Vendredi, Yves Thibault mourra. Le Néo-Brunswickois de 45 ans a pu réaliser un dernier rêve, hier : voir le Canadien au Centre Bell. « Voir le Canadien, ça me fait chaud au cœur », a-t-il confié avec difficulté avant de se rendre au match d’après-midi. « Et voir le Centre Bell… C’est une joie de vivre. »

Yves Thibault avait 17 ans lorsqu’une tumeur maligne lui a été diagnostiquée au cerveau. « Grosse comme un pamplemousse », explique son petit frère, Martin, 36 ans. Il fallait la faire « fondre comme du beurre », ajoute-t-il. Et la radiothérapie a fonctionné. Yves s’en est sorti. 

L’Acadien originaire d’un « petit coin perdu du Nouveau-Brunswick », comme il décrit lui-même Saint-Jean-Baptiste-de-Restigouche, a pu commencer une vie normale de jeune adulte. Il a travaillé. Il a fait des rencontres amoureuses. Il s’est amusé avec ses copains. Il s’est installé en appartement.

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Sur la photo, Yves et ses proches à sa chambre d’hôtel, avant le match

Sauf que l’épisode du cancer a laissé des traces. À la mi-trentaine, son corps s’est mis à être saisi de convulsions. Un jour, ses proches l’ont retrouvé sur le sol de son appartement. Il y était depuis deux jours. Ses lèvres étaient collées. Il était déshydraté. Ils ont su que c’en était une grosse. Pendant deux ou trois semaines, il est redevenu « comme un enfant », raconte son frère.

Mentalement, il a fini par retrouver ses facultés. Le physique, lui, ne s’est jamais remis complètement.

Yves a dû se résigner, malgré sa colère, à vivre en centre de soins. Les convulsions étaient trop nombreuses, et ses chutes ont entraîné des commotions cérébrales ; il ne pouvait plus demeurer seul. Il est resté partiellement paralysé. Aujourd’hui, il se déplace avec peine en marchette ou se laisse pousser dans son fauteuil roulant. Il entend mal, sa vue a baissé, il a des difficultés d’élocution.

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« Je ne pouvais pas le laisser s’en aller sans rien faire de spécial », a confié Martin, petit frère d’Yves.

Et un autre diagnostic est tombé, il y a un an et demi : de nouveau, un cancer s’attaque à son cerveau.

« Mon frère m’a dit : “Je voulais m’acheter une corde, je veux en finir avec la vie” », raconte Martin Thibault.

« Il est courageux, mon frère »

Yves a demandé l’aide médicale à mourir il y a près d’un mois. Vendredi, il recevra une injection létale. « J’ai hâte en estie », lance Yves en riant, faisant sourire, malgré leurs yeux embués, ses amis, ses cousins et son frère, venus assister, avec lui, au match du Canadien.

« Je trouve ça beau. Il est courageux, mon frère », réagit Martin. Il a fini par accepter son impuissance face au sort de son aîné.

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Yves Thibault et son frère Martin

C’est chez son grand ami Sylvain Sinclair qu’Yves poussera son dernier soupir. Ses parents, son frère, sa sœur, sa marraine, de même que Sylvain et sa femme seront présents à ses côtés.

Il était condamné. Sa mère m’a demandé de l’accompagner dans ses démarches parce que, pour elle, c’était comme emmener son enfant à la morgue.

Sylvain Sinclair, à propos d’Yves Thibault

Yves et Sylvain se connaissent depuis le début de l’adolescence. Ensemble, ils ont fait les quatre cents coups. Ils se sont perdus de vue après le premier cancer d’Yves. Mais il y a six ans, ils se sont retrouvés, et Yves est devenu comme le quatrième enfant de Sylvain et de sa conjointe, Mélanie.

« On l’emmenait avec nous dans plein d’activités, on lui a redonné une vie », souligne Sylvain.

S’il se dit « très zen » avec l’idée de voir mourir son ami, sa voix se brise lorsqu’il pense à « l’après ».

Pour moi, c’est comme la perte d’un enfant. J’ai peur du vide après. J’en prends soin comme d’un enfant.

Sylvain Sinclair, à propos d’Yves Thibault

À plusieurs reprises, il répète qu’Yves est « prisonnier » de son corps. Même malade, l’homme a gardé son humour — il n’y a qu’à l’entendre entonner à maintes reprises le refrain de Paquetville pour détendre l’atmosphère ou à voir ses yeux espiègles lorsqu’il fait des remarques grivoises à ses amis pour comprendre que l’homme a encore tous ses esprits. Mais il est fatigué. Et son état ne risquait que de s’empirer.

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Malgré sa fatigue, Yves a accepté d’être suivi par La Presse pour sa journée spéciale à Montréal, d’abord dans sa chambre d’hôtel — décorée avec soin par son petit frère —, puis au Centre Bell.

« Moi, ma vie s’est dégradée », explique-t-il simplement.

Un moment à la fois

Malgré sa fatigue, Yves a accepté d’être suivi par La Presse pour sa journée spéciale à Montréal, d’abord dans sa chambre d’hôtel — décorée avec soin par son petit frère —, puis au Centre Bell, après la publication de son histoire la semaine dernière dans Acadie Nouvelle.

Bien emmitouflé dans une couverture, il a regardé le match de son équipe favorite, content de voir le Canadien marquer un but dans les premières minutes de la partie.

Entre deux périodes, le quadragénaire a eu la chance de se rendre au Salon des Anciens avec la dizaine de ses proches l’accompagnant. Il a serré la main d’anciens membres de son club préféré.

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Yves avec Jean Perron, Réjean Houle, Guy Carbonneau et Gilbert Delorme, anciens membres du Canadien

Ses proches se sont essuyé les yeux en voyant sa réaction de surprise et de bonheur lorsque Jean Perron lui a prêté sa bague le temps d’une photo.

Yves a enfilé son nouveau chandail du Canadien, autographié par son joueur préféré, Brendan Gallagher, avant de retourner à son siège.

« Je ne pouvais pas le laisser s’en aller sans rien faire de spécial », a confié son petit frère, Martin.