Vous ne vous en doutez probablement pas, mais le prochain message texte que vous recevrez va peut-être aider à sauver une église.

À travers le Québec, des antennes de transmission sont bien visibles sur plus d’une centaine de clochers, recherchés par les fournisseurs de téléphonie cellulaire parce qu’ils sont souvent les points culminants d’un secteur, tant en ville qu’en région.

Certains clochers sont garnis d’une quinzaine d’antennes, plus ou moins bien dissimulées selon l’architecture du clocher, qui peuvent rapporter jusqu’à 50 000 $ par année en location. Une bénédiction pour ces paroisses, en ces années de désaffection religieuse, alors qu’elles peinent à joindre les deux bouts et à rénover des bâtiments qui tombent en décrépitude.

20 % du budget

« Les revenus sont appréciables, ils représentent 20 % de notre budget annuel », indique Claude Archambault, secrétaire de la paroisse Saint-Jean-Berchmans, dans le quartier de Rosemont, à Montréal. « Ça fait toute la différence entre pouvoir boucler notre budget et être déficitaire. On a seulement 5000 $ de surplus cette année et on a des travaux à faire bientôt. »

Le clocher de l’église Saint-Jean-Berchmans, construite sur un button, est très recherché : les quatre grands de la téléphonie (Bell, Rogers, Telus et Vidéotron) y ont installé des antennes et paient chacun un loyer mensuel d’environ 1000 $, soit 48 000 $ par an au total.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

L’église Saints-Martyrs-du-Vietnam, à Montréal

Même chose pour l’église Saints-Martyrs-du-Vietnam, dans le même quartier.

Personnellement, je n’aime pas les structures construites sur le clocher pour dissimuler les antennes, mais c’est une concession à faire pour avoir ces revenus.

 Claude Archambault, de la paroisse Saint-Jean-Berchmans

En plus des antennes fixées sur la structure, les fournisseurs de téléphonie cellulaire ont besoin d’espace dans le clocher et au sous-sol de l’église pour leurs équipements.

Selon des sources dans les paroisses montréalaises, des responsables de l’archevêché de Montréal négocieraient avec les grands fournisseurs pour revoir à la hausse les tarifs versés pour l’hébergement des antennes. Actuellement, les contrats sont conclus avec chaque paroisse, individuellement. Une porte-parole de l’archevêché a cependant refusé de confirmer cette information.

Les fournisseurs de services téléphoniques joints par La Presse ont refusé de divulguer les tarifs qu’ils paient pour installer des antennes relais sur les édifices en hauteur, ou de discuter de leurs critères pour choisir un emplacement.

Chez Vidéotron, un responsable nous a révélé que leurs antennes étaient installées dans 93 clochers au Québec. Industrie Canada demande aux fournisseurs d’évaluer les possibilités d’utiliser les bâtiments existants, avant de donner l’autorisation de construire une nouvelle structure, a-t-il aussi mentionné.

Meilleure réception

En région, la présence d’antennes dans un clocher au cœur d’un village permet d’améliorer la réception pour les utilisateurs de cellulaires. Mais les tarifs payés par les fournisseurs sont moins élevés, notamment parce que le nombre de clients est moindre.

C’est le cas à Sainte-Thècle, en Mauricie. « Ça faisait l’affaire des gens de la région, parce que la couverture est bien meilleure maintenant », souligne Nicole Veillette, adjointe administrative de la paroisse.

Comme la plupart des églises de la province, celle de Sainte-Thècle est de moins en moins fréquentée, et la paroisse a du mal à boucler son budget annuel de 250 000 $ avec une église, construite en 1903 et classée « exceptionnelle » sur le plan patrimonial, qui a besoin d’être entretenue continuellement. 

6000 $ : Revenu annuel généré par les antennes de Telus installées dans le clocher de l’église de Sainte-Thècle

« Notre budget est un peu déficitaire. Ça nous prend des sources de revenu extérieures, il faut essayer d’être créatifs pour trouver des revenus d’appoint », dit Jean Houde, de la paroisse Saint-Bruno-de-Montarville, qui héberge les antennes de trois fournisseurs sur son clocher.

Dans la paroisse voisine de Trinité-sur-Richelieu, Rogers et Vidéotron paient 24 000 $ par année (au total) pour une place sur le clocher de l’église Saint-Matthieu, à Belœil, « Ça ne couvre même pas les frais de chauffage », déplore la gestionnaire de la paroisse, Johanne Vallée.

