Un admirateur du tueur de Poly a été arrêté vendredi, comme vous avez vu. Il en appelait à se rendre à différents endroits pour glorifier Marc Lépine, il était question d’armes à fourbir et de femmes à haïr.

Jean-Claude Rochefort est emprisonné pour l’instant. Mais sa haine est en liberté sur un blogue hébergé par Google.

Vous me direz : il vient tout juste d’être arrêté, Google n’a pas eu le temps de réagir, l’affaire atterrit à peine devant les tribunaux…

Pas vraiment.

Jean-Claude Rochefort en est à sa deuxième arrestation en 10 ans. Le blogue haineux qui a mené à sa première détention pendant plusieurs semaines en 2009 est encore en ligne.

Comment est-ce possible ?

Après des résultats décevants en français, j’ai googlé hier « google website hate speech policy ».

Voici ce que j’ai obtenu, en français : 

« Incitation à la haine

« Nos produits se veulent des espaces de libre expression, mais nous n’acceptons pas pour autant la publication de propos haineux. L’incitation à la haine désigne tout contenu qui justifie ou incite à la violence, ou dont l’objectif principal est d’inciter à la haine envers une personne ou un groupe en raison de son origine ethnique, de sa religion, de son handicap, de son âge, de sa nationalité, de son statut d’ancien combattant, de son sexe, de son orientation/identité sexuelle ou de toute autre caractéristique associée à une discrimination ou une marginalisation systématiques. »

C’est pas beau, ça ?

Pourtant, les policiers de Montréal ont tenté de faire fermer le blogue de Rochefort à l’époque. Rien à faire.

Vendredi, mon collègue Tristan Péloquin a tenté d’obtenir une explication. Pas de réponse.

Bref, Google a une politique en vitrine. Mais dans la boutique, toute la haine du monde a rendez-vous, à vendre et à donner.

***

J’insiste : c’est la deuxième fois que les policiers de la deuxième ville au Canada interpellent Google au sujet d’un site haineux.

Celui de 2019 n’est pas difficile à trouver. Il contient des pages et des pages de dénonciations du féminisme et des femmes, de louanges à Lépine, de photomontages avec la photo de l’assassin, des armes, etc. C’est clairement, pour la police, une « incitation à la haine » contre un groupe identifiable, en l’occurrence les femmes.

Mais… celui de 2009 est encore en ligne. On peut y lire : « Marc Lépine, criminel ou héros populaire ? » L’auteur dit que si, en 1989, il était considéré comme un tueur de masse, 20 ans plus tard le portrait est beaucoup moins clair. Il parle du « message d’amour formidable » de Lépine. J’en passe des pires et des encore pires, parce que je n’ai pas vraiment le goût de reproduire le contenu dégueulasse de ce blogue.

J’en passe pour en venir à ceci : il y a 10 ans, les policiers ont trouvé le contenu criminel, sont allés arrêter l’individu et ont trouvé une arme possédée illégalement chez lui. Il a passé plusieurs semaines en détention préventive. Le ministère public a retiré les accusations de menaces de mort contre les femmes et Rochefort a plaidé coupable de possession illégale d’une arme. À part ses semaines de prison, il a fait des travaux communautaires et on lui a interdit, en 2011, de posséder une arme pour 10 ans.

Nous voici en 2019. Non seulement il publie du nouveau matériel haineux. Mais Google n’a pas encore retiré celui de 2009. Google qui a été très officiellement avisé.

***

Nous voici en 2019.

Cette fois-ci, on n’a pas trouvé d’arme chez Rochefort.

Non content de ne pas avoir fermé le premier site criminel, Google a refusé de coopérer avec la police de Montréal. Voyez-vous, le simple mandat « local » ne suffisait pas pour obtenir l’adresse IP (pour retracer l’ordinateur de l’auteur du blogue, l’arrêter et le faire condamner). Il fallait un mandat… « international ».

Les policiers avaient pourtant les preuves requises. Finalement, devant l’augmentation du contenu haineux au fil des jours, devant l’incitation à prendre les armes, un mandat d’urgence a été émis et l’adresse a été donnée aux policiers, ce qui a permis d’arrêter Rochefort.

On me dira : c’est très délicat d’intervenir pour ne pas brimer la liberté d’expression.

Je dirai : ce n’est pas délicat du tout. La loi canadienne interdit la propagande haineuse, les menaces de mort et l’incitation à la haine. Je vous parle ici d’un cas clair, porté devant une cour de justice il y a 10 ans.

Si les génies de Google ne sont pas capables d’identifier la haine quand elle s’écrit en lettres majuscules phosphorescentes, s’ils ne sont pas capables d’appliquer leur politique, qu’ils s’en remettent au moins aux lois du pays.

À moins que Google ne soit au-dessus des États, partout et nulle part à la fois, hors taxes et hors-la-loi ?

Si ce n’est pas comme ça qu’ils se voient, c’est comme ça qu’ils agissent.

Comprenez que je ne parle pas du dark web ou de trucs compliqués à trouver. Je parle d’un foutu blogue sur Google.

Combien de temps va-t-on les laisser… laisser faire ?