Une plainte a été déposée au Conseil canadien de la magistrature contre la juge en chef de la Cour d’appel, Nicole Duval Hesler, alors que celle-ci devrait rendre prochainement une décision conjointe concernant la suspension de la Loi sur la laïcité de l’État, qui interdit le port de signes religieux pour les employés de la fonction publique en position d’autorité.

À l’origine de la plainte, l’historien Frédéric Bastien a avancé dans une publication sur Facebook, dimanche, que « la juge en chef a manqué à son devoir de réserve pour plusieurs raisons et elle devrait se récuser ». La plainte a été déposée jeudi dernier.

Le 10 décembre, Mme Duval Hesler donnera une allocution, dont le sujet est « Éviter les conflits d’intérêts à la Cour d’appel », à l’Association de droit Lord Reading, une organisation de juristes juifs du Québec qui a publiquement exprimé son opposition à la Loi sur la laïcité de l’État. « La juge aide à financer une organisation qui s’oppose activement à une loi qui est l’objet d’un litige devant son tribunal », a avancé Frédéric Bastien.

M. Bastien, qui jonglerait depuis quelque temps avec l’idée de se présenter à la course à la direction du Parti québécois, soutient par ailleurs que la juge a maintes fois affiché par écrit son « parti pris en faveur » du multiculturalisme, ce qui la placerait, toujours selon lui, « au centre d’un débat politique et idéologique qui est au cœur de la cause qu’elle doit juger aujourd’hui ».

Lors des audiences portant sur la suspension de la loi la semaine dernière, la juge a « associé la loi 21 à une réponse aux “allergies visuelles” aux signes religieux, ce qui assimile les partisans de la Loi sur la laïcité de l’État à des gens malades », prétend M. Bastien. En outre, « [la juge Duval Hesler] a demandé à Me Cantin, l’avocat du gouvernement, s’il portait un signe religieux. Ceci constitue une question déplacée qui a mené ce dernier à divulguer publiquement son athéisme ».

« Pour toutes ces raisons, la juge Duval Hesler devrait se récuser et si elle ne le fait pas, la procureure générale, madame Sonia LeBel, devrait lui suggérer de le faire », conclut M. Bastien.

La force de l’apparence

Appelé à commenter la situation, Benoit Pelletier, ex-ministre et professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa, estime que certains arguments avancés par M. Bastien sont « plus ou moins importants ». N’empêche, il considère que les propos que Nicole Duval Hesler a tenus lors des audiences du 26 novembre représentent à eux seuls une raison suffisante pour qu’elle se retire du dossier.

« Qu’elle fasse une allocution à l’Association juive, à mon avis, ce n’est pas l’idéal, mais ça demeure secondaire. Lorsque M. Bastien dit qu’elle a prononcé une conférence où elle parle de multiculturalisme, le multiculturalisme est consacré par l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés, et c’est normal qu’une juge en parle », tempère-t-il, avant d’enchaîner sur le contexte, problématique à ses yeux, de ses propos tenus la semaine dernière.

D’un côté, [la juge Duval Hesler] nous dit qu’il y aurait des « allergies visuelles » de certaines personnes et de l’autre côté, qu’il y a le droit des enseignants d’entrer dans la profession de leur choix. Ça laisse une apparence de partialité.

Benoit Pelletier, ex-ministre et professeur titulaire à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa

« Et [la juge Duval Hesler] devrait se retirer du dossier. Je ne dis pas qu’elle est partiale; je dis qu’il s’est dégagé de l’audience du 26 novembre une apparence de partialité », poursuit M. Pelletier.

Il croit que cette impression « n’est pas de nature à encourager les citoyens à avoir confiance en l’impartialité de notre système de justice » et que cette raison en soi devrait motiver le retrait de la juge Duval Hesler du dossier.

Les trois juges de la Cour d’appel – dont Mme Duval Hesler – sont actuellement en délibéré quant à la contestation. Lorsqu’elle a accueilli la requête de suspension l’été dernier, Mme Duval Hesler avait promis de rendre la décision avant le 7 avril 2020, date qu’elle aurait choisie pour son départ à la retraite. Il est toutefois possible que la décision soit rendue avant les Fêtes.