Marie-Mai, Marc Dupré, Marc Hervieux… des arnaqueurs, souvent africains, utilisent le nom et les photos d’artistes québécois pour frauder des fans. Notre journaliste s’est créé un compte Instagram et s’est rapidement fait contacter par des imposteurs.

Des fans pris pour cible

Les faux comptes d’artistes créés pour escroquer pullulent sur Facebook et Instagram

L’entourage de Marie-Mai dépense énormément d’énergie à faire fermer les faux comptes qui utilisent le nom de la chanteuse sur les réseaux sociaux. « Il en pleut des faux comptes, commente Marie-Mai. Presque tous les jours, on doit en fermer. Tous les jours, on doit effectuer un contrôle. »

L’artiste ne se pose pas en victime. Elle est attristée que des fans se fassent piéger par des escrocs au point d’en perdre de l’argent. « C’est très frustrant. Ça me fait de la peine pour les fans qui pensent vraiment qu’ils ont un accès à moi. Ils [les fraudeurs] profitent de la naïveté de certaines personnes. Ça m’enrage ! Ça me choque ! »

Marie-Mai se retrouve aussi dans des situations embêtantes à cause des arnaqueurs. À la fin d’une séance de signature d’autographes, une fan s’est présentée à la chanteuse. « Elle était convaincue que j’avais eu la discussion avec elle, sur le web, que j’étais lesbienne », cite l’artiste en exemple.

La chanteuse n’est pas la seule artiste ciblée par les malfaiteurs. Au cours des dernières années, des extorqueurs ont utilisé l’identité d’au moins une vingtaine de personnalités québécoises, dont celle de Marc Hervieux. Chaque fois, le ténor a dénoncé l’arnaque sur sa page Facebook et le compte du faussaire a rapidement été supprimé. Le chanteur ignore toutefois si des victimes se sont fait prendre au point d’envoyer de l’argent aux fraudeurs.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marc Hervieux

« C’est effrayant ! Les gens ont l’impression que tout à coup, ils ont un contact avec des gens qu’ils aiment beaucoup. Ils sont heureux de communiquer avec un artiste qu’ils aiment tant. Mais ce n’est pas nous », se désole Marc Hervieux.

Au moins une personne a aussi utilisé le nom de Dan Bigras pour solliciter des dons, il y a un an et demi. Le fraudeur prétendait que l’argent serait versé au Refuge des jeunes, un organisme que Dan Bigras parraine depuis près de 30 ans.

Le manège a cessé, mais il a repris, sous une nouvelle forme, dans les derniers mois. « Ils [les faussaires] avaient l’air de faire des compliments aux personnes qu’ils approchaient, de vouloir les rencontrer, puis à un moment, ils leur demandaient un don », raconte l’artiste qui a été prévenu par des internautes vigilants.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Dan Bigras

« Bien voyons donc !, s’exclame-t-il. Je ne demande jamais de don sur les réseaux sociaux. Je ne fais jamais de demande en mariage. Je ne sollicite rien sur Facebook », déclare Dan Bigras.

Un iPhone en prix

L’animatrice Annie-Soleil Proteau s’est aussi mise à recevoir des messages étranges, sur Instagram, au cours de l’année. « On m’écrivait : “J’ai participé à ton concours et j’ai gagné. Merci de me faire gagner un iPhone. Quand est-ce que je vais le recevoir ?” »

Sur le coup, la chroniqueuse culturelle à l’émission Salut Bonjour ne comprenait pas pourquoi on lui envoyait ces messages. Jamais elle n’avait organisé de concours ni fait tirer d’iPhone. Quelques semaines se sont écoulées et un internaute lui a appris qu’un individu utilisait son nom et ses photos sur Instagram. Puis, au mois d’août dernier, certaines personnes lui ont annoncé qu’elles s’étaient fait frauder de quelques centaines de dollars à quelques milliers de dollars.

« Je me suis mise à capoter. J’ai compris que quelqu’un utilisait mon nom et ma face pour arnaquer des gens », souligne l’animatrice, en colère. Elle a d’ailleurs consulté un expert en cyberfraude qui soupçonne que l’imposteur serait établi au Congo.

La plupart des gens finissaient par comprendre que ce n’était pas moi, que je n’avais rien à voir là-dedans, que c’était une fraude et qu’ils s’étaient fait avoir. Mais il y en a qui ont vraiment pensé que c’était moi qui les arnaquais.

