Le lien de télécommunication entre les îles de la Madeleine et le reste du monde est tout aussi précaire qu’avant la rupture majeure de service survenue il y a bientôt un an.

Les travaux de réfection espérés depuis des années sur les câbles sous-marins qui alimentent l’archipel n’ont jamais eu lieu et aucune mesure de relève durable n’a été livrée en cas d’absence prolongée de connexion. En outre, la seule compagnie d’assurances encline à offrir une couverture pour ces câbles en cas de rupture cessera d’offrir ses services au début de l’année 2020, a appris La Presse.

Le 29 novembre 2018, une violente tempête a sectionné l’un des deux câbles déposés au fond de la mer entre les îles et la Gaspésie, tandis que l’autre est tombé en panne. Pendant plusieurs heures, les résidants ont ainsi été privés de connexion internet et cellulaire. Les transactions bancaires et le transport aérien ont été paralysés, et plusieurs services médicaux ont été momentanément indisponibles, ce qui a fait craindre le pire aux Madelinots. Heureusement, le service a été rétabli le soir même sur le câble en panne.

Or, un an plus tard, « si une tempête survenait demain matin, on serait dans les mêmes conditions », résume Claude Cyr, président du Réseau intégré de communications électroniques des Îles-de-la-Madeleine (RICEIM), organisme à but non lucratif qui est propriétaire des câbles de télécommunication sous-marins.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

« Si une tempête survenait demain matin, on serait dans les mêmes conditions [que novembre 2018] », résume Claude Cyr, président du Réseau intégré de communications électroniques des Îles-de-la-Madeleine.

Les risques sont pourtant connus depuis longtemps. Après deux ruptures, en 2012 et en 2016, le RICEIM a fourni au gouvernement libéral un rapport d’expert faisant état de l’usure prématurée des câbles. À la fin de l’année 2017, Pierre Moreau, alors ministre responsable de la région, avait donc annoncé une aide publique d’une dizaine de millions pour financer une réfection majeure des câbles.

Or les Îles n’ont toujours pas vu la couleur de cet argent. Et ne la verront, à l’évidence, jamais.

Pas de travaux

À la fin de 2018, dans les jours ayant suivi l’interruption majeure de service, le nouveau gouvernement caquiste a fait l’aveu que cette enveloppe, non budgétée par ses prédécesseurs, était introuvable. En entrevue téléphonique avec La Presse, jeudi, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a confirmé que ces travaux n’auraient pas lieu. Québec annoncera plutôt d’ici quelques semaines une « solution permanente », a-t-il ajouté, sans toutefois en préciser la nature.

Député des Îles-de-la-Madeleine, le péquiste Joël Arseneau ne s’explique toujours pas comment cette promesse à l’égard d’une « infrastructure vitale » pour les Madelinots a pu s’évaporer ainsi.

« Le nouveau gouvernement a la même mission que le précédent, les fonctionnaires sont les mêmes, ce sont eux, les interlocuteurs du RICEIM », souligne-t-il.

À ses yeux, Québec a agi de manière « irresponsable » dans ce dossier.

On vit avec la crainte. Des tempêtes comme celle de l’an passé, il va y en avoir chaque automne. On est sur le qui-vive.

Joël Arseneau, député péquiste des Îles-de-la-Madeleine

Québec privilégie l’installation d’un troisième câble sous-marin qui sera assortie au projet d’Hydro-Québec d’alimenter l’archipel en hydroélectricité. Pour l’heure, les Îles sont desservies par une centrale électrique au diesel, mais la société d’État prévoit les raccorder à la Gaspésie avec un réseau de câbles. Date prévue de la mise en service : 2025.

D’ici là, Pierre Fitzgibbon assure qu’une solution va assurer la « transition » et la « résilience ». Jusqu’ici, aucun plan de relève n’a été élaboré par le gouvernement dans l’éventualité d’une nouvelle coupure complète d’alimentation.

Le ministre affirme avoir expliqué son plan au maire des Îles, Jonathan Lapierre, pendant un déjeuner jeudi matin. M. Lapierre n’a pas donné suite aux nombreux messages que nous lui avons laissés au cours des derniers jours.

Différents acteurs du dossier redoutent l’installation d’une antenne à micro-ondes, technologie que les Îles ont sciemment abandonnée il y a 15 ans au profit des câbles sous-marins.

Voilà des mois que le RICEIM tente d’avoir des détails sur un plan de relève. En vain.

« On n’a pas de réponse. Pas de son, pas d’image », ironise Claude Cyr, du RICEIM.

M. Cyr n’est pas contre l’idée de vivre avec les câbles en place en attendant 2025 « si le gouvernement décide d’assumer le risque ».

Sans assurances dès 2020

« Assumer le risque », c’est en réalité financer d’éventuels travaux de réparation sur des câbles qui ne sont plus assurables.

Car l’année dernière, les Îles ont été relativement « chanceuses » dans leur malchance : le câble sectionné a été réparé en quelques semaines seulement, puisqu’un navire contenant à son bord les équipements nécessaires se trouvait déjà à proximité du golfe du Saint-Laurent. Ainsi, non seulement les délais ont été minimisés, mais également les coûts. C’est tout de même une facture de 615 000 $ qui a été envoyée à la compagnie d’assurances du RICEIM. Dans d’autres circonstances, la somme aurait assurément dépassé le million, estime M. Cyr.

Déjà, avant la rupture de novembre 2018, aucune compagnie nord-américaine n’avait consenti à fournir une couverture pour les câbles usés, et une seule compagnie européenne avait finalement répondu à l’appel.

Après la rupture, les coûts d’assurance ont explosé, au point que le RICEIM engloutissait désormais plus de la moitié de son budget d’exploitation annuel de 600 000 $ dans sa prime. Son assureur vient maintenant d’annoncer qu’il ne lui offrirait plus ses services à compter du 1er janvier 2020.

Si un câble devait se rompre de nouveau, le RICEIM n’aurait donc tout simplement pas les reins assez solides pour financer une réparation.

« On va tout régler ça », tranche le ministre Fitzgibbon, ajoutant que Québec épongera la facture le cas échéant, ou encore cherchera un nouvel assureur.

Le ministère de l’Économie et de l’Innovation est censé annoncer, d’ici la fin de la session parlementaire prévue le 6 décembre, le plan du gouvernement en ce qui concerne ce dossier, mais également deux autres sujets chauds aux Îles-de-la-Madeleine, à savoir l’accès à l’internet haute vitesse et le remplacement du traversier CTMA Vacancier.

Rectificatif

Les îles de la Madeleine s’alimentent en électricité par l’entremise d’une centrale thermique à moteur diesel, et non au charbon, contrairement à ce que nous avons écrit dans la version précédente du texte. Nos excuses.