À 27 ans, Kim souffre d’une légère déficience intellectuelle, d’un trouble du déficit de l’attention sévère et de dysphasie. Au cours des cinq dernières années, elle s’est retrouvée à deux reprises sous la coupe de conjoints violents. Malgré tout, en 2017, elle a retrouvé la garde de sa fille Laurianne. La Loi sur la protection de la jeunesse est claire : le premier choix, c’est que l’enfant demeure chez ses parents biologiques. La tragédie de Granby a remis cette orientation en cause. Or, l’histoire de Kim, c’est un peu le contre-exemple de celle de Granby. Elle est matière à réflexion.

L’envers de Granby

Au plus creux de son histoire difficile, Kim l’avoue : il lui est arrivé de frapper sa fille.

La petite avait alors 3 ans.

Kim avait quitté la maison de sa mère, où elle habitait depuis la naissance de la petite Laurianne, en 2014. Elle était tombée amoureuse et était allée vivre avec son nouveau conjoint dans une autre ville, loin de sa famille et de ses amis.

« Au début, ça allait bien. Puis, il a commencé à me frapper, à me crier après. Je n’avais plus le droit de voir ma famille et mes amis, raconte Kim. J’ai fait une dépression et une tentative de suicide. »

Et au plus sombre de cette période noire, elle le dit franchement : elle a porté la main sur sa fille. « Ça me fait tellement mal d’en parler. Je n’étais plus là. J’étais malade. Je la tapais. Mais je ne m’en souviens plus. »

Kim finit par aboutir aux urgences. Elle passe des semaines à l’hôpital psychiatrique. Après son retour à la maison, des membres de son entourage signalent son cas à la direction de la protection de la jeunesse (DPJ).

On avait une enfant pleine de fragilité. Une mère fragile également. Et les membres de sa famille étaient inquiets pour elle. À cause de ce nouveau conjoint, elle n’avait plus accès à l’aide de ses proches.

Pascale Daudelin, sa travailleuse sociale

La DPJ a donc retiré à Kim la garde de sa fille, qui a été confiée à sa propre mère. Motifs du placement : les mauvais traitements physiques infligés à l’enfant, l’état psychologique détérioré de la mère et le fait que l’enfant n’avait pas vu de pédiatre depuis six mois.

« On la trouvait tellement vulnérable qu’on se demandait si elle pourrait retrouver la garde un jour », résume Mme Daudelin.

« Au début, j’étais soulagée, admet Kim. Ça a duré deux mois. Après, j’ai commencé à m’ennuyer. Ma fille me manquait. La médication faisait effet, j’étais suivie par un psychiatre. J’allais mieux. »

Le chemin pour ramener la petite Laurianne chez elle n’a pas été simple. Il a duré 18 mois. « Kim en avait beaucoup sur sa table de travail », résume Pascale Daudelin.

Il y a d’abord eu une séparation. « Si je voulais retrouver la garde, je devais me séparer de mon conjoint. » C’est ce qu’elle a fait. Kim est partie vivre seule, en appartement. Elle est allée suivre une thérapie destinée aux femmes violentées. Par la suite, elle a été suivie par une travailleuse sociale de son CLSC toutes les semaines. Puis, elle s’est mise à fréquenter L’Envol, un groupe communautaire qui offre le programme Je tisse des liens gagnants, destiné aux parents à risque (voir capsule). À cause de son handicap, la jeune femme est aussi suivie par le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle (CRDI).

« Il fallait reconstruire son réseau à elle. Nous, on est là pour l’enfant, mais si on veut que ça fonctionne, il faut que la mère ait des suivis », explique Mme Daudelin

Bref, une armée d’intervenants s’est mise en branle pour soutenir la mère et son enfant. Car la petite Laurianne était également suivie de près par les intervenants de la DPJ, ainsi que par l’hôpital Sainte-Justine, pour divers problèmes de santé.

Kim l’avoue, elle a encore beaucoup de limitations. Elle a parfois du mal à déchiffrer son courrier. Elle a dû apprendre à utiliser un agenda. Elle a encore peu de mémoire à court terme. Elle a beaucoup travaillé pour vaincre ces crises de panique qui la paralysaient. « Maintenant, je suis capable de prendre le dessus. »

Avoir un enfant, c’est beaucoup de travail, de temps, de patience. Grâce à l’aide que j’ai eue, j’ai pu apprendre tout ça.

