La majorité des résidences privées pour aînés ne respectent pas les nouvelles normes de sécurité adoptées après la tragédie de L’Isle-Verte, révèlent les rapports d’inspection du ministère de la Santé et des Services sociaux que La Presse a obtenus. Elles n’ont pas un personnel en nombre suffisant, ou alors leurs employés n’ont pas toujours la formation requise pour être chargés de la surveillance.

Mais devant la levée de boucliers de plusieurs résidences, le gouvernement Legault a décrété un moratoire et a entrepris de réviser ces normes qui sont entrées en vigueur il y a à peine 19 mois.

En entrevue, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais, reconnaît que les résidences se sont « plaintes énormément ». « On ne veut pas compromettre la sécurité des personnes aînées, ce n’est pas notre but, mais on veut en même temps qu’on puisse appliquer un règlement applicable. On veut trouver l’équilibre, le juste équilibre », affirme-t-elle.

Le président du Regroupement québécois des résidences pour aînés, Yves Desjardins, se dit « surpris » par la proportion de résidences en infraction. « On a des problèmes de pénurie de main-d’œuvre », fait-il valoir. Il dénonce la complexité des nouvelles normes et le « flou incroyable » autour de leur application.

Sur les 269 résidences inspectées de janvier à août, 152 (56 %) ne respectaient pas le « seuil minimal de surveillance » qui vise à assurer la sécurité des personnes hébergées et à intervenir efficacement en cas d’urgence.

Ces seuils sont entrés en vigueur l’an dernier, dans la foulée de l’enquête sur l’incendie meurtrier de L’Isle-Verte survenu en janvier 2014.

Parmi les circonstances ayant mené à la mort de 32 personnes, il y avait le « personnel de soutien en nombre insuffisant et non formé pour venir en aide aux résidants en cas de situation d’urgence », dénonçait le coroner Cyrille Delâge. Il recommandait des changements importants aux normes prévues au règlement sur la certification des résidences. « Il faut une combinaison de mesures protectrices pour avoir une chance de réussite : non seulement des gicleurs », mais aussi « un personnel qualifié en nombre suffisant », écrivait le commissaire aux incendies chevronné mort en 2016. 

Il proposait d’établir « des normes pour ce qui est du personnel de jour et de nuit qui sont conformes à la réalité ». Le seuil minimal d’un préposé pour 100 résidants, qui avait été adopté en 2013, ne lui apparaissait « pas très logique ».

Son rapport avait poussé le gouvernement Couillard à revoir la réglementation. L’opération a pris trois ans et a mené aux nouveaux seuils minimaux de surveillance. Ces seuils ont été rehaussés en particulier pour les résidences qui offrent un service de soins infirmiers.

Une résidence doit ainsi assurer la présence, en tout temps, d’une à quatre personnes qualifiées selon le nombre d’aînés hébergés et l’étendue des services offerts. Québec a classé les résidences en quatre catégories auxquelles sont associés des seuils différents. Le principe est d’avoir plus de personnel quand une résidence a une taille importante et héberge des personnes âgées en perte d’autonomie.

Toutes les personnes requises pour le seuil minimal doivent avoir réussi une formation portant sur la réanimation cardiorespiratoire (RCR) et le secourisme général. Pour certaines des quatre catégories de résidences, le règlement exige que la surveillance, soit assurée par un ou plusieurs préposés aux bénéficiaires. Les petits établissements accueillant des personnes autonomes peuvent recourir aux services d’un bénévole ou confier la tâche de surveillance à un résidant.

Seuils loin d’être atteints

Selon les documents que La Presse a obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, plus de la moitié des résidences inspectées dérogent aux nouveaux seuils. Tantôt parce qu’il n’y a pas suffisamment de personnes pour faire la surveillance, tantôt parce que ces personnes n’ont pas la formation requise. Bien souvent, certains n’ont pas une attestation valide en secourisme ou en RCR, selon les rapports d’inspection.

