Sa mission dans la Station spatiale internationale a enflammé l’imagination de milliers de Québécois. L’astronaute David Saint-Jacques est devenu cette année le Canadien ayant passé le plus de jours consécutifs dans l’espace et le premier Québécois à faire une sortie spatiale. Pour son sens du travail, sa quête d’excellence et sa capacité à faire rêver, M. Saint-Jacques est la personnalité de l’année de La Presse.

On l’a vu former un cœur avec ses mains pour dire adieu à sa famille, affichant le sourire confiant d’un homme qui attendait ce moment depuis 10 ans. Puis on a vu la fusée Soyouz dans laquelle il se trouvait s’arracher à l’attraction terrestre dans un fracas de fumée.

On a ensuite vu David Saint-Jacques flotter à l’extérieur de la Station spatiale internationale, son seul scaphandre le protégeant du vide mortel de l’espace. On l’a encore vu attraper des vaisseaux cargos à l’aide du bras canadien, une première pour un Canadien.

Six mois après la fin de sa mission de 204 jours dans l’espace, ces moments sont encore gravés dans la mémoire de l’astronaute. « Quand je ferme les yeux, c’est encore ça que je vois », confie-t-il. Mais le principal legs de son séjour spatial est plus intangible. De Houston, où La Presse l’a joint, David Saint-Jacques tente d’expliquer.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

David Saint-Jacques, à l’extérieur de la Station spatiale internationale, le 8 avril dernier

« J’avais une vision abstraite, comme tout le monde, du fait que la Terre est une boule qui flotte dans le vide, dit-il. Maintenant, c’est réel pour moi. Je vous parle, je regarde par la fenêtre et je sais que je suis sur une boule. Je visualise la grandeur de la Terre, je sais que le ciel bleu n’est qu’une mini-couche de vernis par-dessus. »

Cette vision, dit David Saint-Jacques, s’accompagne d’une réalisation « organique, et non plus abstraite » de la fragilité de la Terre.

« De l’espace, c’est tellement touchant de voir à quel point la Terre est belle, dit-il. Elle est là, bleue, avec ses nuages, ses forêts… »

C’est de la dentelle, une merveille d’oasis au milieu de la mort. Parce que la Lune, à côté, c’est une roche morte. Le Soleil est une boule de feu. Ça donne le vertige de réaliser à quel point la Terre est fragile, à quel point il est urgent de la préserver.

 David Saint-Jacques

Malgré cette prise de conscience des problèmes environnementaux auxquels l’humanité fait face, David Saint-Jacques est revenu de sa mission gonflé d’optimisme. Et il attribue cette confiance à sa sortie spatiale.

« Il y a eu ce moment où j’étais là, parfaitement confortable dans mon scaphandre, dans un endroit absolument mortel, raconte David Saint-Jacques. Et j’ai réalisé que c’était dû à la collaboration et à l’ingéniosité humaine, que c’était le résultat du travail de dizaines de milliers de personnes pendant des décennies. J’ai compris que l’esprit humain est infini. Oui, nos problèmes sont monstrueux. Mais il n’y a pas de limites à ce qu’on peut faire quand on retrousse ses manches. »

Papa et mari à distance

Lorsqu’on lui demande de quoi il est le plus fier, David Saint-Jacques ne mentionne pas un exploit technique en particulier, mais les relations humaines. D’abord celles qu’il a tissées avec le Russe Oleg Kononenko et l’Américaine Anne McClain, avec qui il a partagé l’ensemble de sa mission.

PHOTO AUBREY GEMIGNANI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

L’astronaute québécois, l’Américaine Anne McClain et le Russe Oleg Kononenko, collègues avec qui il a partagé l’ensemble de sa mission, saluent la foule avant de monter à bord de la fusée, le 3 décembre 2018.

« C’est une partie dont on ne parle pas souvent, mais qui est assez périlleuse, dit-il. Je suis fier de la façon dont on a surmonté les problèmes inévitables qui surviennent quand on vit à trois pendant des mois dans une boîte de conserve. »

Il y a aussi eu le défi de garder contact avec sa femme, Véronique, et ses trois enfants, Pierre, Léon et Sophie, malgré la distance et la charge émotionnelle liée à la mission.

