Des séries télé comme Unité 9 et Orange is the New Black se sont intéressées à la vie des femmes en prison. Mais derrière le filtre de la fiction, comment la vie « en dedans » se passe-t-elle réellement ? Dans une série de chroniques, la détenue Viviane Runo* lève le voile sur le quotidien des femmes au pénitencier de Joliette.

Décembre ! Dans la splendeur féérique de l’hiver scintillent les cristaux de neige sous les lumières multicolores, rappel que le temps des festivités approche. 

La radio diffuse ses airs de tambours, de clochettes et de pipeaux tandis que la télévision projette ses innombrables films de Noël. Comment rester de marbre quand, sous des décors fabuleux, renaissent la joie de donner, les retrouvailles familiales et, bien sûr, l’espoir d’un nouveau départ ou d’un nouvel amour ? Bientôt, la boîte de papiers mouchoirs deviendra l’outil indispensable pour éponger nos souvenirs d’enfance émergeant en larmes.

Bombardé de publicité, notre esprit s’accroche à nos êtres chers. Le cœur gonflé d’amour, nous commençons la course aux emplettes, nous décorons nos maisons et nous préparons les mets traditionnels pour le réveillon.

C’est la magie de Noël !

Mais pour celles qui languissent derrière les barbelés – les différents départements du pénitencier réduisent ou arrêtent leurs activités durant la saison des Fêtes –, l’enchantement frappe de son côté obscur. Les larmes s’acidifient. Les rappels sont douloureux. Dans bien des cas, le fantôme des Noëls passés cache d’autres misères sous sa longue robe de velours ornée d’hermine.

Voilà que la tristesse apparaît à chaque détour. Les mères et les grands-mères étouffent leurs larmes à l’écoute de la « liste au père Noël » que leurs enfants partagent avec allégresse. L’affliction éclatera en refermant le combiné du téléphone ou après le dernier « bye bye » derrière la porte de l’accueil, quand elles ont la chance de les voir.

C’est aussi la tristesse des femmes originaires de l’autre bout du pays. Un simple coup de téléphone ne pourra apaiser leur désarroi et leur solitude. Et que dire de celles dont les familles sont si démunies ou si éloignées qu’elles ne peuvent profiter de la vidéoconférence (nouvellement arrivée à l’établissement), ou des détenues qui rêvent depuis toujours de faire partie d’une famille réelle ? Ou encore d’une famille sans drame…

Celles qui ont gardé contact recevront un coup au cœur en entendant au bout du fil leurs proches festoyer en arrière-plan. Ce sera aux endurcies, celles qui ont accepté leur peine et ses dépens, de consoler les nouvelles et les plus faibles.

La réflexion sur les dommages collatéraux causés par nos actions viendra toute seule dans des moments de solitude.

En attendant… et pour tenir au loin les idées noires, les automutilations et le suicide, mettons un peu de ouate sur nos barbelés.

La cantine de Noël

Dans tous les pénitenciers fédéraux du Canada, il est permis, une seule fois par année, d’acheter une cantine spéciale pour le temps des Fêtes. La plupart des détenus, femmes et hommes, doivent amasser leur argent pendant longtemps pour cette occasion. Les plus chanceux et chanceuses recevront un montant d’argent de leur famille. Cette cantine nous permet d’acheter des produits qu’il est impossible d’acheter à d’autres moments. Cependant, les listes d’achats diffèrent selon la clientèle et selon la région. Il n’y a que le montant qui n’a pas changé depuis très longtemps (175 $), même si l’inflation a plus que doublé le prix des denrées depuis mon arrivée. Disons que ma boîte à surprises a vraiment rétréci !

Normalement, notre liste se compose de produits pour le bain, produits pour le corps ou le visage, des parfums (très peu et très peu onéreux), des chocolats, des cannes de Noël, des biscuits, des fromages, des viandes froides, du café ou de la crème à café aromatisée, du pain baguette, des bouchées ou des ailes de poulet et, avec toujours beaucoup d’insistance, de petites crevettes.

C’est ça, la ouate sur mes barbelés ! Une façon d’oublier que je suis loin de ma famille. Une façon de partager la magie de Noël avec mes consœurs moins fortunées ou nouvellement arrivées. Alors, même si mes larmes coulent à flots le soir du réveillon pendant que je regarde Un conte de Noël ou La vie est belle, je me réjouis d’être toujours en vie.

Le don de soi

Vous croyez que les femmes ne pensent qu’à elles ? Détrompez-vous ! Depuis plusieurs années déjà, les détenues de Joliette, ainsi que les membres du personnel, participent à une grande guignolée qui permet à une famille monoparentale de la région de passer un meilleur Noël. Nous organisons une grande fête. Certaines d’entre nous jouent un air du temps des Fêtes sur leur instrument de musique et notre petite chorale chante des cantiques de Noël. Le plus gros de la guignolée, qui comprend des denrées et des cadeaux (dont plusieurs ont été tricotés par les détenues), est remis à la nouvelle famille de l’année et un don plus modeste est fait à la famille de l’année précédente.

Tout le monde est invité. Les bénévoles qui nous accompagnent lors d’activités durant l’année se font une joie d’y assister.

C’est une petite fête, mais un grand moment. Et pour clore ces festivités, nous recevons des cartes de vœux conçues par des élèves d’une école de la région. Pour certaines femmes, ce sera les seuls vœux reçus de l’extérieur.

En fin de compte, le plus important, ce sont nos proches, notre famille. Alors, oubliez les étrennes pour un moment. Allez visiter vos grands-parents dans les CHSLD, dites merci à votre voisin pour les petits services rendus, invitez mononcle grognon à votre réveillon afin de couper sa solitude. Faites la paix avec votre cousine, riez avec votre adolescent grincheux (il se souviendra de ces beaux moments toute sa vie), écoutez le rire cristallin des gamins, étreignez votre conjoint et vos enfants et dites-leur à quel point vous les aimez.

C’est ce qui compte le plus. Ça, c’est la magie de Noël !

Joyeux Noël et Bonne Année !

* Nom fictif, pour préserver son anonymat