Après avoir passé 23 ans en détention, Mario-Nelson Boucher a été libéré en novembre 2015. Toxicomane et souffrant de troubles de santé mentale, il a été laissé à lui-même et a mis fin à ses jours sept mois plus tard.

« Un suivi médical de première ligne aurait dû débuter lors de sa détention et se poursuivre lors de sa libération. Ceci aurait permis d’éviter à la sortie [de M. Boucher] le phénomène des portes tournantes », écrit la coroner Andrée Kronström dans un rapport diffusé mardi.

En entrevue avec La Presse, la coroner Kronström dit avoir fait « des recommandations dès 2000 » afin que les détenus puissent recevoir des soins de santé équivalents à ceux de la population en général. Si certains établissements ont fait le virage depuis, des améliorations tardent à se faire sentir, notamment à Montréal et à Québec, constate-t-elle.

Triste histoire

Mario-Nelson Boucher a passé 23 ans de sa vie en détention pour différents délits, tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial. En novembre 2015, il a 44 ans quand il est libéré de la prison de Bordeaux. 

Au cours de son dernier séjour en prison, qui a duré quatre mois, M. Boucher n’a reçu aucun suivi médical de première ligne, apprend-on dans le rapport.

En 2015, l’établissement de santé qui couvre le territoire de la prison de Bordeaux, soit le CIUSSS du Nord-de-l’île-de-Montréal, n’offre pas de services de santé dans l’établissement de détention. Il n’y offre qu’un programme sur la prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS). Programme auquel participe M. Boucher.

Questionné hier, le CIUSSS du Nord-de-l’île-de-Montréal a confirmé qu’encore aujourd’hui, les services de santé à l’établissement de détention de Montréal (Bordeaux) « n[’étaient] pas sous notre responsabilité, mais sous celle du ministère de la Sécurité publique (MSP) ».

Les portes tournantes

En 2015, le besoin d’encadrement de M. Boucher était grand.

Il avait besoin d’un suivi médical afin de l’aider à contrôler ses impulsions et son assuétude. Il devait être logé, mais également obtenir les outils pour reprendre sa vie en main et travailler.

Extrait du rapport de la coroner, rédigé à la suite d’une enquête publique

Le 20 novembre 2015, M. Boucher sort de prison et se rend dans un centre communautaire de Montréal qui offre de l’hébergement aux hommes en difficulté. Ce centre n’est pas adapté aux grands besoins de M. Boucher, souligne la coroner.

Dès le 27 novembre, l’homme est hospitalisé à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont après avoir été trouvé « comateux et blessé sur la voie publique. Il a fracassé la vitrine d’un dépanneur et les policiers sont intervenus ».

Après avoir passé trois jours à l’hôpital, M. Boucher revient au centre communautaire. Mais, durant la période des Fêtes, il est hospitalisé à nouveau. À ses différents passages à l’hôpital au fil des mois suivants, on renouvelle les médicaments de M. Boucher et on l’envoie en psychiatrie. On l’inscrit au Guichet d’accès en santé mentale pour adultes. Mais puisqu’il ne répond à aucune relance de ces intervenants, il ne reçoit aucun suivi.

Souhaiter retourner en prison

Au cours des premiers mois de 2016, M. Boucher est très désorganisé. Il ne dort pas toujours au centre communautaire. Il consomme de la drogue, notamment des amphétamines. Il ne semble pas prendre ses médicaments.

En mai 2016, M. Boucher se désorganise. « Il paranoïe et renverse tout dans sa chambre. Il veut faire un vol à main armée pour retourner en prison », dit le rapport. Malgré cet épisode, M. Boucher n’est toujours pas pris en charge. Il revient au centre communautaire le 24 mai 2016. Il est trouvé mort dans sa chambre le 2 juin.

Dans son rapport, la coroner souligne que, jusqu’en 2015, c’est le ministère de la Sécurité publique qui avait le mandat d’assurer les soins de santé dans les établissements de détention du Québec. Mais, en 2015, le gouvernement a décidé de transférer progressivement la responsabilité vers le ministère de la Santé et des Services sociaux.

Quatre prisons ont ainsi signé des contrats de service avec le réseau de la santé. Mais à Montréal, on a opté pour le statu quo.

« On comprend donc qu’en 2015, les soins de santé étaient sous la responsabilité du MSP » et que les « soins de santé de première ligne n’étaient pas accessibles aux détenus », écrit la coroner. Des « lacunes qui ont empêché M. Boucher d’obtenir une offre de service en milieu carcéral comparable à celle offerte à l’ensemble de la population pour des problèmes similaires », écrit la coroner Kronström.

Manque de budget

Lors de l’audience publique tenue à la suite de cette mort, le Dr André Delorme, directeur général des services de santé mentale et de psychiatrie légale au MSSS en 2018, est venu expliquer à la coroner que : « En ce qui concerne le déploiement des soins de santé en détention, il constate qu’on a débuté avec les soins de santé physique uniquement, car les budgets n’ont pas suivi. Le MSSS a demandé au Conseil du trésor une augmentation de son enveloppe budgétaire pour le déploiement des services complets, mais l’aide a été partiellement refusée. »

Pour la coroner Kronström, le « manque d’encadrement et l’absence de suivi médical n’ont pas permis de tisser un filet de sécurité permettant de limiter les chances du passage à l’acte », de M. Boucher.

La coroner souligne que 20 % de la population carcérale « serait aux prises avec des problèmes de santé mentale et 33 % aurait des problèmes de toxicomanie ». « Ainsi, il faut débuter le suivi en détention et faire des liens lors d’une sortie afin d’assurer un continuum de services grâce à un mécanisme de liaison tant pour le suivi médical que [pour le suivi] social », conclut-elle.

De son côté, le MSSS dit « avoir pris connaissance du contenu du rapport d’enquête et prend[re] acte des recommandations du coroner ».

Le Ministère précise que c’est « depuis 2016 que le réseau de la santé a commencé à offrir les soins de santé en établissement, pour 14 établissements de détention sur 16 (...) Les soins de santé dans les établissements de détention de Québec et Montréal (Bordeaux) sont toujours sous la responsabilité du ministère de la Sécurité publique (MSP). »

Selon le MSSS, un médecin omnipraticien « offre une présence sur place dans tous les établissements de détention » de la province. « Dans les établissements où les soins ont été transférés au MSSS, il y a une volonté d’orienter les détenus, lors de leur libération, vers les ressources en externe pouvant répondre à leurs besoins », mentionne le MSSS.