« Ici, au Zoo de Falardeau, derrière chaque animal, il y a une belle histoire. »

C’est comme ça que Daniel Gagnon présente son zoo dans ses pubs télévisées, au Saguenay. Comme un sanctuaire. Une arche de Noé pour les animaux perdus, éclopés, rejetés, maltraités.

Lui, c’est Noé, bien sûr. Le sauveur.

PHOTO JULIEN RENAUD, LE QUOTIDIEN

Daniel Gagnon propriétaire du Zoo de Falardeau

« Ah, c’est sûr qu’on ne pourra pas sauver tous les animaux de la planète, mais les quelques individus qu’on aura pu sauver, ça nous donne une très grande satisfaction », dit-il dans une vidéo décrivant sa « mission », sur son site web.

« Venez nous voir chez nous, et vous verrez des beaux animaux qui ont été sauvés de toutes sortes de malheurs. »

À la lumière d’une enquête-choc du Quotidien, publiée la semaine dernière, un correctif s’impose. Daniel Gagnon aurait dû dire : « Venez nous voir chez nous, et vous participerez à une entreprise d’exploitation animale digne d’une autre époque. »

Ou encore : « Ici, au Zoo de Falardeau, derrière chaque animal, il y a une histoire de cruauté. »

Une chèvre met bas dehors, par temps glacial ; son chevreau est retrouvé le lendemain, mort gelé. Un ours est castré, des félins sont amputés par des employés sans la moindre compétence en chirurgie. Blessé, un léopard de l’Amour, espèce au bord de l’extinction, est négligé pendant des jours, au point d’en mourir.

Les témoignages d’une dizaine d’ex-employées du zoo récoltés par la journaliste Laura Lévesque donnent froid dans le dos.

Ce qui se passe dans le rang 2 du village de Saint-David-de-Falardeau serait pire encore que ce qui se passait au Zoo de Saint-Édouard, en Mauricie. Là-bas, l’établissement a dû fermer ses portes, l’an dernier. Le propriétaire, Normand Trahan, doit maintenant répondre à des accusations de négligence et de cruauté animales, une première au Québec.

Le même sort pourrait attendre Daniel Gagnon. La Sûreté du Québec a ouvert une enquête sur le Zoo de Falardeau.

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Daniel Gagnon a refusé de m’accorder une entrevue. Au Quotidien, la semaine dernière, il a accusé les ex-employées d’avoir raconté un « tissu de mensonges », par vengeance.

Mais c’est Daniel Gagnon lui-même qui prend des libertés avec la vérité. « Un dromadaire ne peut pas être mort gelé, car j’en ai un seul et il est toujours vivant », a-t-il plaidé au Quotidien.

Pas de chance, la journaliste a retracé une photo montrant qu’il y a bel et bien eu un couple de dromadaires au zoo…

En 2017, alors que ses méthodes suscitaient déjà la controverse, Daniel Gagnon a assuré que l’Association des aquariums et des zoos accrédités du Canada (AZAC) avait visité son établissement et l’avait félicité pour son travail.

Problème : l’AZAC n’y avait jamais mis les pieds !

Le proprio ne se gêne pas non plus pour raconter de glorieux sauvetages d’animaux. Comme l’histoire de Star, un bébé orignal expulsé du ventre de sa mère quand cette dernière a été heurtée par une voiture. Expédié d’urgence au Zoo de Falardeau, le bébé orignal a succombé au bout de quelques jours.

Daniel Gagnon a tenu ça mort.

« Il y avait un autre orignal sur le site, du même âge environ. On disait aux clients que c’était Star », a révélé une ex-employée.

Mais ce n’est pas ça, le pire.

Le pire, c’est que Daniel Gagnon laisse des centaines, des milliers de visiteurs manipuler des bébés animaux à longueur de journée en leur faisant croire que c’est pour leur bien.

Alors que c’est tout le contraire.

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Daniel Gagnon appelle ça « la pouponnière ». C’est son fonds de commerce : au Zoo de Falardeau, tout le monde peut caresser des lionceaux, des tigreaux, des bébés kangourous.

