C’est une jumeleuse de cœurs qui m’en avait glissé un mot. Une quoi ? Une jumeleuse de cœurs. C’est ma traduction de matchmaker.

Janie Lamontagne a une agence de rencontres, Charme et Champagne. Elle fait des entrevues avec des clients, leur fait remplir un questionnaire, puis essaie de jumeler ces cœurs errants.

Je ne savais même pas que ça existait encore, des agences de rencontres. Je pensais que les algorithmes occupaient désormais tout le marché. Ça, et bien sûr les rencontres impromptues entre étrangers que tout sépare, devant le comptoir des saucisses – ou du tofu – chez IGA le vendredi, à 19h46…

Ça me semble un métier fascinant que celui de jumeleuse de cœurs. Il y a des chasseurs de têtes qui trouvent l’employé idéal pour des employeurs, il y a Janie Lamontagne qui est chasseuse de cœurs.

Bon, enfin, Janie Lamontagne m’a donc parlé de cette dame, en banlieue de ses 80 ans, qui cherchait encore l’amour…

Et la jumeleuse de cœurs tente d’aider cette femme à trouver l’amour.

Il me semble, m’a écrit Mme Lamontagne, que ça ferait une bonne chronique…

You bet, ai-je répondu.

Janie nous a mis en contact. J’ai parlé à cette dame, une dame très drôle, vive comme dix, qui semble avoir vécu cent vies et qui en a encore deux ou trois à vivre, j’en suis certain. Bref, je lui ai parlé de ce que j’envisageais de faire avec son histoire. Elle avait des réticences, peur d’être reconnue, de se sentir ridicule, vous savez, j’ai tellement souffert à cause de l’amour, monsieur Lagacé…

J’insistais subtilement, je lui expliquais que ce serait une histoire réjouissante, tellement universelle, j’égrenais mes arguments, sur la pointe des pieds – parlant de pieds, je me sentais vaguement comme un vendeur de chaussures à ce moment-là. Je ne me sens à peu près jamais comme un vendeur de quoi que ce soit dans mon métier…

Sauf quand j’essaie de convaincre quelqu’un de parler, de me raconter son histoire.

Je ne dois pas être un bon vendeur, car la dame a fini par dire non. Juste de me parler, là, sans engagement de sa part, juste essayer le soulier, ça la mettait dans tous ses états.

Son fils m’a écrit, plus tard : ça ne marchera pas, j’espère que vous comprenez…

Je comprends, je comprends tout à fait.

J’espère que la dame ne m’en voudra pas que je cite une chose qu’elle m’a dite au téléphone, quand elle m’a expliqué ce qu’elle attendait, après une vie à courir après l’amour, à ne pas le trouver, enfin, à ne pas le trouver tout à fait, sauf peut-être une fois, c’était un homme troublé, vous savez, mais il avait une lueur dans les yeux quand il me regardait, vous savez, cette lueur qui vous rend spéciale…

Cette dame en banlieue de ses 80 ans, encore vive, encore drôle, m’a dit ces mots terribles et magnifiques à la fois : « J’aimerais trouver l’amour avant de mourir. »

Il y a quelques années, j’ai fait une série sur l’amour. Sur toutes sortes de formes d’amour. C’était bien sûr pour la Saint-Valentin, cette fête inventée par les vendeurs de chocolat et les fleuristes…

Lisez la série sur l'amour

Et j’étais tombé sur un livre, Le monde s’est-il créé tout seul ?, dans lequel un botaniste tentait une explication sur l’origine de l’amour. Jean-Marie Pelt soupçonnait que l’infiniment petit était à l’œuvre dans ce qui fait battre nos cœurs, parce que l’univers est l’œuvre d’attirances : les quarks s’attirent trois par trois, ce qui donne les protons, les neutrons, les électrons…

Et ceux-ci s’attirent, donnent des atomes qui, en s’agglutinant, créent des molécules, puis des cellules, puis des tissus, puis des organes, ce qui crée des organismes…

Et ainsi de suite, jusqu’à la création d’individus, de sociétés. La nature est ainsi faite.

« Il y a tout le temps un mouvement d’attirance l’un vers l’autre […]. Il y a une loi de coalescence des identités […]. Il faut un spermatozoïde et un ovule pour créer un homme, un animal ou une plante. Au niveau humain, on appelle ça l’amour. »

Et le botaniste Pelt, dans ce livre, au milieu de textes sur la genèse de l’Univers, a écrit ceci : « L’amour, c’est la grande affaire, la grande question. »

J’ai demandé à la matchmaker Janie Lamontagne ce qu’elle avait appris sur l’amour, à force de chercher des cœurs qui pourraient battre à l’unisson…

Réponse : « C’est la plus grande force sur la planète. »

J’ai lu et relu cette phrase, je me suis demandé : mais merde, où ai-je entendu ça, qui m’a parlé très sérieusement de l’amour comme d’une force, une sorte de force élémentaire de l’Univers ?

J’ai fouillé dans ma messagerie, je ne trouvais pas, j’ai essayé des tas de mots clés…

J’ai fini par trouver : après une chronique, l’automne passé, une chronique sur Jacob, un chirurgien cardiaque m’a écrit. Il m’a raconté qu’il opérait à cœur ouvert avec un autre chirurgien qui fut autrefois son mentor. Un monsieur érudit, des lectures costaudes. « Un pur produit du cours classique perpétuel », m’écrivait le doc…

Un jour, son mentor lui a donné le livre de l’astrophysicien Stephen Hawking, Une brève histoire du temps, son grand ouvrage de pédagogie sur les mystères de l’Univers.

(Parenthèse : six ans avant sa mort, le scientifique de génie qui avait si bien expliqué les mystères de l’Univers s’est fait demander à quoi il pensait le plus dans une journée. Réponse : « Les femmes. Elles sont un mystère complet. »)

Lisez l'entrevue du New Scientist avec Stephen Hawking

Quelques semaines plus tard, donc, comme je vous le disais, pendant qu’ils opéraient, le vieux médecin a demandé à son collègue de lui résumer les quatre forces qui régissent l’univers, forces évoquées par Hawking dans le bouquin…

Réponse du doc : « Un, la force forte : les liens atomiques de la matière. Deux, la force faible, les liens covalents des molécules. Trois, la gravité, qui nous maintient sur Terre. Quatre, l’électromagnétisme, responsable des communications, etc. »

Très bien, a répondu le mentor, avant d’ajouter : 

« Et la cinquième ? »

Pendant que son collègue réfléchissait à ce qu’il avait bien pu oublier du livre de Stephen Hawking, le vieux chirurgien cardiologue lui a soufflé la réponse, qui n’est pas dans le livre…

« L’amour. »