« Je n’aurais jamais pensé, en tant qu’élu, que j’aurais un jour à dire que je crois vraiment en la science. »

Thomas Mulcair semblait sincèrement découragé. C’était en septembre 2015, en pleine campagne électorale fédérale.

Alors chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair jugeait crucial de restaurer le respect envers les scientifiques fédéraux, malmenés par neuf années de gouvernement Harper. S’il prenait le pouvoir, il promettait de créer un bureau chargé de fournir des conseils scientifiques éclairés aux politiciens.

Ce même Thomas Mulcair est aujourd’hui « ambassadeur » de la Coalition pour l’homéopathie du Québec, un nouvel organisme qui soutient être une « source d’information fiable et crédible en homéopathie », lisait-on mardi sous la plume d’Ariane Lacoursière.

Contradictoire ? Sans l’ombre d’un doute.

Il y a quatre ans, M. Mulcair se portait non seulement à la défense de la science, mais promettait d’insuffler un peu de rigueur scientifique aux choix politiques qui influencent la vie de millions de citoyens.

Le voilà qui tente de faire pencher l’opinion publique – et politique – en faveur de l’homéopathie et des entreprises que cette pseudoscience contribue à enrichir.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Thomas Mulcair, ancien chef du Nouveau Parti démocratique, est aujourd’hui « ambassadeur » de la Coalition pour l’homéopathie du Québec, un nouvel organisme qui soutient être une « source d’information fiable et crédible en homéopathie ».

Parce que c’est de cela qu’il s’agit. Ne vous laissez pas distraire par ces histoires de nouvelle coalition, de mouvements citoyens, de droit fondamental des patients à choisir les traitements qui leur conviennent.

Tout ça, c’est de la poudre aux yeux. Derrière, une opération de relations publiques s’est mise en branle.

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« Pour pouvoir faire des choix éclairés, les consommateurs doivent pouvoir avoir accès à de l’information véridique », a déclaré M. Mulcair dans le communiqué de presse de la Coalition pour l’homéopathie du Québec.

Si je cite ce communiqué, c’est que M. Mulcair n’était pas disponible, hier, pour m’accorder une interview.

C’est du moins ce que m’a dit la responsable des relations publiques de la Coalition, Sylvie Piché, qui est aussi responsable au Québec des relations publiques des Laboratoires Boiron, géant français des produits homéopathiques, doté d’un chiffre d’affaires de 604 millions d’euros en 2018.

Ça tombe bien, ce sont les Laboratoires Boiron qui ont organisé une table ronde, mardi, intitulée « L’homéopathie : reconnaître sa légitimité », dans un hôtel de Montréal.

Ce sont les Laboratoires Boiron qui ont invité les participants. Parmi eux, deux femmes « guéries » par l’homéopathie et deux chercheurs britanniques qui passent leur temps à pourfendre les études démontrant l’inefficacité de ces produits.

Autant dire qu’ils ne manquent pas de boulot.

Ce sont encore les Laboratoires Boiron qui ont embauché M. Mulcair à titre de consultant pour préparer la table ronde. Mais c’est la Coalition qui le rémunérera à titre d’ambassadeur, a-t-il expliqué dans une déclaration transmise à La Presse par la porte-parole des Laboratoires Boiron.

Cette Coalition « se veut un groupe de pression positif pro-homéopathie, composée d’associations de patients, de praticiens de l’homéopathie et d’industries œuvrant en homéopathie », lit-on dans le communiqué de presse.

Quelles « associations de patients », au juste ?

En fait, il n’y en a qu’une seule. Homeo Populi est « né de la rencontre de deux patientes soignées avec l’homéopathie », lit-on sur la page Facebook de ce « Mouvement citoyen pour l’homéopathie au Québec ».

Et combien de membres compte cette association ?

Deux. Les deux femmes de la table ronde. Elles m’ont assuré qu’il s’agit de leur propre initiative et qu’elles n’ont reçu aucun soutien de l’industrie homéopathique pour créer ce «  mouvement  ».

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Je ne m’attarderai pas sur ce consensus scientifique clair comme de l’eau de roche, de l’eau pure et non diluée par le moindre soupçon d’incertitude : l’homéopathie ne marche pas.

Pas plus qu’un placebo, en tout cas.

