« Violez, violez, violez ! Je dis aux hommes : violez les femmes ! D’ailleurs, je viole la mienne tous les soirs », a déclaré sur le ton de l’ironie mercredi le philosophe et écrivain Alain Finkielkraut, sur le plateau d’une émission française, dans le cadre d’un débat sur la liberté d’expression.

Cette déclaration-choc, qui se voulait une blague au « second degré », fait polémique. Talonné par une militante féministe qui l’accusait de banaliser le viol, Finkielkraut a jugé bon ironiser sur le sujet.

Utiliser cette seule déclaration ironique de Finkielkraut, citée hors contexte, pour l’accuser d’encourager le viol relève de la mauvaise foi. Mais s’en tenir à cette manipulation en occultant tout le reste pour transformer un intellectuel aux propos réactionnaires souvent abjects (au sujet des féministes, de Greta Thunberg, de l’équipe de France black-blanc-beur, des jeunes de banlieue, des musulmans…) en pauvre victime de la rectitude politique et du féminisme radical, c’est de la mauvaise foi au centuple. 

Car le plus choquant chez Finkielkraut, ce n’est pas tant son envolée ironique sur le viol que ses propos odieux et soi-disant « sérieux » sur le même sujet. Pas tant le « second degré », que son « premier degré » qui ne se gêne pas, par exemple, au cours du même débat télé, pour nier et banaliser le viol d’une fille de 13 ans par un réalisateur.

Dans l’extrait qui suit sa déclaration-choc, passé sous silence par les défenseurs de Finkielkraut, l’intellectuel blanchit ni plus ni moins Roman Polanski, reconnu coupable en 1977 de rapports sexuels illégaux avec une mineure, Samantha Geimer. « Cette jeune fille qui avait en l’occurrence 13 ans et 9 mois, elle n’était pas impubère. Elle avait un petit ami ; elle a eu cette relation avec Polanski. Il a été accusé de viol. Aujourd’hui, elle s’est réconciliée avec lui. »

Qu’importe ce qu’en dit elle-même la victime de Polanski, qui, bien qu’elle ait offert le pardon à son agresseur, a qualifié de « crime » et non de « relation » ce qui s’est passé entre eux. Elle a reproché au réalisateur d’avoir abusé de sa naïveté de gamine de 13 ans qui rêvait d’être célèbre. Dans son autobiographie La fille – Ma vie dans l’ombre de Roman Polanski (Plon, 2013), Samantha Geimer, à qui Polanski a offert du champagne et de la drogue avant de la violer, le raconte sans ambiguïté. « J’avais 13 ans, j’ai dit non à plusieurs reprises, c’était un viol », dit-elle.

Mais qui est-elle pour oser dire une telle chose, n’est-ce pas ? En plus, elle n’avait pas 13 ans, mais 13 ans et 9 mois, prend soin de préciser Finkielkraut. Et elle avait un petit ami, dit-il… Dans une entrevue à France Inter en 2015, il soulignait aussi que Samantha Geimer « était une adolescente qui posait dénudée » pour Vogue Hommes à l’époque. Rigueur, rigueur dans votre manière de blâmer la victime, s’il vous plaît. Pour toutes ces raisons, ce n’était donc pas un viol, selon l’intellectuel.

Dans la suite de sa diatribe, Finkielkraut s’en prend au journaliste Edwy Plenel, cofondateur de Mediapart, à l’origine de l’enquête-choc dans laquelle l’actrice Adèle Haenel accuse un autre réalisateur, Christophe Ruggia, d’« attouchements » et de « harcèlement sexuel » alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans.

> Regardez le témoignage d’Adèle Haenel

Ces enquêtes ne valent pas mieux qu’un bûcher, se désole Finkielkraut. 

On invite les femmes à ne plus aller vers la justice. Le quatrième pouvoir [les médias] est en train de bouffer le troisième pouvoir [la justice]. Ce qui met Edwy Plenel dans un véritable état de délectation. Il n’est plus journaliste. Il est procureur […] L’homme est accusé. Quand il est accusé, il est condamné à la mort sociale.

Alain Finkielkraut

Quoi qu’en pense Finkielkraut, le droit n’a pas le monopole de la vérité en matière d’agressions sexuelles. Comme le souligne si justement la juriste Suzanne Zaccour, dans son essai La fabrique du viol (Leméac) dont je vous ai déjà parlé, décrier les dénonciations publiques qui sont soumises à des enquêtes journalistiques sérieuses, ce n’est pas protéger la présomption d’innocence, mais garantir l’impunité aux violeurs.

> Relisez « La justice après #moiaussi »

Pour en revenir au « second degré » de Finkielkraut au sujet du viol… Le plus choquant, ce n’est pas son « appel au viol » ironique pris hors contexte, mais bien le contexte, justement. Ce que Finkielkraut a dit haut et fort avant et après cette « blague ». Un contexte troublant que le journaliste Edwy Plenel a remarquablement bien décrit sur son fil Twitter. « Dans le futur, après la chute, des chercheurs s’interrogeront sur ce qui est arrivé à la France quand des intellectuels se sont mis à dire publiquement leur haine à la fois du féminisme, des musulmans, de l’écologisme et du peuple. En somme de l’égalité. »

« Ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des femmes », déclarait Finkielkraut en juin dernier, au sujet de l’équipe de France féminine de foot.

Et moi de me dire en l’écoutant : ce n’est pas comme ça que j’ai envie de voir des intellectuels.