Kim

En octobre 2017, le tribunal lui accorde officiellement la garde de sa fille. « Quand ils ont vu tout le travail que j’avais fait, ils ont décidé de me redonner la garde un mois avant. J’étais tellement fière. »

Ce serait bien de vous dire que l’histoire se termine là et que tout va bien depuis. Mais ce serait faux.

Un « filtre à chums pas au point »

Dans l’histoire de Kim et de Laurianne, il y a eu, très rapidement, de nouveaux cahots.

En bref, Kim a rencontré un autre homme. « Quand on l’a vu pour la première fois, il nous a dit qu’ils allaient prendre leur temps. Une semaine plus tard, il avait emménagé chez elle », relate Mme Daudelin. Sur le tableau de bord de tous les organismes qui suivaient la mère et l’enfant, les voyants rouges se sont allumés.

« L’information a rapidement circulé entre tous les intervenants : Kim est retombée en amour. Ça a fait lever un drapeau parce que son filtre à chums n’est pas tout à fait au point. C’est toujours un piège qui la guette : la manipulation », résume la travailleuse sociale. De fait, malgré tout le soutien dont elle bénéficiait, Kim a replongé dans le cycle de la violence conjugale.

En théorie, le suivi de la DPJ aurait dû se terminer en juin 2018. « Mais quand on a vu la situation avec le conjoint, qui était fragile, on a continué le suivi. Kim se fragilisait. Si on avait fermé le dossier, elle aurait probablement perdu la garde de nouveau. » Bref, si la DPJ s’était retirée, l’histoire ne se serait pas bien terminée ? « Non, ça ne se serait pas bien terminé », s’exclame spontanément Kim.

La jeune femme a fini par quitter ce nouveau conjoint six mois plus tard. Depuis, elle vit seule avec Laurianne dans leur petit appartement, situé au bout d’une rue qui se termine par un cul-de-sac, et juste devant un parc. L’idéal pour une petite fille de 5 ans qui aime bouger. Laurianne a commencé la première année. À l’école, elle est suivie par un ergothérapeute et un orthophoniste.

Où Kim se voit-elle dans cinq ans ? « J’aimerais avoir recommencé à travailler. Et j’aimerais que la petite continue à aller dans le droit chemin. »

Kim sait qu’elle va avoir besoin de soutien toute sa vie. Et pour Pascale Daudelin, c’est là sa grande qualité, celle qui lui a permis de retrouver sa fille. « Elle accepte l’aide. »

Pourquoi donner une chance à Kim ? Pourquoi prendre un risque pour la petite Laurianne ? Pascale Daudelin fait une pause avant de répondre. « J’aurais envie de dire : et pourquoi pas ? Cette enfant-là a le droit à ses parents, s’ils sont capables de s’en occuper. »

Des groupes qui ont un effet positif

Depuis 2011, partout au Québec, deux programmes de suivi intensif sont offerts aux parents à risque. Et leur approche semble donner des résultats.

Je tisse des liens gagnants

On vise les familles qui se retrouvent dans un contexte de négligence. Le programme est volontaire, et comporte un suivi individualisé du parent et de l’enfant ainsi que des activités de groupe. On parle aux parents de compétences parentales, de relations conjugales, d’estime de soi. La durée totale du suivi est de 24 mois. L’idée du programme est d’intervenir rapidement, avant que la négligence soit vraiment installée. Et, selon Marie-Josée Tremblay, coordonnatrice des services à l’enfance au CISSS de la Montérégie-Est, ça fonctionne. « C’est clair qu’il y a eu plusieurs situations prises en charge par le CLSC où on en est arrivé à ne pas avoir de signalement en négligence. On a pu éviter le retrait des enfants ou fermer le dossier de DPJ parce qu’il y avait un bon suivi. Et ce sont des situations qu’on n’a pas vues réapparaître. »

Ma famille, ma communauté

La clientèle visée, ce sont les enfants à risque d’être placés en famille d’accueil, ou qui tentent un retour dans leur famille biologique après un placement. L’idée est d’instaurer un processus décisionnel en équipe, qui vise la mise sur pied d’un « plan de sécurité » pour l’enfant. Dans ce groupe, on retrouve évidemment les parents, mais aussi des membres de la famille élargie qui pourraient éventuellement recueillir l’enfant. La DPJ est également présente, tout comme d’autres intervenants, médecins, intervenants en toxicomanie, professeurs ou éducatrices en garderie. Les différents partenaires se rencontrent quatre fois l’an. Un facilitateur dirige les rencontres. « Tout le monde est expert autour de la table. Et tout le monde réfléchit ensemble à la situation. On tente de faire en sorte que l’enfant demeure chez lui, mais avec un filet de sécurité. Le parent sait que son enfant risque d’être placé. On discute très franchement des situations », explique Martine Cabana, responsable de l’implantation du programme au CISSS de la Montérégie-Est.