Annie-Soleil Proteau

Annie-Soleil Proteau a eu beaucoup de difficulté à faire fermer le compte qui s’appelait « anniesoleil.proteauoff » ; le sien s’appelle « anniesoleil.proteau ». D’abord, le fraudeur a bloqué la vraie Annie-Soleil Proteau de sorte qu’elle ne puisse rien voir du compte utilisant ses photos. Puis, malgré les centaines de personnes qui lui écrivaient pour lui dire qu’ils avaient dénoncé le compte à Instagram, rien ne bougeait.

La situation est devenue plus sérieuse vers la fin d’août. Un dimanche après-midi, elle a passé quatre heures à répondre à des messages de fans, dont certains avaient été victimes de l’arnaque. Ceux-ci avaient composé un numéro de téléphone payant qui leur avait été fourni pour réclamer un iPhone 10. Les victimes se sont retrouvées avec une facture de téléphone salée et ce sont les fraudeurs qui se sont enrichis.

Elle a décidé de publier une photo et un message pour prévenir ses fans et, surtout, pour critiquer l’inertie d’Instagram. Quelques heures plus tard, le compte a finalement disparu de la plateforme sociale.

Douze faux comptes « officiels »

Nathalie Ménard est une fan d’Éric Lapointe. Elle n’approuve pas les gestes présumés de violence que le chanteur a commis contre une femme, mais elle ne renie pas l’entrevue qu’elle a accordée à La Presse bien avant que des accusations ne soit portées contre l’artiste.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Nathalie Ménard

Chaque année, Nathalie Ménard assiste à trois ou quatre spectacles de son chanteur préféré. Elle publie aussi des photos du rockeur sur les réseaux sociaux. Des « éric68 », « éric188 » ou « éric232323 » la contactent parfois sur la messagerie privée d’Instagram en prétendant qu’ils sont LE Éric Lapointe.

« L’autre jour, il y en a un qui me faisait croire que c’était vraiment Éric et qu’il sortait de studio. Eille, le cave ! Voir qu’en sortant de ton studio, tu m’écris. Come on, je n’ai pas 16 ans », s’exclame-t-elle.

Nathalie Ménard défie parfois les falsificateurs en leur posant des questions pointues, notamment sur ses nombreux tatouages. Il faut dire que Nathalie Ménard et Éric Lapointe portent le même dessin sur le bras gauche, le serpent de la pochette de l’album Ma peau.

D’habitude, Nathalie Ménard coupe court aux discussions avec les faux Éric Lapointe, car elle est convaincue que les charlatans n’habitent même pas le Québec. Ils utilisent des termes comme « manager », au lieu de gérant, ou « sponsors », au lieu de commanditaires. Leurs messages sont aussi bourrés de fautes d’orthographe et de syntaxe.

Pour La Presse, elle a toutefois entretenu une conversation plus longue avec un certain « eric_lapointre_officiel ». Le vrai compte d’Éric Lapointe s’appelle « eric.lapointe_officiel », sans coquille dans le nom de famille.

Celui-ci a demandé à la Joliettaine son lieu de résidence, son âge, si elle avait des enfants, si elle était mariée et si elle croyait en l’amour sur le web. Il lui a mentionné qu’il la trouvait belle. Après avoir échangé quelques dizaines de messages, Éric Lapointre (sic) lui a offert d’avoir accès en exclusivité aux dates de ses prochains spectacles et à des gros lots.

Tout ce qu’elle devait faire, c’est de remplir « une recharge » Neosurf de 150 $ dans un « bureau à tabac », un dépanneur en québécois.

Nathalie Ménard n’a pas pu se retenir. Elle lui a écrit : « va arnaquer quelqu’un d’autre ».

Le faussaire lui a répondu : « ta mère ».

Le vrai du faux

La Presse a fait parvenir des captures d’écran de huit faux Éric Lapointe « officiel » au porte-parole de Facebook. En moins de 24 heures, les comptes ont été fermés. Le hic, c’est que Facebook n’a pas été en mesure de distinguer le vrai compte du chanteur parmi les faux. L’authentique a aussi été supprimé. « Il [le gestionnaire des réseaux sociaux d’Éric Lapointe] essaie de se brancher avec les codes et ça ne fonctionne pas. Instagram ne reconnaît même plus le courriel et le nom d’utilisateur qu’il a utilisés pour ouvrir le compte », a indiqué une personne de l’entourage du chanteur. Notons que ce dernier a été accusé de voies de fait contre une femme le 25 octobre dernier.

Facebook demande à ses abonnés de dénoncer les faux comptes à l’aide du bouton « signaler » affiché sur la page de chaque utilisateur. « Nous ne tolérons pas les fausses déclarations sur nos plateformes et nous travaillons rapidement pour éliminer les comptes frauduleux », a répondu la société américaine, par écrit.

