Le test des valeurs n’était qu’un écran de fumée.

De la poudre aux yeux des ethno-anxieux.

Un machin sans conséquences qui n’aura servi qu’à détourner l’attention médiatique pendant qu’on adoptait des règles d’immigration autrement plus déplorables.

Personne ne l’avait vue venir. Du jour au lendemain, cette réforme a anéanti les espoirs de milliers d’étudiants et de travailleurs étrangers, à qui l’on avait promis la résidence permanente au Québec.

Pour eux, c’est un coup de massue.

Dorénavant, seuls les étrangers qui détiennent un diplôme ou une expérience d’emploi dans des domaines prédéfinis par le gouvernement auront accès à un programme leur permettant d’obtenir rapidement leur résidence permanente.

Ces mesures rétroactives s’appliquent à tout le monde, même à ceux qui ont tout plaqué pour venir étudier au Québec. Si leur champ d’études ou leur domaine d’emploi ne figure pas sur la liste élaborée par le gouvernement, tant pis pour eux.

On les a attirés au Québec à grand renfort de publicité. On les a formés dans nos universités. Ils y ont cru. Ils ont dépensé des fortunes pour refaire leur vie chez nous.

Ils ont trimé dur. Ils ont payé leurs études, appris le français, contracté une hypothèque, envoyé leurs enfants à l’école. Ils se sont enracinés. Et maintenant, on leur dit que tout compte fait, ça ne nous intéresse plus… retournez donc chez vous !

Au diable leurs efforts pour s’intégrer à la société québécoise. On les traite comme s’ils étaient des immigrants jetables, dont on peut disposer comme bon nous semble.

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Sabr El Djamil Abada est encore sous le choc.

Il a appris vendredi qu’il ne serait pas admissible à la nouvelle mouture du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), initialement créé en 2010 pour inciter les étrangers à s’établir au Québec à la fin de leurs études.

M. Abada avait pourtant tout prévu. En 2017, il avait émigré d’Algérie avec sa femme, Rima, médecin spécialiste, et leurs deux enfants, Samy et Zackary.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Sabr El Djamil Abada, sa femme, Rima, et leurs deux enfants, Samy et Zackary, ont quitté l’Algérie pour venir s’installer au Québec. Mais les nouvelles règles en matière d’immigration adoptées par Québec compromettent tous les efforts qu’ils ont faits pour refaire leur vie dans la province. 

Il savait que ce ne serait pas facile.

Il savait que Rima ne pourrait pratiquer la médecine avant d’obtenir les équivalences requises dans son domaine.

Il savait qu’il devrait lui-même retourner aux études, bien qu’il soit déjà détenteur de deux maîtrises en Algérie. C’était la seule façon d’avoir accès au PEG, une voie rapide et sûre, se disait-il, pour obtenir un Certificat de sélection du Québec (CSQ).

Il savait tout ça, mais il y était préparé. Il s’était inscrit à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, tout en se faisant rapidement embaucher dans une boîte montréalaise de marketing.

À elles seules, ses études lui ont coûté 30 000 $. Depuis son arrivée au Québec, il a grillé près de 100 000 $. Toutes ses économies sont parties en fumée.

Mais qu’importe :  M. Abada se croyait enfin au fil d’arrivée. Il obtiendra son diplôme incessamment. « J’ai fini toute ma formation et là, le ciel me tombe sur la tête ! »

Avec la réforme de l’immigration, tous ses plans tombent à l’eau.

Il n’a pas envie de retourner en Algérie.

« Mes enfants se plaisent ici, à tel point qu’ils ont oublié leur vie à Alger. Ils se sont faits tout pleins d’amis à l’école et dans le quartier, et cela me briserait le cœur de les arracher encore une fois à leur milieu. »

Son aîné, 5 ans, « a déjà l’accent québécois ».

Il n’a pas davantage l’intention de déménager dans la seule région du Québec où sévirait une pénurie de professionnels en marketing, selon le gouvernement : le Bas-Saint-Laurent.

« Je travaille dans mon domaine, à Montréal, depuis un an et demi. De toute évidence, l’entreprise qui m’emploie a besoin de moi. »

Pourquoi devrait-il prendre le risque de déraciner à nouveau sa famille ? S’il a accepté de le faire une première fois, c’est parce que les règles, croyait-il, étaient claires.

