(Ottawa) Les fantômes des manifestations autochtones passées n’en finissent plus de hanter le gouvernement fédéral au moment où il tente de mettre un terme de façon pacifique aux différents blocus qui perturbent la circulation ferroviaire au pays depuis plus de deux semaines.

Oka. Ipperwash. Caledonia. Gustafsen Lake.

Tous ces noms évoquent des affrontements violents pour mettre un terme à une occupation menée par des Autochtones.

Vendredi, lorsqu’il a appelé les corps policiers à exécuter les injonctions et à démanteler les barricades bloquant les voies ferroviaires, le premier ministre Justin Trudeau a souligné la nécessité d’en arriver à une résolution pacifique du conflit. Il s’est inquiété d’un nouvel Oka.

Oka. En 1990, un policier a trouvé la mort lorsque la Sûreté du Québec a tenté de déloger des manifestants autochtones qui occupaient une pinède afin de protester contre l’agrandissement d’un terrain de golf. La crise ne dura pas moins de 78 jours et l’armée fut appelée à intervenir. Les relations entre les Mohawks et les non-autochtones s’envenimèrent à ce moment-là. On vit un convoi de femmes, d’enfants et de personnes âgées autochtones fuyant Kahnawake se faire lapider par des Blancs.

« L’histoire nous a appris comment les gouvernements peuvent aggraver les choses s’ils n’épuisent pas toutes les autres voies », a dit M. Trudeau.

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La crise d’Oka ne dura pas moins de 78 jours et l’armée fut appelée à intervenir.

Mais personne ne semble avoir appris la leçon au cours des 60 dernières années. L’histoire se répétera tant et aussi longtemps que les gouvernements ne parviendront pas à résoudre les revendications territoriales autochtones, selon le directeur général de l’Institut Yellowhead de l’Université Ryerson de Toronto, Hayden King.

« Dans toute l’histoire du Canada, les Canadiens ont voulu accéder à la terre. Ils veulent utiliser la terre, ils veulent en extraire des ressources. Cet intérêt primordial a prévalu, mais cela créait un préjudice important et nuisait violemment aux peuples autochtones, soulève-t-il. Nous en sommes à un moment de l’histoire où toutes ces confrontations violentes culminent au point où nous en sommes. Il n’y a pas de voie claire pour régler ce problème dans un climat de prétendue réconciliation. »

Au début de la crise, M. Trudeau avait adopté un ton nettement différent en prêchant la patience.

Michael Coyle, un professeur de droit de l’Université Western, dit qu’il s’agissait de la bonne stratégie qui est « beaucoup plus susceptible d’aboutir à un résultat mutuellement convenu et respectueux ».

Il croit que les corps policiers ont appris des erreurs passées et que le recours à la force peut mettre la vie d’autrui en danger.

Une leçon sans doute apprise après 1995. Cette année-là, des membres de la Première Nation de Stony Point, en Ontario, avaient occupé le parc provincial d’Ipperwash. Sous la pression du gouvernement provincial, des agents de la police provinciale en tenue antiémeute avaient tenté de les expulser. Dans la confusion qui a suivi, un manifestant autochtone, Dudley George, a été tué par balle.

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Le parc provincial d’Ipperwash

Une enquête subséquente a vivement critiqué la Police provinciale de l’Ontario pour ne pas avoir éduqué ses agents sur les droits des autochtones ou discipliné certains des agents ouvertement racistes impliqués dans l’opération. Il a également critiqué la police et le gouvernement pour ne pas avoir essayé de communiquer avec les manifestants ou de négocier la fin de l’occupation du parc.

D’autres affrontements violents n’ont pas réclamé de vie humaine.

En 2006, les Mohawks des Six Nations de la rivière Grand ont occupé un chantier de construction sur un terrain revendiqué par cette communauté au sud-ouest de Hamilton. Les résidents locaux ont accusé les Autochtones de harcèlement, d’intimidation et de sabotage avant de reprocher à la Police provinciale de ne rien faire pour les protéger. L’occupation a duré 52 jours avant une intervention des forces de l’ordre au cours de laquelle 16 personnes avaient été arrêtées. Plusieurs policiers avaient été blessés. Comme aujourd’hui, des Mohawks de Tyendinaga avaient bloqué les voies ferrées près de Belleville par solidarité.

En 1995, un éleveur a tenté de chasser un petit groupe d’Autochtones participant à une danse du soleil dans sa propriété, à Gustafson Lake. Ceux-ci considéraient qu’elle était située sur un territoire Secwepemc non cédé et ont refusé de partir. Quelque 400 agents de la GRC, appuyés par des hélicoptères et des véhicules blindés, ont été déployés sur les lieux. Des fusillades ont suivi au cours desquelles une femme autochtone a été blessée. L’impasse a persisté pendant plusieurs mois. L’opération policière a coûté 5,5 millions.