Pourquoi un enfant adopté au Québec en 2019 n’aurait-il pas les mêmes droits qu’un enfant biologique ? Pourquoi, alors qu’il a vécu un abandon qui le rend particulièrement vulnérable, n’aurait-il pas le droit de passer autant de temps auprès de ses parents que n’importe quel autre enfant ?

J’ai beau chercher, je n’arrive pas à trouver quoi que ce soit qui puisse justifier que la Coalition avenir Québec (CAQ) renonce à sa promesse de mettre fin à l’iniquité entre parents biologiques et parents adoptants dans sa réforme du Régime québécois d’assurance parentale.

Le projet de loi 51 déposé jeudi dernier par le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet, vise principalement à améliorer la flexibilité du Régime québécois d’assurance parentale afin de favoriser la conciliation travail-famille. C’est en soi un noble objectif.

Mais si on peut saluer le fait que le projet de loi inclue des mesures pour encourager les nouveaux pères à passer plus de temps avec leurs enfants, on peine à comprendre pourquoi il ne met pas fin une fois pour toutes à une injustice dénoncée depuis 15 ans par les parents adoptants. Durant la campagne électorale, la CAQ s’y était pourtant engagée auprès de la Fédération des parents adoptants du Québec. Malheureusement, pour l’heure, l’engagement figure au rayon des promesses non tenues.

Même si le projet de loi 51 contient des mesures qui bonifient le congé des parents adoptants — il prévoit cinq semaines de prestations exclusives pour l’ensemble des parents adoptants et cinq semaines additionnelles pour ceux qui doivent séjourner à l’étranger pour adopter —, une iniquité demeure.

Alors que les familles biologiques ont le droit à 55 semaines de congé au total, l’ensemble des familles adoptantes n’auraient le droit, en vertu du projet de loi 51, qu’à un total de 42 semaines de congé.

Une injustice que la porte-parole péquiste en matière de famille, Véronique Hivon, qui a joint sa voix, dimanche, à celles des organismes œuvrant dans le milieu de l’adoption, a parfaitement raison de dénoncer.

Le ministre Boulet dit avoir bien entendu les récriminations de la Fédération des parents adoptants et de sa collègue Véronique Hivon. Mais celui qui entend n’écoute pas nécessairement… Même s’il se dit ouvert à la discussion, le ministre n’est pas prêt à s’engager à offrir le même nombre de semaines de congé aux parents biologiques et aux parents adoptants. Pourquoi donc ? Des raisons légales l’en empêchent, me dit-il. « C’est important pour moi de respecter notre engagement, mais en même temps de respecter l’état de la jurisprudence des décisions qui ont été rendues par les tribunaux. »

Qu’est-ce qui, dans la jurisprudence, empêcherait de donner le même nombre de semaines de congé aux parents adoptants et aux parents biologiques ? « Il y a, par exemple, des tribunaux qui mentionnent qu’une parfaite égalité entre les mères biologiques et les mères adoptives conduirait à de la discrimination envers les mères biologiques. Parce que ça signifierait que les mères biologiques ne peuvent pas s’absenter plus longtemps que les mères adoptantes alors qu’elles doivent supporter les changements physiologiques liés à la grossesse, l’accouchement, le diabète de grossesse, le post-partum. Il y a des complications, il y a des impacts physiologiques dont le régime d’assurance tient compte. »

Les raisons invoquées par le ministre ne satisfont pas Yannick Munger, père de deux enfants adoptés et porte-parole de la Fédération des parents adoptants du Québec. « Nos défis sont différents de ceux d’une mère qui accouche, certes. Mais ils sont tout aussi importants. »

Il n’est pas question pour les parents adoptants de nier les réalités physiologiques d’une femme qui vient de donner naissance à un enfant. Mais si le ministre veut être équitable, il doit aussi considérer les besoins immenses et les séquelles psychologiques des enfants adoptés qui doivent consolider leurs liens avec leurs nouveaux parents. « L’aspect psychologique de l’abandon, le ministre Boulet n’en parle pas ! Comme si c’était facile d’adopter… La réalité, c’est que c’est extrêmement difficile. »

Pour ce père qui, avec sa femme, a adopté un garçon en Corée du Sud et une fille en Chine, un enfant adopté est comme un « grand brûlé ». Il a besoin, de façon urgente, que l’on panse les plaies laissées par l’abandon. Une tâche qui prend beaucoup de temps et d’énergie.