Pour éviter de tomber dans le piège de fraudeurs, Facebook recommande à ses utilisateurs de ne suivre que les comptes qui possèdent un badge bleu. Ceux-ci ont été authentifiés. Facebook affirme également que toute arnaque doit être dénoncée, tant à l’entreprise qu’aux policiers.

— Avec Maryse Tessier, La Presse

« Tu es le vrai Marc Dupré ? »

Dix heures. C’est le temps qui s’est écoulé entre l’instant où notre journaliste a publié une photo du chanteur Marc Dupré et le premier message qu’elle a reçu d’un hameçonneur sur Instagram. Marcdupre_off_compre_prive lui a tout bonnement lancé un « salut », en message privé.

Notre journaliste s’est empressée de vérifier l’identité du chanteur en lui demandant s’il était le vrai Marc Dupré. Sa réponse nous a laissés perplexes : « Je comprends parfaitement ta réaction, mais je ne suis pas un Dieu ni ce genre d’homme qui use de sa célébrité pour dénigrer les autres. »*

Marc Dupré (le faux !) nous a souvent fait languir plusieurs heures avant de répondre à nos questions. Somme toute, après quatre messages, il a commencé à nous aguicher : « Tu es vraiment une fan et cela mérite une récompense. »

Il a ensuite proposé à notre reporter, qui s’appelle groupiemtl sur Instagram dans le cadre de ce reportage, de lui consacrer du temps libre pour passer un moment avec elle. Il faut dire que la journaliste a prétendu avoir assisté à 22 spectacles du chanteur !

Trois jours après le début de la conversation entre la vraie journaliste et le faux chanteur, celui-ci nous a écrit : « Pour la rencontre, tu seras vraiment priée de faire quelque chose, car j’aide vraiment les personnes démunies vivant dans les pays pauvres, tu sais. »

Le faux Marc Dupré nous a alors demandé de verser 500 euros, le jour même, « dans le but de secourir les orphelins et les démunis dans les pays pauvres notamment en Afrique ».

Notre journaliste a voulu savoir comment lui faire parvenir l’argent. Le faux chanteur nous a demandé de nous rendre dans un « bureau de tabac » pour y acheter des coupons Neosurf, des cartes prépayées pour faire des achats sur l’internet, ou de faire parvenir l’argent par Western Union à son « représentant qui se trouve présentement dans un pays appelé le Mali ».

Notons qu’il est impossible de suivre le parcours de l’argent envoyé par l’entremise de Western Union.

Éric Lapointe (ericlapointe232323) a aussi engagé la discussion avec notre journaliste en lui envoyant des bisous. Lorsque nous lui avons demandé s’il était le vrai Éric Lapointe, il a répondu : « oui, bien sûr fan ! ». « C’est ici que je parle à mes fans », a-t-il enchaîné.

Le prétendu Éric Lapointe nous a rapidement offert sa « carte fan », qui permet d’avoir accès à tous ses spectacles en loge VIP pour l’année 2019, avec six amis, des dédicaces et, surtout, un voyage pour deux personnes vers la destination de notre choix.

Tous ces cadeaux seraient offerts en échange de 500 $ à lui faire parvenir en coupons Neosurf.

À la fin des deux discussions, nous avons révélé notre véritable identité aux fraudeurs et nous leur avons demandé une entrevue.

Marc Dupré a dit ne pas comprendre pourquoi l’on doutait de lui. Il a réitéré qu’il était le vrai Marc Dupré. Puis, le lendemain de notre demande d’entrevue, le compte marcdupre_off_compre_prive a mystérieusement disparu d’Instagram.

Le faux Éric Lapointe, lui, a simplement cessé d’utiliser le compte ericlapointe232323.

Des fraudeurs organisés

Des euros, un bureau de tabac, le Mali… Mais qui tombe dans le piège de ces fraudeurs avec des signaux aussi évidents ?

Assurément quelques personnes, croit Éric Lessard. L’expert en fraude sur les réseaux sociaux affirme que les escrocs qui utilisent l’identité de personnalités québécoises s’y prennent de la même manière que dans les stratagèmes amoureux. Ils complimentent, charment et envoûtent leurs victimes potentielles. Ils leur proposent ensuite une rencontre privée ou des billets dans une loge, quelque chose que les admirateurs ont toujours cru inaccessible, quelque chose dont ils rêvent.