Là-haut, tout ce qu’on vit est intense. On est très fragile et exposé, tout ce qu’on fait est dangereux et les émotions sont intenses. Quand tu es content, c’est intense, et toute chicane est intense.

 David Saint-Jacques

« Je suis vraiment fier que ma famille ait réussi à ce que ce soit une expérience non pas pénible, mais positive et enrichissante », ajoute-t-il. L’astronaute raconte que tous les dimanches, il faisait chauffer des gaufres déshydratées, les enduisait de sirop d’érable en tube, puis entamait une vidéoconférence avec ses enfants.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

En direct de l’espace, David Saint-Jacques raconte une histoire à des élèves de l’école primaire qu’il a fréquentée lorsqu’il était enfant, le 17 décembre 2018. 

« Eux aussi se faisaient des gaufres au sirop d’érable et on déjeunait ensemble. Autant eux que moi avions hâte à ce moment », dit-il. Des repas préparés par sa femme, Véronique, déshydratés et envoyés en orbite, l’ont aussi aidé à garder un lien avec la Terre. Il a également continué à suivre l’actualité québécoise (notamment grâce à La Presse+, rendue disponible à bord !).

Le retour

Si la mission a été truffée de défis, « réapprendre à être un Terrien » l’a aussi été. David Saint-Jacques a dû apprivoiser à nouveau la gravité, ce qui lui a causé toutes sortes de malaises. « Il a fallu deux mois pour dire que j’avais vraiment retrouvé la forme et que je n’avais aucun symptôme bizarre », dit-il.

PHOTO ALEXANDER NEMENOV, ARCHIVES REUTERS

Le retour sur Terre pour l’astronaute québécois n’a pas été de tout repos.

Mais l’adaptation a aussi été psychologique.

Dans l’espace, c’était risqué et compliqué, mais je n’avais qu’un rôle à jouer : opérateur. Sur Terre, on a plein de rôles. On est travailleur, mais on est aussi père, conjoint, frère, fils, citoyen, et chacun de ces rôles prend de l’énergie mentale. Ça m’a un peu pris au dépourvu de réaliser à quel point c’est compliqué, la vie sur Terre !

 David Saint-Jacques

L’astronaute raconte qu’à son retour, sa fille de 3 ans le regardait avec un mélange de joie et d’incrédulité. C’est que la petite Sophie n’avait que 2 ans quand papa s’est envolé pour l’espace, trop jeune pour former des souvenirs.

« Elle avait entendu parler de moi, elle m’avait vu sur l’iPad de maman quand on faisait des vidéoconférences, mais elle ne se souvenait pas vraiment de moi. C’est un peu comme un enfant qui va à Disney World et qui voit Mickey Mouse en vrai ! », dit en riant David Saint-Jacques.

Pendant les semaines qui ont suivi son retour, David Saint-Jacques a joué abondamment les cobayes d’expérience pour les scientifiques intrigués par les effets de l’espace sur le corps humain. Les mois suivants ont été consacrés au débreffage de sa mission. « Tous les gestionnaires de programme et les ingénieurs veulent parler aux astronautes pour savoir comment ça se passe dans la réalité, comment améliorer les choses », explique David Saint-Jacques.

Aujourd’hui, la petite famille est réinstallée à Houston, et David Saint-Jacques a repris le métier d’astronaute tel qu’il le pratiquait avant de s’envoler. Il travaille au centre de contrôle des missions et reprendra bientôt son rôle de « capcom », soit l’opérateur radio qui parle aux astronautes en orbite.

Un retour dans l’espace ? David Saint-Jacques ne l’écarte pas, même s’il est conscient que trois autres astronautes canadiens attendent leur tour pour s’envoler.

« C’est sûr que j’aimerais ça, lance-t-il. Mais un, ce n’est pas moi qui décide. Et deux, je suis revenu à l’arrière de la file d’attente ! »