On l’a traité de « boss des bécosses », on a fustigé ses tendances à l’autoritarisme, on a condamné son « mépris », son « arrogance » et son « cynisme ». Mais toutes ces attaques n’ont pas eu l’air d’ébranler le premier ministre du Québec.

En Chambre, vendredi, François Legault a invité l’opposition qui déchirait sa chemise à visiter non pas sa page Facebook – Dieu sait ce qu’on risque d’y trouver –, mais bien les centres commerciaux « pour demander aux gens s’ils souhaitent conserver les élections scolaires ou non ».

Là-dessus, j’avoue que M. Legault marque un point.

Si on m’apostrophait au Carrefour Laval avec cette question, je pourrais bien faire semblant d’accorder une importance capitale à la démocratie scolaire. La réalité, c’est que, comme 95 % de la population, je n’ai jamais pris la peine de voter pour un commissaire.

Mais le problème n’est pas là.

Le problème, c’est que la réforme que le gouvernement caquiste a imposée à toute vapeur aux parlementaires, par un week-end de tempête hivernale, ne fait pas seulement qu’abolir les élections scolaires. Tant s’en faut.

Le projet de loi 40 adopté sous le bâillon, presque en catimini, dans la nuit de vendredi à samedi, n’est rien de moins qu’une réforme tentaculaire qui chamboulera le réseau de l’éducation tout entier.

On parle d’une loi « mammouth » de 312 articles, touchant des éléments aussi cruciaux que la tâche des enseignants, leur formation, le choix de l’école, la révision de notes et bien d’autres choses encore – des choses qui n’ont rien à voir avec la gouvernance scolaire.

Avouez qu’on ne l’avait pas vue venir.

« Sous le couvert de cette idée d’abolir les élections scolaires, le gouvernement en profite pour faire une réforme énorme de la loi fondamentale en éducation au Québec, dont on n’a même pas pu débattre », a déploré Véronique Hivon, porte-parole péquiste en matière d’éducation, la semaine dernière.

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Cette réforme ne se fera pas sans douleur. Il y aura des pleurs et des grincements de dents.

Déjà, on se braque contre ce projet mal ficelé, mal défini. Les syndicats fulminent, tout comme les municipalités, les partis de l’opposition et, bien sûr, les commissaires, mis au chômage de façon abrupte et cavalière par un amendement de dernière minute, vendredi soir.

Ils ne méritaient pas d’être traités de la sorte. Ces hommes et ces femmes qui s’impliquent dans l’éducation de nos enfants, souvent depuis de nombreuses années, ont le sentiment d’avoir été jetés comme de vieilles chaussettes, sales et inutiles.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge

Mais le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, n’a visiblement pas le temps pour ce genre de considérations. Il a une réforme à mener. Il bulldoze les structures. Il ignore les avis d’experts. Il concentre les pouvoirs entre ses mains.

Ça ne vous rappelle pas quelque chose ?

Eh oui, la réforme Barrette.

Cette réforme qui a saccagé le réseau de la santé avait elle aussi été adoptée sous le bâillon, le 7 février 2015. Cinq ans plus tard, ça fait encore mal. « La pire réforme de la santé », titrait Le Devoir pas plus tard que samedi, à propos des bouleversements provoqués par l’ex-ministre libéral Gaétan Barrette.

« Des professionnels à bout de souffle, un accès aux soins toujours difficile, une gestion centralisée à l’extrême : cinq ans plus tard, l’ouragan Barrette se fait toujours sentir et laisse un réseau de santé affaibli », constate le quotidien.

Il me semble que, pour le gouvernement Legault, il y a bien une ou deux leçons à tirer de ce cataclysme.

Tout comme il y a des leçons à tirer de l’expérience du Nouveau-Brunswick, qui a aboli ses commissions scolaires en 1996… avant de les réanimer, cinq ans plus tard.

Les Néo-Brunswickois jugeaient que leur abolition avait entraîné une trop grande centralisation des pouvoirs.

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Pourrait-on s’éviter pareilles catastrophes ? Prendre le temps de bien faire les choses ?

Il semble que ce ne soit pas dans le style de la maison caquiste. On préfère l’efficacité aux palabres et aux débats sans fin.

On va de l’avant, quitte à écraser des orteils et à tourner les coins rond. L’important, c’est que ça bouge.

Le gouvernement en est déjà à son quatrième projet de loi adopté sous le bâillon en huit mois. Pour être efficace, c’est efficace. Mais est-ce la bonne marche à suivre ?

Pour justifier le bâillon, M. Legault a accusé ses adversaires de faire de l’obstruction. « Quand on est rendus à débattre pendant 70 heures avec l’opposition, puis que les mêmes arguments sont répétés continuellement, à un moment donné, il faut passer à l’action. »

Il y a sans doute du vrai là-dedans. Cela dit, que nos élus consacrent 70 heures à l’étude d’un projet de loi aussi majeur, c’est loin d’être un scandale en soi. D’autant plus que le ministre Roberge a lui-même prolongé le processus en déposant 80 amendements, signe que sa réforme était éminemment perfectible.

Elle l’est sans doute encore. Sauf que le bâillon empêche désormais les parlementaires d’en débattre et de l’améliorer. Au diable ces bavardages jusque tard dans la nuit au Salon bleu ! On a déjà trop perdu de temps. Y aura-t-il des ratés, du cafouillage ? « On verra », comme dirait M. Legault.

Avec un taux de satisfaction de 60 %, loin devant ses rivaux politiques, la CAQ n’a pas à s’en faire : elle a toujours le vent en poupe. Une majorité de Québécois apprécient ses méthodes efficaces, pour ne pas dire expéditives.

Pour l’instant, en tout cas.

Quelque chose me dit pourtant que, comme pour la réforme Barrette, le vent risque de tourner. Dans cinq ans, les journaux pourraient faire des bilans tout aussi critiques de la réforme Roberge.

Alors, il ne restera plus qu’à retourner dans les centres commerciaux pour tâter le pouls de la population.