts, le Tricolore a un inconnu, avec un drôle de masque qu’on dirait gossé à Saint-Jean-Port-Joli. On sait à peine écrire son nom : Ken Dredyn ou Ken Drydin.

Ce fut long. Grâce à Ken Dryden, le Canadien élimine Boston, en sept matchs. Mon idole, Jean Béliveau, brille lors d’une remontée historique. Le CH perdait 5 à 1 en deuxième période, au Garden des Bruins. Il en sort avec une victoire de 7 à 5. Un petit miracle.

Tout le monde à Montréal se met à rêver à la Coupe Stanley. Oui, ça se peut. Après avoir éliminé les North Stars du Minnesota, le Bleu-blanc-rouge affronte les Black Hawks de Chicago, en grande finale. L’autre puissance de la ligue. Avec Bobby Hull, Stan Mikita et l’autre Esposito.

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Henri Richard tente de récupérer la rondelle lors du quatrième match de la série finale de la Coupe Stanley, le 11 mai 1971.

Chicago gagne les deux premiers matchs à domicile. Le Canadien, les deux suivants au Forum. Chicago remporte le cinquième match chez lui, le Canadien, le sixième à Montréal. Bref, les deux équipes gagnent quand elles jouent chez elles. Le septième et ultime match a lieu à Chicago. Avantage Black Hawks.

J’ai les yeux à deux pouces de l’écran noir et blanc. Ce match-là, je vais m’en souvenir toute ma vie. C’est certain. 

Chicago prend les devants 2 à 0. Tony Esposito, le gardien des Hawks, est au sommet de son art. Il bloque tout. Finalement, ça prend un boulet de Jacques Lemaire pour réduire l’écart : 2 à 1. On a compté, mais on perd encore. Qui jouera les héros, cette fois ? Béliveau, sûrement. Ou Frank Mahovlich. Ou son petit grand frère Pete. Peut-être Cournoyer.

Non, ce sera celui qu’on oublie trop souvent.

Si le hockey était du cinéma, Henri Richard serait le meilleur rôle secondaire de tous les temps. Le Joe Pesci de la rondelle. C’est génétique. Il est le frère de la légende. Le frère de l’émeute. Le frère de Maurice Richard. Le trésor national. Le surnom de Maurice Richard est le Rocket. La fusée. Celui d’Henri Richard est le Pocket Rocket. La fusée de poche. Un peu réducteur. Car Henri n’a rien de poche. C’est un joueur extraordinaire. Pas aussi flamboyant que Maurice. Mais aussi acharné. Pas autant de puissance, mais autant de caractère. Toute sa carrière, il la passe dans l’ombre de Maurice, puis dans celle de son dauphin, Béliveau. Mais Henri se fout d’être dans l’ombre, tant que la lumière rouge s’allume.

Durant ces séries de 1971, on a surtout entendu parler de lui, pour son conflit avec l’instructeur du CH, Al MacNeil. Henri n’aime pas la façon dont McNeil gère l’équipe. Des joueurs qui contestent l’autorité ? Oui, ça se peut.

Fin de la deuxième période à Chicago, c’est toujours 2 à 1 pour l’équipe préférée de Paul Houde. Le Pocket Rocket effectue une belle pièce de jeu, et c’est 2 à 2. Dans les dents du coach !

Richard a fourni sa part d’efforts. De bon deuxième. Il a mis la table. Qui sera le grand héros, maintenant ? Celui qui marquera le but gagnant. Celui qui donnera la Coupe Stanley à son équipe. Ça ne peut pas être Maurice, il ne joue plus depuis une décennie. Alors, ce sera Béliveau. Capitaine, ô capitaine, va la mettre dedans.

Début de la troisième période, Henri Richard fonce sur Tony Esposito, comme un aigle sur sa proie. Un aigle argenté. J’ai oublié de vous dire. Henri Richard a les cheveux argent. Plus gris et blanc que ceux de mon père. Et ça a toujours impressionné l’enfant que je suis. La plupart des joueurs de hockey sont pour moi des grands frères. Henri Richard est un père. Un vieux père. En 1971, il n’a pourtant que 35 ans. Mais son 35 a l’air du nouveau 55. Bref, il n’est pas celui à qui je m’identifie. Ce sera la victoire de ceux qui ressemblent à papa. Respect.

Car Richard ne fait pas que foncer vers Esposito, il glisse la rondelle dans le filet : 3 à 2. Ça se termine ainsi. Le Canadien remporte la Coupe Stanley, grâce à deux buts du petit Henri. 

L’année suivante, le coach mal aimé s’en va, et le numéro 16 devient le capitaine du club. Il soulèvera la Coupe Stanley une autre fois, en 1973, avant de prendre sa retraite.

Durant sa carrière, il aura remporté la Coupe Stanley à 11 reprises. Plus que n’importe quel joueur du passé et du présent. Et sûrement plus que n’importe quel joueur de l’avenir. Voilà pourquoi, pour moi, Henri Richard est Monsieur Printemps. Le parfait joueur des séries. Prêt à faire toutes les petites besognes, à se replier, à contrer son homme, à relancer l’attaque, à aller dans les coins, à en sortir avec la puck, à manger des coups et encore des coups, pour que l’équipe gagne. Pour que les boys soient heureux.

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Le capitaine du Canadien, Henri Richard, soulève la Coupe Stanley en 1973.

Henri Richard a perdu la mémoire beaucoup trop jeune. Lui qui avait dans sa tête et dans son cœur plus de printemps et de Coupes Stanley qu’aucun être humain n’en aura jamais. À nous d’honorer sa mémoire, comme il le mérite. Avec autant d’honneur que pour Maurice et le grand Jean. Parce qu’aussi doués qu’aient été Maurice Richard et Jean Béliveau, ils ne seraient jamais devenus les monuments qu’ils sont sans Henri Richard.

Henri Richard est le représentant de toutes ces personnes qui n’obtiennent pas la reconnaissance qu’elles devraient obtenir, pour leurs réussites, mais qui s’en foutent, parce qu’elles ne font pas ça pour ça. Elles jouent pour l’équipe, pour leur famille, pour le pays, pour le monde.

Lors du septième match de la finale de la Coupe Stanley, en 1971, le Pocket Rocket a prouvé qu’un excellent rôle secondaire est bien capable de jouer le premier rôle, quand l’histoire l’exige.

Paix à votre âme, Monsieur Henri.