« Le nombre de personnes présentes est inférieur au nombre requis, soit deux personnes plutôt que trois », écrit un inspecteur à la suite d’une visite dans une résidence. Un autre note que, durant certains quarts de travail, « il n’y a pas de préposés aux bénéficiaires, seulement des préposés à l’entretien ». Ou encore : « Seulement trois employés sont présents et conformes selon les exigences du seuil minimal jour-soir-nuit », au lieu de quatre.

Les résidences prises en défaut ont reçu un « avis de non-respect du règlement » de la part des inspecteurs. « Le présent document n’est qu’un avertissement », peut-on lire dans tous ces avis. Aucune résidence n’a dû payer une amende, même si toute infraction au règlement peut entraîner une sanction de 300 $ à 2400 $. Du reste, seulement 10 amendes ont été imposées depuis le début de l’année pour toutes sortes de raisons, dont entrave à l’inspection (voir capsules ci-contre).

Selon Yves Desjardins, Québec classe à tort des établissements dans la catégorie de résidences offrant des soins infirmiers, ce qui leur impose d’embaucher subitement plus de personnel.

Sur le terrain, il y a des membres qui ont beaucoup de difficulté à comprendre, et il n’y a pas une application uniforme sur le territoire. On est montés plusieurs fois aux barricades là-dessus. Ce n’est pas parce qu’on veut minimiser les choses, mais on veut que ce soit équitable pour tout le monde.

Yves Desjardins, président du Regroupement québécois des résidences pour aînés

De son côté, la ministre Marguerite Blais observe que des résidences tentent de changer de catégorie pour avoir un seuil minimal inférieur à respecter et éviter d’avoir à embaucher plus de personnel. D’autres abandonnent la certification pour devenir de simples immeubles de logements, alors que de petites résidences ferment leurs portes, ajoute-t-elle.

Elle a décidé d’imposer un « moratoire administratif par rapport aux seuils minimaux », le temps de revoir la réglementation. Par conséquent, « il y a une tolérance » quant au respect des nouveaux seuils. « Je veux que ça roule rondement pour qu’on puisse déposer au printemps un règlement qui correspond aux réels besoins des gens dans le milieu », affirme Mme Blais.

— Avec la collaboration de William Leclerc

Exemples d’infractions 

2400 $ pour une fermeture sans préavis
Une résidence a fermé ses portes en donnant aux autorités publiques un préavis d’à peine un mois. Le règlement exige un préavis de six mois afin de faciliter le relogement des aînés et de ne pas les jeter à la rue.

2400 $ pour des problèmes de bail
Une résidence « n’a pas respecté les délais pour envoyer des modifications de bail », peut-on lire dans un rapport. De plus, « du côté de l’unité des soins, l’exploitant a fait signer un document pour réduire le nombre de bains à un bain par semaine sans diminution du loyer », contrairement à ce qui est écrit au bail.

325 $ pour entrave à l’inspection
Un propriétaire de résidence « a refusé de remettre les documents et les renseignements demandés par l’inspecteur », note un rapport.

300 $ pour un système d’appel à l’aide défectueux
Dans une résidence, l’inspecteur a découvert, à la suite de tests, qu’il n’y avait « aucun signal sonore et/ou visuel sur le panneau de réception des appels ou sur un autre système de réception des appels à l’aide (exemple : téléphone, téléavertisseur) ».

900 $ pour des plans de sécurité incendie déficients
Deux résidences ont reçu des amendes, l’une de 300 $ et l’autre de 600 $, parce qu’elles avaient des plans de sécurité incendie déficients.

600 $ pour des produits dangereux
De nombreux produits dangereux se trouvaient dans des endroits accessibles aux résidants lors de la visite de l’inspecteur.

600 $ pour absence d’assurance responsabilité
Il n’y avait pas d’assurance responsabilité pour les administrateurs et les dirigeants d’une résidence inspectée. « J’ai bien informé l’exploitant de son obligation à obtenir cette assurance pour ce lieu, mais également pour ses deux autres résidences », note l’inspecteur.

600 $ pour absence de certificat de conformité
Deux résidences n’avaient pas de certification du Ministère pour être en activité.