Plaidoyer pour les parents

La complexité des relations entre un enfant, sa famille biologique et une famille d’accueil, Pascale Daudelin connaît bien. Travailleuse sociale au CISSS de la Montérégie-Est, elle a géré, au fil des ans, des centaines de cas délicats. Et pour elle, ça ne fait aucun doute. « Les parents biologiques sont la base, la racine de ces enfants. »

Son expérience lui a montré que les parents biologiques, même « hypothéqués », réussissent souvent à se reprendre en main. « La majorité du temps, on voit des gens rebondir. Je ne resterais pas si j’avais juste des histoires de catastrophes !, dit-elle. La réussite, c’est quand les parents s’ouvrent à l’aide et qu’ils ont mis en place leur détecteur d’impuissance ou d’épuisement. Il faut les équiper pour travailler la prochaine crise. C’est correct d’avoir besoin d’aide. Ce qu’on n’accepte pas, c’est que vous ne preniez pas les moyens. Aller dans une banque alimentaire tous les mois, c’est inquiétant, mais c’est un moyen pour nourrir tes enfants. Si ton enfant arrive à l’école pas nourri, c’est ça qui n’est pas correct. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Kim et Laurianne en compagnie de la travailleuse sociale Pascale Daudelin

Car le placement en famille d’accueil n’est pas une panacée. La loyauté des enfants envers leurs parents biologiques est souvent surprenante, témoigne-t-elle. « Les enfants finissent toujours par vouloir savoir d’où ils viennent, et ce qui est arrivé. Il y a des enfants qui ont vécu des traumatismes majeurs et qui vont quand même te demander de tout faire pour les ramener chez eux. C’est toujours étonnant. Il y a des histoires tellement souffrantes que tu te dis : “Ils ne voudront plus jamais leur parler.” Et non. Ils veulent y retourner. Même lorsqu’ils se sont construit une vie ailleurs. »

Certaines de ces histoires ont bouleversé ses certitudes. « Les premières années de ma carrière, j’ai eu une jeune de 15 ans qui avait été confiée tout bébé à une voisine par sa mère. Ce couple-là a gardé la fillette jusqu’à ce qu’elle ait 12 ans. Elle les appelait papa, maman, c’était sa famille. Elle voyait sa mère une fois l’an, pour aller magasiner. Quand elle est arrivée à l’adolescence, la question de l’adoption s’est posée. La mère biologique était d’accord. À ce moment-là, la jeune a tout défait le lien avec sa famille d’accueil. Elle a tout démoli, elle a refusé ce qu’ils lui offraient. Elle était incapable d’expliquer pourquoi elle avait provoqué cette rupture, mais une chose était sûre, si elle avait eu à choisir, elle choisissait sa mère biologique. Alors elle s’était retrouvée dans une autre famille d’accueil. Bref, elle a tout perdu. »

La plupart des parents qui doivent faire face aux services sociaux ont eux-mêmes été des enfants carencés, issus de familles dysfonctionnelles, souligne la travailleuse sociale. 

« Ces parents, ce sont les enfants qu’on a eus avant. Si tu as eu un parcours difficile, tu risques d’être dérouté dans ton rôle de parent. Souvent, ils veulent être de bons parents ! Mais le conjoint n’est finalement pas le prince charmant. Et le bébé, ce n’est pas si facile. Et à 2 ans, quand il fait des crises et qu’elles n’arrivent pas à le consoler, certaines mères se disent : “Il ne m’aime pas.” »

Drôle de famille

Mais parfois, il arrive des moments de grâce où familles biologiques et milieux d’accueil s’unissent pour le bien d’un enfant. Comme cette histoire impliquant une mère et son garçon, vécue de très près par Mme Daudelin. La mère avait déjà trois enfants. Après qu’elle a rencontré un nouveau conjoint, sa vie bascule. La DPJ doit intervenir et confie les enfants à leur père. Mais la mère est enceinte d’un quatrième garçon, qui naît prématurément parce qu’elle n’a pas respecté les conseils du médecin. L’enfant a des besoins immenses, que sa mère est incapable de combler.

