Les récents coups d’éclat des antispécistes relèvent-ils du militantisme ou d’une forme de terrorisme ? C’est la question que beaucoup de gens se posent depuis l’intrusion spectaculaire d’un groupe de militants véganes dans le restaurant Joe Beef le 11 janvier dernier. Ou l’irruption inopinée d’une dizaine de militants dans une ferme porcine de Saint-Hyacinthe en décembre dernier. Ou la lettre anonyme envoyée cette semaine aux propriétaires du restaurant Manitoba accusant leur chef d’avoir « du sang sur les mains ».

Il n’est pas facile de voir clair dans les opérations que mènent ceux qui s’opposent à la « tuerie sauvage » dont les éleveurs d’animaux de consommation, les propriétaires d’abattoirs et les mangeurs de viande seraient à l’origine. Il y a de quoi brouiller n’importe quel citoyen, même celui qui aspire à devenir meilleur en recyclant, en compostant, en mangeant bio ou en trimballant sa tasse réutilisable tous les matins.

Un fabuleux exemple de ce brouillage est Rouen, ville française qui, pour faire un geste écologique, a présenté un projet consistant à transporter les écoliers… en calèche. Eh, boboy ! Que croyez-vous que les défenseurs des animaux ont fait ? Ils sont montés aux barricades. En voulant contenter les écologistes, on a déçu les militants qui prônent le bien-être animal. Pas facile d’y voir clair, vous dis-je.

Est-ce que ces militants vont trop loin ? Intrusion dans les abattoirs, vandalisme dans les restaurants, mises en scène sanguinolentes, les scénarios ne manquent pas. 

Ces gestes sont-ils le meilleur moyen pour parvenir à leurs fins ?

Quand je lis que des militants ont insulté des malvoyants dans certaines villes d’Angleterre (ils ont été traités de « monstres » et de « bourreaux ») parce qu’ils étaient aidés par un chien-guide, je me dis qu’on y va un peu fort. Les militants véganes ont parfaitement le droit d’exprimer leurs idées, mais ils n’ont pas à le faire en ayant recours à une forme exagérée d’intimidation ou à la violence.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Dimanche soir, la serrure du restaurant Manitoba, à Montréal, a été enduite de colle, ce qui a empêché les propriétaires d’y entrer. Un graffiti a également été laissé sur les murs de l’établissement.

Vous imaginez la paranoïa qui habite en ce moment les restaurateurs et certaines personnalités du monde gastronomique du Québec ? Plusieurs chefs cuisiniers ou auteurs de livres de recettes doivent être en train de revoir leur menu à l’heure où on se parle. Exit le bœuf et le porc !

Évidemment, on se demande pourquoi, en quelques semaines, des gestes radicaux ont soudainement été faits au Québec alors que des actions similaires ont lieu depuis longtemps aux États-Unis, en Europe et ailleurs au Canada. Aux conclusions scientifiques, qui démontrent que les animaux ont une conscience, s’ajoute une loi qui, depuis 2015, assure le bien-être et la sécurité de l’animal, une loi qui dit que « l’espèce humaine a une responsabilité individuelle et collective de veiller au bien-être et à la sécurité des animaux ».

J’étais curieux de savoir ce qu’Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal, pense de tout cela. Ce juriste, qui enseigne le droit animalier, est aussi végane. « On s’entend que lorsqu’il y a effraction, des peines doivent être appliquées, dit-il. Mais lorsqu’on commence à dériver et déraper comme ce fut le cas en Ontario et ailleurs dans le monde, ça donne des lois bâillons qui visent à assimiler ces activistes à des terroristes et appliquer des peines complètement démesurées. »

Alain Roy fait référence aux projets de loi déposés par l’Ontario et l’Alberta avant les Fêtes qui prévoient des amendes sévères pouvant aller jusqu’à 15 000 $ pour une première entrée par effraction dans un abattoir ou une ferme et jusqu’à 25 000 $ pour les suivantes. Au cours des derniers jours, le président de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau, de même que le président des Éleveurs de porcs du Québec, David Duval, ont demandé au gouvernement québécois d’agir et d’imiter ses homologues.

Si ce n’est pas une loi bâillon, je me demande c’est quoi. En tout cas, je trouve fascinant de voir que les malfaiteurs d’hier sont les héros d’aujourd’hui. Je rappelle que Steven Guilbeault a escaladé la tour du CN et il est aujourd’hui ministre. Je dis ça comme cela.

Alain Roy, professeur de droit à l’Université de Montréal

Certains trouvent que l’industrie de la viande se retranche derrière toutes sortes d’arguments fallacieux pour affirmer que les visites surprises des militants dans les abattoirs peuvent créer des problèmes de contamination ou qu’elles peuvent mettre en danger la vie des animaux. « C’est de la pure bullshit, poursuit Alain Roy. Si c’était vrai, ils accepteraient qu’on mette des caméras dans les abattoirs. Paul McCartney a déjà dit que ‟si les abattoirs avaient des fenêtres, tout le monde serait probablement végétarien ou végane”. »

Choquants ou pas, ces coups d’éclat ont toutefois l’avantage d’éveiller les consciences. Sans eux, il n’y aurait actuellement pas de débat à ce sujet. Et ce débat est essentiel.

L’histoire de l’humanité est faite de remises en question. Il y a un siècle et demi à peine, nous pensions encore que l’esclavage était quelque chose d’acceptable. Il y a 60 ans, on croyait que la place des femmes était dans la cuisine. Il y a 30 ans, on affirmait encore que l’homosexualité était une maladie mentale.

Que l’on soit d’accord ou pas avec les gestes des antispécistes, faisons quand même notre job d’humains et imposons-nous une réflexion sur ce qu’endurent les animaux avant qu’ils n’atterrissent dans nos assiettes.

Il y a une vidéo qui circule depuis quelques jours dont les images ont été prises par des militants dans une ferme porcine de l’Irlande. Ce que l’on y découvre est absolument insupportable. On y voit des porcs littéralement s’entredévorer. Des porcs mangent d’autres porcs alors que ces derniers sont encore vivants.

Certains diront qu’il s’agit là de l’instinct animal à son plus pur. D’autres penseront plutôt que nous sommes en face de la barbarie la plus absolue. Celle que les humains tolèrent.