Il se trompait. Et il n’y croit plus.

« La CAQ nous a montré qu’à n’importe quel moment, elle peut changer les règles du jeu. Si je pars à Rimouski, qu’est-ce qui me garantit que j’aurai un CSQ dans un an ? La confiance, entre le gouvernement et nous, est rompue. »

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Des milliers d’étudiants étrangers et de travailleurs temporaires sont dans la même impasse que M. Abada. En deux jours, un groupe Facebook créé pour combattre la réforme a récolté 6000 abonnés.

Après y avoir fait un appel à tous, hier matin, j’ai été submergée de courriels, lancés comme autant de bouteilles à la mer. Le mot qui revenait le plus souvent : « désespoir ».

Mes correspondants étaient français, belges, marocains, algériens, chinois, brésiliens…

« Je ne sais plus quoi faire, je suis désespéré. »

« C’est le projet de toute une vie qui se brise. »

« J’ai tout donné et sacrifié, je n’ai plus rien en Belgique. »

« Toutes mes économies sont parties. »

« Je me sens trahi. Je me sens humilié. Je me sens arnaqué. »

« Aidez-nous, s’il vous plaît ! »

Les nouvelles règles du Ministère sont rétroactives – et c’est ce qui choque le plus ces gens.

Ils se sentent floués, avec raison.

« Pourquoi n’adopterions-nous pas une clause grand-père pour les étudiants qui ont investi des dizaines de milliers de dollars ? », se demande Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration.

« On parle de jeunes diplômés universitaires, qualifiés, qu’est-ce qu’on veut de plus ? Ce sont ces gens-là que les autres pays s’arrachent. Tout l’Occident se bat pour avoir ces cerveaux-là et nous, nous nageons à contre-courant », se désole l’avocat.

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On aurait pu croire que le Québec ferait tout pour garder des gens comme Elsa Corgié, jeune Française qui a eu un coup de cœur pour la culture montréalaise il y a six ans.

La violoniste est si bien intégrée qu’elle a représenté le Québec dans des festivals internationaux. Elle a fait partie des Révélations musicales de l’année 2018 de Radio-Canada.

Elle a même joué Heureux d’un printemps au violon, sur une scène de Granby, aux côtés de Paul Piché !

Plus québécois que ça, tu meurs.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Elsa Corgié a entrepris des études en infographie il y a 18 mois dans l’espoir d’obtenir sa résidence permanente.

Il y a 18 mois, Elsa Corgié a entrepris des études en infographie dans l’espoir d’obtenir sa résidence permanente. Elle a terminé en septembre, à bout de souffle.

Elle vient d’apprendre que c’était peine perdue.

En principe, Elsa Corgié répond à tous les critères de sélection : jeune, francophone, diplômée, travaillante, talentueuse, impliquée dans son milieu, folle amoureuse du Québec. « Mais concrètement, sur papier, ça ne marche pas. »

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« Si c’est nécessaire d’ajuster, on ajustera », a convenu François Legault, hier matin.

C’est nécessaire, Monsieur le Premier ministre.

C’est même primordial.

Écoutez les experts, les étudiants, les recteurs d’université. Ils sont unanimes : il faut des diplômés de tous les domaines pour faire progresser la société québécoise. Pas juste des secteurs où il y a pénurie de main-d’œuvre.

Des bouchers et des thanatologues, d’accord.

Mais des experts en intelligence artificielle aussi.

Écoutez votre propre ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Simon Jolin-Barrette, qui vantait encore en avril les mérites du PEQ : « Ça permet de s’assurer que quelqu’un qui décide de venir au Québec, de s’investir […], qui est diplômé d’une université québécoise, c’est des talents qu’on conserve ici. »

Écoutez votre cœur. Ces gens ne sont pas des numéros. Ce ne sont pas des immigrants jetables. Ce sont des amis, des collègues, des conjoints, des pères, des mères, des enfants.

Ce sont des humains qui aiment le Québec et qui ont cru à ses promesses. Ne les trahissez pas.