« C’est toujours le même stratagème, souligne M. Lessard. Ils veulent te faire vivre quelque chose d’unique, mais quelque part dans la chaîne, tu vas devoir payer. »

Selon lui, les fraudeurs viennent souvent de pays de l’Afrique de l’Ouest et ils ne travaillent pas dans l’obscurité de leur sous-sol, mais bien de manière organisée.

Ce sont des business. Ils sont installés dans de grands bureaux et commettent toutes sortes de fraudes. Ils sont payés à la commission. On les assoit derrière un écran, ils se font passer pour une dame super sexy ou pour un artiste, et ils vont à la pêche sur le web.

Éric Lessard, expert en fraude sur les réseaux sociaux

Le Centre antifraude du Canada, géré par la Gendarmerie royale du Canada, ne possède aucune statistique concernant les fraudeurs qui se font passer pour des artistes canadiens. Sue Labine, superviseure des opérations du centre d’appel, confirme toutefois que dans ce genre de situation, les « criminels sont principalement localisés à l’étranger ».

Même si les montants des fraudes ne sont pas toujours élevés, Mme Labine indique que les victimes devraient toujours porter plainte à leur service de police locale ainsi qu’au Centre antifraude du Canada.

Elle affirme aussi que les internautes devraient se méfier de toute personne qui demande un transfert d’argent par Western Union sur les réseaux sociaux. « Si vous envoyez de l’argent à un fraudeur, il est très rare que la transaction puisse être retracée. On encourage aussi toutes les victimes à communiquer avec Western Union. »

La Sûreté du Québec n’a pas enregistré de plaintes concernant des fans qui se seraient fait duper par de faux artistes, mais cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas de cas, affirme Hugo Fontaine, lieutenant aux communications de l’organisation.

Certaines victimes ne veulent pas dénoncer la fraude, car ils ont honte de s’être fait prendre, dit-il. « Il y a des gens qui ne sont pas conscients de s’être fait avoir. Il y a aussi des personnes qui ne voient pas la pertinence, pour un petit montant, de rapporter la fraude », explique le lieutenant.

M. Fontaine ne s’en cache pas : certains pays d’Afrique collaborent mieux que d’autres pour enrayer les fraudes. Pour donner du poids aux enquêtes et éradiquer les arnaqueurs, il insiste sur le fait que les victimes doivent porter plainte.

*Les nombreuses fautes d’orthographe ont été corrigées dans les messages pour améliorer la lecture du texte.

« C’est désolant »

PHOTOMONTAGE LA PRESSE

Daniel Boucher et Marc-André Fortin

Deux artistes témoignent de leur lutte contre les faux comptes

Marc-André Fortin : « Ils demandaient 300 $ à mes fans »

Le chanteur Marc-André Fortin a fait face à des fraudeurs infatigables, l’été dernier. Au mois de juillet, une première fan lui a signalé qu’un individu utilisait son nom et ses images sur Facebook. Le gagnant de Star Académie 2005 a réussi à faire fermer le compte sans trop de problèmes.

Quelques semaines plus tard, de faux comptes avec son nom sont apparus quotidiennement sur les réseaux sociaux. Dans tous les cas, les escrocs tentaient de charmer leurs victimes, puis ils leur demandaient de l’argent.

« Ce qui est plus grave, c’est qu’ils demandaient 300 $ à mes fans en échange d’une carte de membre VIP. Franchement, il faut le faire ! », s’exclame l’artiste.

Marc-André Fortin ignore si certaines personnes ont envoyé de l’argent aux fraudeurs. « Je trouve ça bien désolant. Ç’a été de l’ouvrage de signaler tous ces comptes, mais c’est surtout désolant pour les gens qui sont plus vulnérables. »

Daniel Boucher : « L’envie de leur sacrer un bon coup… »

Au printemps dernier, une femme a contacté le chanteur Daniel Boucher pour le prévenir que quelqu’un utilisait son identité sur Instagram. « J’ai reçu un message qui me disait : “Il veut nous voir, tes fans, sur vidéo avec peu de vêtements. Je voulais juste te le faire savoir.” » Le faux compte a été signalé et fermé.

Mais les fraudeurs ont continué à utiliser le nom du chanteur. Ils tentent de soutirer de l’argent à leurs victimes ou leur demandent des données personnelles sur Facebook et Instagram.

Le vrai Daniel Boucher ne peut jamais voir les comptes frauduleux parce que les escrocs lui bloquent l’accès. « Ça me donne envie de mettre mes bottes capées et de leur sacrer un bon coup dans le cul », dit-il au sujet des fraudeurs.