Une ex-employée appelle plutôt ça « le cimetière ». Séparés de leur mère à la naissance, manipulés pendant des heures par une enfilade d’inconnus, des bébés finissent par tomber d’épuisement. D’autres meurent carrément de stress.

PHOTO JULIEN RENAUD, LE QUOTIDIEN

Un tigre du Zoo de Falardeau

Daniel Gagnon défend ses pratiques. Il existerait même, quelque part, une « abondante littérature » prouvant les bienfaits de son approche auprès des bébés animaux.

J’ai cherché cette littérature. Je ne l’ai pas trouvée. J’ai même demandé à son avocat de m’éclairer, sans succès.

« Malheureusement, ça s’est fait dans le passé. Mais on n’approuve plus ces pratiques », dit Rachel Léger, directrice par intérim de l’AZAC. Ces « programmes à selfies », dit-elle, sont des résidus d’une autre époque, celle où les animaux étaient considérés comme des objets. Ces méthodes sont dépassées.

Dépassés, aussi, les « roadside zoos » comme ceux de Falardeau et de Saint-Édouard, estime Rachel Léger.

En 2020, ça ne devrait juste plus exister.

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Il y a encore plus de 200 « roadside zoos » au Canada. Ils sont voués à disparaître, comme ont disparu les cirques ambulants, les hommes éléphants et les femmes à barbe.

Ces ménageries n’ont pas la moindre mission d’éducation ou de conservation, comme le Biodôme de Montréal, le Zoo de Granby ou le Zoo sauvage de Saint-Félicien, trois des sept organismes accrédités par l’AZAC au Québec.

Les « roadside zoos », eux, ne servent qu’à divertir les foules. Au Québec, il suffit d’obtenir un permis du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs pour s’improviser zoologiste.

« Il faut resserrer les lois, plaide Rachel Léger. Mieux vaut prévenir que guérir. C’est toujours plus difficile de fermer un zoo problématique, parce que ça implique des pertes d’emplois. »

La mairesse de Saint-David-de-Falardeau, Catherine Morissette, soulignait d’ailleurs la semaine dernière que le zoo constituait un attrait récréotouristique majeur pour son village.

Il fallait tout de même faire preuve d’un aveuglement volontaire impressionnant pour ne rien soupçonner. La mairesse s’est dite « estomaquée » par l’enquête du Quotidien. « Personne n’a vu ça venir », a-t-elle juré.

Une simple recherche dans les archives des médias régionaux montre pourtant que, depuis cinq ans, les pratiques de Daniel Gagnon ont été montrées du doigt à maintes reprises.

Chaque fois, le proprio a trouvé des arguments hallucinants pour clouer le bec à ses critiques.

En mars 2017, par exemple, il s’est défendu de faire preuve de cruauté en arrachant les bébés animaux à leur mère. À la radio locale, il a demandé : « Quand la DPJ enlève des enfants dans une famille parce qu’ils ne sont pas bien et qu’elle les met en foyer d’accueil, est-ce que la DPJ fait des choses qui ne sont pas correctes ? »

Avouez que l’argument défie toute logique.

En 2015, déjà, Daniel Gagnon prétendait que mettre les bébés animaux entre les mains des visiteurs était une pratique « courante en Ontario, à Bowmanville, par exemple ».

Voilà qui est rassurant. D’autant que l’année suivante, Daniel Gagnon a sauvé une girafe « en détresse » venant d’un zoo fermé pour avoir maltraité ses animaux. Le zoo… de Bowmanville !

Oh, et pour finir, savez-vous où se retrouvent les animaux du Zoo de Falardeau une fois qu’ils sont devenus trop gros (et trop dangereux) pour être tripotés par les visiteurs ?

Daniel Gagnon les vend à d’autres zoos. Dans le passé, il en a souvent vendu… au Zoo de Saint-Édouard.

Parlez-moi d’une belle retraite.