Avant d’être adopté à l’âge de 14 mois, son fils Nicolas a connu l’orphelinat et deux familles d’accueil. « Des post-partum post-adoption et des dépressions, ça existe. Moi, je n’ai pas été capable pendant deux mois d’approcher mon gars. Je voulais pleurer ma vie. Ma femme avait notre garçon 23 heures par jour sur elle. Il dormait sur sa poitrine. Elle était vidée, exténuée. Il y a quand même des impacts physiologiques et psychologiques pour toute la famille… »

Encore aujourd’hui, Yannick Munger doit border et endormir son fils de 8 ans. « Il n’est pas capable de s’endormir tout seul. Il a peur qu’on l’abandonne. »

Sa fille Charlotte, 5 ans, aussi attachante soit-elle, a des problèmes d’attachement hérités de sa première année de vie. « Elle a été dans un orphelinat pendant un an, dans une bassinette 20 heures par jour, pas stimulée, sous-alimentée. Et les jours, les soirs et les fins de semaine, ce n’était jamais les mêmes intervenants qui prenaient soin d’elle. »

PHOTO FOURNIE PAR YANNICK MUNGER

Yannick Munger, porte-parole de la Fédération des parents adoptants du Québec, sa conjointe Marie-Hélène Primeau et leurs enfants Nicolas, 8 ans, originaire de la Corée du Sud, et Charlotte, 5 ans, originaire de la Chine.

Dans de tels cas, il faut beaucoup de temps pour créer un lien avec l’enfant. Il faut aussi agir le plus tôt possible. « Mais on dirait que pour le ministre, les séquelles psychologiques, ce n’est pas important. Tous les experts nous disent pourtant : vous devriez avoir plus de temps encore. Un an, ce n’est pas assez. Mais on se “contenterait” d’un an parce qu’on ne veut pas créer d’autres inégalités. Une famille, c’est une famille. »

Quant à l’argument du ministre Boulet selon lequel une égalité entre les mères biologiques et les mères adoptives conduirait à de la discrimination pour les mères biologiques, il ne tient pas la route. Le congé que l’État donne à une mère adoptive n’enlève rien à celui de la mère biologique.

Et pour l’heure, s’il y a discrimination, elle est plutôt dans cette distinction que le Régime québécois d’assurance parentale fait entre les parents biologiques et les parents adoptants qui bénéficient d’un congé nettement plus court au moment de l’arrivée de leur enfant, souligne une analyse juridique de trois experts de la faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, publiée en 2016.

Ses auteurs plaident pour que l’on revoie les modalités d’attribution des congés parentaux selon « une approche plus inclusive et plus respectueuse des droits des uns et des autres, mais principalement des plus vulnérables ».

Leur conclusion ? « S’il est hors de question de remettre en cause de quelque manière que ce soit le droit des femmes à des congés de maternité, nous croyons qu’il est impératif d’assurer le respect des droits des enfants adoptés en éliminant toute discrimination à leur égard et en leur permettant de bénéficier, au même titre que les enfants biologiques, d’une réelle égalité des chances pour le développement de leur plein potentiel. »

Pour le bien de tous les enfants sans exception, puisse le ministre Boulet, qui promet de trouver une façon de respecter la promesse de son gouvernement, non seulement entendre cet avis, mais aussi l’écouter.

CONSULTEZ l’analyse juridique de l’Université de Sherbrooke