« Les premiers adultes qui l’ont investi, tout de suite après la naissance, ce sont les parents d’accueil. Des personnes d’exception », raconte-t-elle. La mère a des droits de visite deux fois par semaine. Les visites se déroulent bien, mais le bébé fait des crises majeures après ces rencontres. Dans les mains de sa mère biologique, il vit une profonde insécurité.

« Par la suite, la mère biologique est retombée enceinte, du même père. Elle a accouché d’une petite fille. On lui a laissé sa fille. Dans les premiers jours, elle a pris conscience de ce dont elle avait privé son fils. Et là, la sensibilité parentale a été atteignable. La mère d’accueil a été capable de dire à la mère biologique : “Tu sais, je ne veux pas te le voler, mais je suis inquiète pour lui.” La mère a donc fait le choix de voir son fils en présence du milieu d’accueil. Elle voulait le voir grandir, mais pas être une source de négatif pour lui. On a amorcé des rencontres avec le milieu de vie. Ça se faisait les fins de semaine. Moi, j’étais là, parce que je devais superviser. »

Pendant des années, ces rencontres ont eu lieu sur une base régulière. Tout ce beau monde est allé au parc, à la piscine, aux pommes. Et durant le temps des Fêtes, on se rendait tous les ans dans un centre commercial pour prendre une photo de famille. Sur la photo, la mère biologique, le père des enfants plus âgés, les trois frères, la petite sœur, le garçon placé ainsi que le père et la mère d’accueil.

« Dans la file d’attente pour le père Noël, le père d’accueil m’avait dit : “On est vraiment une drôle de famille !” »

Plaidoyer pour des changements

Les familles vulnérables et les enfants qui s’y retrouvent dans des situations critiques, Camil Bouchard a passé la majeure partie de sa vie à les étudier, comme psychologue et comme chercheur. Et pour lui, la situation est extrêmement claire : la Loi sur la protection de la jeunesse doit être modifiée. « Est-ce qu’on ne devrait pas avoir une loi qui établit clairement qu’on veut protéger le plus vulnérable dans le scénario ? Et le plus vulnérable, c’est l’enfant ! »

Il estime que la loi actuelle, qui établit clairement que la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) doit « tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial », crée dans les faits une égalité des droits entre l’enfant et son parent biologique, une situation malsaine.

« Lorsqu’on dit que toutes les décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant, mais qu’elles doivent toutes tendre à maintenir le milieu familial comme milieu de vie, ça a amené une ambiguïté dès le point de départ. Comme si l’intérêt de l’enfant était nécessairement mieux servi par le milieu familial. Or, il arrive que, dans beaucoup de circonstances qui sont soumises à l’attention des juges, ce ne soit pas le cas ! Mais le juge, lui, il est encadré par un texte de loi, il doit statuer à partir de ce texte et d’une jurisprudence. C’est une loi qui devrait être dédiée exclusivement, et pas seulement prioritairement, à la protection des droits des enfants », fait-il valoir.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Camil Bouchard

Pour M. Bouchard, qui a siégé à l’Assemblée nationale pendant sept ans, cet article de la loi doit être réécrit, pour se recentrer sur l’enfant lui-même. « Ça prend une loi qui a du mordant, des dents, et une clarté telle qu’on sait qu’on a affaire à une protection des plus vulnérables dans la cellule familiale. »

La Loi sur la protection de la jeunesse, entrée en vigueur en 1979 sous le gouvernement Lévesque et dont la dernière mouture date de 2007, est basée sur le postulat – inexact selon lui – que le maintien dans le milieu familial, ou alors en famille élargie, est le scénario le plus adéquat pour l’enfant. « Dans le libellé actuel de la loi, le poids est très lourdement porté sur le fait que la famille de proximité, au point de départ, est le meilleur choix pour l’enfant. Il faut qu’on sorte de ce schème de pensée. Qu’on se dise plutôt que c’est un choix possible, sans doute souhaitable, mais pas nécessairement le meilleur. »

Des enfants ont-ils été maintenus dans des milieux familiaux délétères à cause de cette loi ?