Antennes proéminentes

L’emplacement géographique d’une église et la hauteur des clochers peuvent donc faire une différence de plusieurs milliers de dollars dans le budget d’une paroisse, si elle est sollicitée pour l’installation d’antennes.

Il faut cependant accepter que l’apparence de l’église soit modifiée. Dans certains cas, les antennes peuvent être dissimulées dans les cavités du clocher ou se fondre assez harmonieusement aux structures.

Mais parfois, les antennes sont fixées sur le toit du clocher et font saillie de façon proéminente, comme aux églises Sainte-Anastasie de Lachute, Notre-Dame-de-Bonsecours, à Montebello, Christ-Roi, à Joliette, ou Sainte-Luce, à Disraéli, en Chaudière-Appalaches.

Ces structures sont aussi bien visibles sur l’église Saint-Noël-Chabanel, dans l’est de Laval, « mais les paroissiens acceptent ça parce qu’ils savent qu’on est étouffés financièrement », confie le curé, Gérald Dionne. 

Beaucoup de paroisses des alentours nous envient parce qu’elles n’ont pas accès à de telles sources de revenu.

Gérald Dionne, curé de l’église Saint-Noël-de-Chabanel

Incapables de payer les factures et d’entretenir leurs bâtiments, des paroisses ont vendu des églises, qui sont maintenant utilisées pour une foule d’usages : serres pour cultures en hauteur, centre d’escalade, condos, salle de concerts, etc. Un petit espace est parfois conservé pour la pratique religieuse, mais pas toujours.

Travaux de 1,5 million

À Montebello, où l’église Notre-Dame-de-Bonsecours a besoin de travaux de 1,5 million, en raison de problèmes de structure, on se prépare à transférer l’édifice à la municipalité. Les 8000 $ par an que rapporte le contrat avec Bell, dont les antennes sont très apparentes sur le clocher, ne font pas une grosse différence.

Conçue en 1895 par l’architecte Napoléon Bourassa, gendre de Louis-Joseph Papineau, l’église a une valeur patrimoniale exceptionnelle. Malgré l’aide du Conseil du patrimoine religieux et la mobilisation des citoyens, il manque encore des fonds pour payer les travaux.

« C’est clair qu’on ne va pas sauver l’église avec la pratique religieuse », reconnaît le président de la fabrique, Pierre Ippersiel. « En transférant l’église à la municipalité, elle va continuer à être utilisée par la communauté, au moins. »

Même si quelques paroisses apprécient les sommes versées par les fournisseurs de téléphonie cellulaire, « ce n’est pas ça qui va assurer la survie des paroisses en difficultés financières », observe Linda Renaud, économe du diocèse de Saint-Jérôme.

Même si ça rapporte 50 000 $ par année, certaines églises ont des factures de chauffage de 75 000 $.

 Linda Renaud, économe du diocèse de Saint-Jérôme

En 2018, le diocèse de Saint-Jérôme envisageait la fermeture de 33 de ses 54 églises actuelles, en raison du manque de financement et des coûts élevés d’entretien. Devant le tollé provoqué par leur plan, les autorités ecclésiastiques ont reculé.

Où en est-on avec ce projet ? « Il y a des paroisses qui sont appelées à fermer dans un proche avenir, comme dans toutes les régions, répond Mme Renaud. On n’a pas besoin d’une boule de cristal pour le savoir. »

Comment nous avons fait

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

La Presse a tenté d’évaluer le nombre d’églises ayant des antennes sur leur clocher en croisant les données provenant de deux sources : les coordonnées géographiques des émetteurs radio, trouvées dans les données de licences de spectre d’Industrie Canada, et les coordonnées géographiques des églises

Nous avons tenté d’évaluer le nombre d’églises ayant des antennes sur leur clocher en croisant les données provenant de deux sources : les coordonnées géographiques des émetteurs radio, trouvées dans les données de licences de spectre d’Industrie Canada, et les coordonnées géographiques des églises, listées dans l’Inventaire des lieux de culte du Québec. Au moyen d’un script en langage python, nous avons constitué une liste des antennes qui étaient proches d’un lieu de culte. La présence d’installations dans les clochers a ensuite été confirmée au moyen de Google Street View ou en contactant les responsables paroissiaux au téléphone.

— Avec la collaboration de Thomas de Lorimier, La Presse