Après le 11 mars, si vous souffrez d’une maladie mentale qui vous cause des souffrances graves, et si cette maladie est irréversible, vous allez pouvoir demander l’aide médicale à mourir au Québec.

Êtes-vous étonnés ?

Moi, oui. Je ne l’avais pas vue venir.

Mardi, les ministres Danielle McCann (Santé) et Sonia LeBel (Justice) ont tenu un point de presse pour annoncer que le critère de la fin de vie allait devenir inopérant pour déterminer si une personne peut avoir recours à l’aide médicale à mourir (AMM).

En cela, Québec agissait avec cohérence après avoir décidé de ne pas porter en appel le jugement Truchon-Gladu, deux personnes prisonnières de leur corps mais qui n’étaient pas en fin de vie… Et qui ne pouvaient donc pas recevoir l’AMM. Un jugement de la Cour supérieure rendu il y a quatre mois invalidait ce critère.

Bref, Québec a agi dignement en officialisant l’élargissement de l’aide médicale à mourir décrété par la Cour supérieure.

Mais à la 19e minute de la conférence de presse, la ministre de la Santé a été interpellée par un journaliste : et les gens qui souffrent de maladie mentale ?

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La ministre de la Santé, Danielle McCann

Réponse de la ministre : « Pour les personnes qui ont des problématiques de santé mentale, d’ailleurs, nous avons eu beaucoup de discussions à cet effet et, effectivement, le guide de pratique va être modifié dans le sens de vraiment avoir des mesures de sauvegarde, des éléments, qui nous permettent d’implanter l’aide médicale à mourir pour des personnes qui ont des troubles mentaux sévères et qui sont souvent réfractaires à tout traitement… »

Le guide de pratique, c’est celui du Collège des médecins. La ministre McCann a ajouté que l’aide médicale à mourir à des personnes atteintes de troubles mentaux ne toucherait que des « situations extrêmement exceptionnelles ».

Pour les maladies « physiques », deux médecins doivent approuver une demande d’aide médicale à mourir : il faudra probablement un troisième médecin – un psychiatre – pour les dossiers d’AMM touchant des maladies mentales.

Dès février, la Commission des soins de fin de vie va mener des consultations auprès des groupes qui représentent « les usagers et les proches aidants en santé mentale », a dit Mme McCann.

Je le dis en mettant des gants blancs : ce n’est pas suffisant, comme consultation, pour quelque chose d’aussi majeur.

Quand le Québec a décidé de se doter d’un cadre bien à lui pour l’aide médicale à mourir, ses députés ont mené entre 2009 et 2012 une vaste consultation publique sur la question, afin de déterminer quelles étaient les frontières du consensus québécois sur cet enjeu délicat.

Le consensus constaté par les députés québécois n’incluait pas, me semble-t-il, l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes de maladies mentales.

Je ne dis pas que les opinions n’ont pas évolué 10 ans plus tard, je ne dis pas que c’est une mauvaise idée. Je dis que les Québécois, là-dessus, n’ont pas été consultés. Je dis que sur un enjeu aussi sensible et délicat, ce serait une bonne chose de consulter les Québécois.

C’est aussi l’opinion de la députée péquiste Véronique Hivon, qui a lancé le débat de l’aide médicale à mourir au Québec. Elle était assez décoiffée, mardi, d’avoir appris en conférence de presse que les personnes vivant avec la maladie mentale pourront prochainement demander l’aide médicale à mourir.

Évidemment, a rappelé la ministre, ce sera « extrêmement exceptionnel ». Le Dr Michel A. Bureau, qui préside la Commission des soins de fin de vie, présent à la conférence de presse, a lui aussi souligné (en anglais) le caractère exceptionnel de ce type d’aide médicale à mourir.

Il a donné l’exemple de la Belgique, rare endroit où l’aide médicale à mourir pour cause de maladie mentale est permise : même là-bas, très peu de cas d’AMM pour maladie mentale sont approuvés, 50 cas par année sur 2000. Il anticipe la même proportion d’AMM pour maladie mentale au Québec. Sur 4000 cas au Québec depuis 2015, ça aurait représenté 100 personnes.

On peut dire que c’est modeste, mais on passe à côté de l’essentiel. L’aide médicale à mourir elle-même ne représente qu’une modeste partie des décès annuels au Québec.

Je ne pense juste pas que les Québécois ont été préparés à ce que des personnes souffrant de troubles mentaux puissent avoir accès à l’aide médicale à mourir.

Mardi soir, j’ai reçu un message tourmenté d’une femme dont la fille souffre de graves troubles de santé mentale. Elle a reçu comme une gifle cette annonce, qu’elle n’avait jamais anticipée, qui n’était pas sur son écran radar.

Je cite le message de cette mère : « Je suis sidérée qu’on balance ça dans l’espace public sans mesurer l’effet domino que ça peut avoir auprès des gens qui souffrent, et leur entourage. Je trouve ça irresponsable de balancer ça comme ça dans l’espace public sans avoir préparé les gens. »

Cette femme, comme d’autres, m’a dit l’extrême difficulté à obtenir un rendez-vous en psychiatrie pour sa fille. Elle a dû payer 2500 $ pour le privilège de faire voir sa fille par un psychiatre, au privé. Ironique, dit-elle : « On annonce aujourd’hui qu’on ajoutera un psychiatre aux deux autres médecins qui évaluent le dossier qui fait la demande d’AMM. Merveilleux, on n’a pas de psychiatres pour soigner les gens mais on en aura pour les aider à mourir ? »

J’ai toujours soutenu l’idée de l’aide médicale à mourir, au nom d’une certaine liberté face à son propre destin. Je ne dis même pas qu’élargir l’AMM aux gens dont la vie est minée par des troubles mentaux est mauvais. Ça se discute.

Je dis que les personnes comme cette mère que je cite ont le droit d’être consultées et entendues directement par les élus. Elles ne l’ont pas été, pas plus que les malades eux-mêmes.

Une version antérieure de ce texte indiquait par erreur que 4000 Québécois reçoivent l’aide médicale chaque année. Il s’agit du total depuis 2015. Nos excuses.