(Saint-Gabriel-de-Brandon) La demande de systèmes de séchage du grain à la biomasse a connu un bond important depuis la pénurie de propane qui a plongé le milieu agricole dans une crise, l’automne dernier. Ceux qui disposaient déjà de ce système s’en félicitent.

« Si j’avais été au propane, ç’aurait été une catastrophe », lance Christian Dufresne, catégorique.

L’éleveur de poulets de Lanaudière n’a pas été inquiété par la pénurie de gaz propane qui a frappé le Québec durant l’automne, conséquence de la grève à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN).

« J’étais bien content d’avoir ça », dit-il, en montrant à La Presse son système de séchage de grains et de chauffage fonctionnant à la biomasse forestière résiduelle.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les deux chaudières à la biomasse de Christian Dufresne

Et il n’était pas le seul : ses installations sèchent 16 000 tonnes de maïs chaque automne pour produire la moulée destinée à la cinquantaine de poulaillers que ses quatre frères et sœurs et lui, ainsi que leurs enfants, possèdent dans la région.

C’est une famille entière qui dormait bien, contrairement à beaucoup d’autres producteurs agricoles qui ont perdu leurs récoltes de maïs ou qui sont passés tout près de les perdre.

Alors que l’essentiel du gaz propane consommé au Québec provient de la raffinerie de Sarnia, en Ontario, et arrive par train, la biomasse forestière provient de différentes scieries et est acheminée par camion.

Christian Dufresne, lui, s’approvisionne généralement à la scierie de Saint-Michel-des-Saints, à quelque 75 km de ses poulaillers.

« On est débordés »

La pénurie de propane a provoqué un engouement pour la biomasse forestière résiduelle, affirme Vision Biomasse Québec, regroupement d’entreprises et d’organisations qui fait la promotion de cette énergie renouvelable.

« On a eu beaucoup de demandes d’information, on voit que ça intéresse les gens », a indiqué à La Presse Mathieu Béland, chargé de projet énergie et biomasse chez Nature Québec et coordonnateur de Vision Biomasse Québec.

Parmi la vingtaine d’entreprises au Québec qui offrent des systèmes de chauffage et de séchage à la biomasse, Mabre a été la plus sollicitée.

« On est débordés », a déclaré à La Presse son président, Dominic Paulhus.

La crise du propane a accéléré les choses.

Dominic Paulhus, Mabre Canada

L’entreprise italienne se spécialise dans les systèmes à air pulsé, prisés pour le séchage du grain, tandis que les autres offrent des systèmes à l’eau chaude, qui servent notamment au chauffage de bâtiments.

« Si on avait eu 200 unités en stock, elles auraient toutes été vendues la même semaine », dit M. Paulhus, dont l’entreprise, présente au Canada depuis seulement cinq ans, installe une centaine de systèmes par année.

Il a pu finalement confirmer 62 commandes, notamment grâce à la solidarité entre agriculteurs, explique-t-il : « On a [redirigé] des unités destinées à des clients américains [avec leur accord] pour dépanner des clients québécois. »

Une solution écologique et économique

Quand il a installé son système à la biomasse, il y a quatre ans, Christian Dufresne avait calculé qu’il le rentabiliserait en 10 ans.

À l’époque, le propane se vendait 0,52 $ le litre, contre 0,56 $ aujourd’hui.

Il a ainsi troqué 900 000 litres de gaz propane par année, qui lui auraient coûté un demi-million de dollars, contre environ 110 camions-remorques d’écorce de bois, qui lui coûtent bon an, mal an 150 000 $.

La biomasse comme telle, ça ne coûte pas cher. Ce qui coûte cher, ce sont les installations.

Mathieu Béland, chargé de projet énergie et biomasse chez Nature Québec et coordonnateur de Vision Biomasse Québec

« Dès qu’on a besoin d’une grande quantité ou intensité de chaleur, c’est là que ça devient intéressant », ajoute-t-il.

L’intérêt de la biomasse forestière résiduelle – c’est-à-dire des résidus de l’industrie forestière qui n’auraient autrement pas été valorisés, comme les écorces, les branches et les houppiers – est aussi écologique.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’intérêt de la biomasse forestière résiduelle – c’est-à-dire des résidus de l’industrie forestière qui n’auraient autrement pas été valorisés, comme les écorces, les branches et les houppiers – est aussi écologique.

Les gaz à effet de serre émis par la combustion de la biomasse remplacent ceux qui auraient été émis si elle s’était simplement décomposée dans la nature, explique M. Béland, tout en diminuant le recours aux énergies fossiles.

« C’est un gros poêle à bois », résume Christian Dufresne.

Un poêle à bois entièrement automatisé, qui chauffe à 800 °C et dont la cheminée est dotée de filtres à particules.

Confort

Le système de Christian Dufresne fonctionne à l’eau chaude. En plus de servir au séchage du grain, les deux chaudières de deux mégawatts chacune alimentent un réseau de chaleur qui chauffe 23 de ses poulaillers les plus proches, ainsi que d’autres bâtiments comme des garages.

Cette chaleur sèche améliore les conditions de vie des poulets « d’une façon spectaculaire », par rapport à la chaleur plus humide du chauffage au gaz propane, constate Christian Dufresne.

Ce système réduit aussi les pertes de chaleur, car il ne requiert pas, contrairement au chauffage au propane disposé à l’intérieur des poulaillers, de forte ventilation pour en faire sortir le dioxyde de carbone, explique-t-il.

Christian Dufresne, qui décrit comme un « succès épouvantable » sa conversion à la biomasse, aimerait voir ce type de système se répandre au Québec.

Le regroupement Vision Biomasse Québec pense qu’un « petit coup de pouce du gouvernement » pourrait aider à propulser cette technologie qui est arrivée ici il y a maintenant une dizaine d’années.

La taxe sur le carbone aidera également la biomasse, pense Dominic Paulhus, soulignant que les coûts d’énergie en Amérique du Nord demeurent « assez bas, comparés à l’Europe ».

Si la biomasse est financièrement plus avantageuse que le gaz propane et le mazout, explique-t-il, elle demeure plus chère que le gaz naturel, plus répandu dans le monde agricole hors Québec.

Séchage par déshumidification

Il est aussi possible de sécher les céréales par déshumidification, mais cette façon de faire n’est pas encore très répandue. « C’est quelque chose qui fonctionne, mais pour faire de bons volumes, ça prend de grosses, grosses, grosses installations », a expliqué à La Presse l’agronome Nicolas Saint-Pierre, enseignant au collège d’Alma. 

De plus, si ce procédé fonctionne bien pour l’orge et le blé, selon ses recherches, il est encore « très peu performant pour l’instant » pour le maïs. Car tout est question de vitesse. « À la limite, on pourrait juste le sécher à l’air ambiant », ce qui serait évidemment plus long.

Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec et Agriculture et agroalimentaire Canada avait évalué cette méthode en 2013 et conclu qu’elle permettait un séchage « plus doux, beaucoup moins chaud qu’au gaz propane » – évitant d’endommager le grain – à des coûts « moindres que les coûts du séchage par méthode conventionnelle ».