Mercredi, alors que l’« Halloweengate » suscitait l’hystérie collective, de p’tits rigolos ont fait circuler sur les réseaux sociaux les photos de Jean Drapeau et Valérie Plante au-dessus desquelles on pouvait lire : « En 1963, Drapeau voulait déplacer la tour Eiffel. En 2019, Valérie Plante déplace l’Halloween. »

En comparant une lubie qui n’a pas vu le jour à une décision destinée à assurer la sécurité des citoyens, les auteurs de ce gag ont voulu mettre en relief le manque d’envergure de l’administration Plante. Et pour faire cela, on a utilisé un procédé malhonnête et mesquin.

Ce genre de commentaire fait partie du lot de critiques que Valérie Plante et son équipe encaissent depuis deux ans. Il suffit de discuter quelques minutes avec la mairesse pour voir que cette perception d’inertie et de manque de vision lui tape royalement sur les nerfs.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Quand j’ai demandé à Valérie Plante, lors de la rencontre éditoriale que La Presse a organisée avec elle plus tôt cette semaine, de me dire quelle était la différence entre celle qui a poussé un long cri de joie sur la scène du Corona, le soir du 5 novembre 2017, et celle qui était devant nous, elle a esquissé un large sourire. Elle avait envie de répondre à cela.

Elle a reconnu que ses deux premières années à la mairie n’ont pas été un « long fleuve tranquille », qu’il y a eu beaucoup d’apprentissage pour elle et son équipe. Elle a réalisé que Montréal était une « grosse machine ». Moi, j’aurais dit un « gros monstre », mais bon.

Elle a aussi dit qu’elle a appris à composer avec une approche « transversale » (un terme qu’elle utilise souvent depuis quelques mois), c’est-à-dire l’art de faire passer un projet dans l’entonnoir de toutes les sphères d’une ville : le développement économique et commercial, l’habitation, la mobilité, l’aménagement, la culture, etc.

Puis, après quelques secondes d’hésitation, elle a abordé une question qui, on le sentait bien, la préoccupe beaucoup : celle du deux poids, deux mesures, qu’elle observe dans le monde politique.

Valérie Plante a découvert au cours des deux dernières années que pour une large part de la population, une mairesse n’est pas un maire.

Les commentaires injustes, méprisants et paternalistes (comme celui sur Jean Drapeau et elle) au sujet de son idéologie et de ses idées, je les entends et je les lis constamment depuis deux ans autour d’une table, dans les réseaux sociaux et dans certains médias. Une élue aura rarement été responsable d’autant de problèmes. Pour beaucoup de gens, Valérie Plante n’est pas une mairesse, elle est le punching bag qui sert à faire désenfler leurs frustrations quotidiennes.

Et pourtant, une majorité de Montréalais l’ont choisie alors que son programme et ses visées étaient clairement affichés. Nous n’avons pas découvert le lendemain de son élection qu’elle était écologiste, défenseuse des inégalités sociales et plutôt à gauche. J’entends souvent dans le discours de certains citoyens le fameux « on s’est fait avoir ». On s’est fait avoir de quoi ? Je vous le demande.

Je ne suis pas en train de dire que Valérie Plante est la perfection incarnée. Elle a commis certains impairs et a pris quelques mauvaises décisions, comme sa participation active au débat sur le projet de loi 21. Celle qui prône la mixité sous toutes ses formes pour sa ville ne voulait clairement pas de cette loi. Elle avait eu la chance d’exprimer son point de vue lors de la série de consultations et les choses auraient dû en rester là.

Mais pour le reste, on doit reconnaître qu’elle a fait ce qu’elle a promis de faire. Ceux qui ne sont pas heureux du résultat auraient dû lire plus attentivement son programme il y a deux ans. En tout cas, la rencontre de mardi avec quelques-uns de mes collègues nous a permis de voir que Valérie Plante a une grande maîtrise de ses dossiers. Pas une fois elle n’a répondu de façon approximative ou superficielle à nos nombreuses questions.

En fait, quand on fait le bilan de ces deux premières années, que reproche-t-on à Valérie Plante ? Toujours les mêmes choses : le recul face au projet de fermeture de la voie Camillien-Houde, son allocution en anglais devant des investisseurs étrangers et, bien sûr, sa fameuse politique du 20-20-20 pour favoriser le logement social et abordable.

Pour les gens du milieu des affaires, dont Valérie Plante ne fait pas partie (une situation qu’elle traîne « comme un boulet »), ce concept leur reste en travers de la gorge. Mais la mairesse y tient, et pour cela, elle est prête à mettre son pied dans la porte.

Au fond, il n’y a qu’une chose qu’on lui reproche, c’est la guerre qu’elle semble vouloir mener contre la voiture. Ça revient toujours à cela, uniquement à cela. Celle qui a fait sa campagne électorale en misant sur la mobilité en prend pour son rhume. Si les tableaux de bord des voitures pouvaient parler, ils en auraient long à dire sur ce qu’ils entendent le matin.

Valérie Plante est visiblement tannée qu’on l’accuse de faire la vie dure aux automobilistes. Elle se crispe quand on lui dit cela. Elle avoue qu’elle rage dans sa voiture le matin en se rendant à un rendez-vous. « Nous, on pense à vous quand on est exaspérés. Mais vous, vous pensez à qui ? », lui ai-je dit avec humour.

Le problème, c’est que pour plusieurs personnes, la mobilité passe uniquement par la voiture. Or, pour Valérie Plante, cela passe par d’autres moyens. Son idée là-dessus est toute simple : elle croit que la voiture est incontournable pour une bonne partie de la population et superflue pour l’autre. C’est sur ce deuxième groupe qu’elle travaille. Pour cela, elle met à sa disposition d’autres moyens : le REM, la voie réservée sur Pie-IX, les transports collectifs (300 autobus hybrides), l’ajout de pistes cyclables, la création du Réseau express vélo (REV), etc.

Valérie Plante fait vivre un électrochoc aux Montréalais. Mais ce ne sont pas tous les Montréalais qui sont prêts à le recevoir. Deux ans après son élection, j’ai de plus en plus le sentiment que sa vision (car elle en a une) est solide et se marie adéquatement avec le XXIe siècle. Je n’étais pas convaincu de cela au départ. Moi aussi, je dialogue parfois avec mon tableau de bord…

Il suffit de prendre le pouls d’autres villes dans le monde pour comprendre que le virage écologique que nous sommes en train de prendre est la bonne chose à faire. Un peu partout, les grandes villes du monde se dotent d’une dimension plus humaine. Montréal emboîte enfin le pas.

Deux ans dans la vie d’une mairesse, c’est long et c’est court. Il faudra attendre la fin du mandat de Valérie Plante pour vraiment voir l’étendue de sa signature. Mais chose certaine, celle qui a utilisé le slogan « L’homme de la situation » lors de sa campagne a appris que lorsqu’on devient mairesse, on est aussi la femme de la perception.