Depuis des décennies, les chercheurs le disent et le répètent : ça n’a aucun fondement scientifique.

La mémoire de l’eau. Les toxines diluées à l’extrême pour agir sur le corps. Ça n’a aucune logique. Aucun sens.

Le Conseil scientifique des académies des sciences européennes (EASAC) le formule ainsi : « Les revendications scientifiques de l’homéopathie ne sont pas plausibles et sont incompatibles avec les concepts établis de la chimie et de la physique. »

En 2017, l’EASAC s’est penché sur un grand nombre d’études qui concluaient à l’efficacité d’un produit homéopathique. Résultat, « chaque cas […] peut s’expliquer par l’effet placebo, une mauvaise conception de l’étude, des variations aléatoires, une régression des résultats vers la moyenne ou un biais de publication ».

Ce sont pourtant ces mauvaises études que l’industrie brandit pour défendre ses granules de sucre et ses fioles d’eau.

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Pire encore, les attaques répétées de l’industrie contre des organismes scientifiques crédibles risquent d’éroder la confiance du public envers ces institutions. On n’a pas fini de mesurer les conséquences de ce travail de sape.

Un exemple : dans le communiqué de la Coalition, M. Mulcair affirme qu’« un rapport frauduleux et présentant plusieurs failles importantes, publié en Australie en 2015, a contribué à créer une confusion » envers l’homéopathie.

On parle ici d’une analyse menée par le Conseil australien de la santé nationale et de la recherche médicale (NHMRC), le plus gros organisme consacré à la recherche en Australie. Sans surprise, le rapport conclut à l’absence de preuves fiables de l’efficacité de l’homéopathie.

Pour l’industrie, c’est embêtant, bien sûr.

Mais frauduleux ?

La Dre Christiane Laberge, médecin de famille qui a animé la table ronde, m’a raconté que le NHMRC faisait l’objet d’une poursuite judiciaire déposée par « l’ombudsman d’Australie ».

« C’est vraiment une poursuite pour fraude. Intellectuelle, mais c’est une fraude quand même. » L’organisme, a-t-elle ajouté, est « accusé d’avoir rejeté des études probantes et positives ».

Sa source : les deux chercheurs britanniques qui ont participé à la table ronde.

Vérification faite, c’est l’ombudsman du Commonwealth qui a reçu une plainte… déposée par trois organismes pro-homéopathie, dont celui auquel appartiennent les deux chercheurs britanniques. L’ombudsman n’a pas remis ses conclusions.

Mais je ne retiens pas mon souffle. Et si j’étais M. Mulcair, j’attendrais un peu avant de crier à la fraude.

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« Dans le monde d’aujourd’hui, les gens sont plus informés que jamais, écrivait M. Mulcair, mardi, dans le Toronto Sun. Vous avez besoin d’une raison impérieuse pour leur retirer le droit de prendre des décisions par eux-mêmes. »

Encore faut-il que ces décisions soient basées sur des faits probants et pas sur l’opinion des amis Facebook… ou des influenceuses payées par l’industrie, comme l’a révélé une enquête journalistique française.

Des épidémies de rougeole provoquées par la crainte infondée des vaccins ; une pétition déposée à l’Assemblée nationale du Québec pour bannir les compteurs intelligents supposément « néfastes pour la santé » ; une autre pétition réclamant l’injection de vitamine C à haute dose pour soulager les patients cancéreux…

Tout ça fait mentir M. Mulcair. Les gens ne sont pas « plus informés que jamais ». Ils sont plus mêlés que jamais.

Les plus confus vont jusqu’à menacer de mort un vulgarisateur scientifique comme le « Pharmachien », Olivier Bernard, pour avoir dénoncé l’imposture des injections de vitamine C.

La semaine dernière, à Londres, Olivier Bernard a remporté le prix John-Maddox, qui récompense les scientifiques dont les sujets d’étude suscitent « l’hostilité ».

« Le gouvernement doit rester sous notre surveillance constante, car les décisions concernant la science et les soins de santé ne doivent pas être influencées par les opinions populaires, mais examinées avec la méthode scientifique », a dit le Pharmachien en acceptant son prix.

J’ai une idée : le gouvernement pourrait créer un bureau chargé de fournir des conseils scientifiques éclairés aux politiciens.

Je me demande ce qu’en dirait M. Mulcair.