« Sans doute. Je ne peux pas faire la démonstration de cause à effet. Mais regardez les recherches récentes de la chercheuse Sonia Hélie : elle a montré que, souvent, on va placer les enfants dans des milieux de proximité où on a déjà assisté à ce type de dérives des parents envers leurs enfants. De là à penser qu’on peut mettre la sécurité et le développement en cause, il n’y a qu’un pas à faire. »

Je comprends qu’on puisse avoir des dérapages importants quand on est dans un mode de vie toxique et qu’on l’a été depuis la petite enfance. Mais ça ne veut pas dire que parce qu’on le comprend, on doit dire : prenons le risque de confier les enfants à cet environnement-là ! Un enfant, il n’a pas de chance de se reprendre !

Camil Bouchard, psychologue, auteur du rapport Un Québec fou de ses enfants et ex-député du Parti québécois

Il est certain qu’une telle modification à la loi serait vue comme menaçante par les familles touchées.

« Ça ne veut pas dire qu’il faut abandonner tout espoir que des parents, lorsqu’ils ont connu un dérapage important, puissent se rattraper. Oui, c’est menaçant, une loi qui dit qu’on peut confier l’enfant à une autre famille que sa famille biologique. Mais on ne peut pas faire porter le risque de notre échec social aux enfants. »

« C’est une loi d’exception »

Ne craint-il pas de possibles dérives ? « C’est 2 % des enfants qui sont signalés, et là-dessus, ils ne sont pas tous placés ! Je ne vois pas pourquoi il y aurait soudainement une explosion dramatique de ce côté-là. »

Dans son esprit, il est bien évident que les parents vulnérables ont droit au soutien et à des services, mais cela doit venir bien avant l’intervention des services sociaux. « Pourquoi a-t-on, depuis des années, une augmentation des signalements à la DPJ ? Comment se fait-il qu’on ne soit pas capables d’intervenir de façon convaincante auprès des familles et de les aider ? Plutôt que d’essayer de faire en sorte qu’ils se rattrapent une fois que la situation est complètement décomposée ? »

Pour lui, « les droits des parents passent par des services de première ligne impeccables. Par un soutien indéfectible au rôle de parent dans les deux premières années de vie de l’enfant ».

La formulation actuelle de l’article 4 de la Loi sur la protection de la jeunesse

« Toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial. »

La formulation préconisée par Camil Bouchard

« Toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre prioritairement et clairement à assurer le développement et la sécurité de l’enfant. »

Dans les mots d’enfants de la DPJ

La Loi sur la protection de la jeunesse a été modifiée en profondeur en 2007 dans le but de réduire les déplacements des enfants, trop souvent ballottés entre leur famille biologique et divers milieux d’accueil. Des chercheurs ont évalué les effets de ces changements à deux reprises. Pour la dernière mouture de cette étude, publiée en 2015, ils ont interrogé près de 40 jeunes de la direction de la protection de la jeunesse (DPJ) sur leur relation avec leurs parents biologiques et avec leurs familles d’accueil. Voici ce qu’ils ont dit.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La Loi sur la protection de la jeunesse a été modifiée en profondeur en 2007 dans le but de réduire les déplacements des enfants, trop souvent ballottés entre leur famille biologique et divers milieux d’accueil.

Sur les parents biologiques

« Après deux semaines, je m’ennuie de lui. Alors j’aime ça, le voir, quand il n’a pas pris d’alcool. »

« J’aime passer du temps avec ma mère. Des fois, on va parler de la pluie et du beau temps, puis juste comme d’être chez moi avec mon frère, ma sœur, ma mère, c’est correct. »

« Me sentir chez nous, c’est ce que je trouve le plus agréable. »

« Quand je le vois les fins de semaine, je suis contente de le retrouver parce que ma relation n’a jamais été aussi bonne avec lui. Avant, c’était tordu. Je me faisais rentrer dans le mur. »

« J’avais hâte de partir, parce que premièrement, elle n’était pas à jeun, deuxièmement, je n’ai pas aimé ça. Ça a été la dernière. Je ne suis jamais retournée. »

« Si elle allait voir des psychiatres, puis qu’elle allait consulter pour guérir, ça irait très bien. Mais elle veut pas ! »

« Ça a été quelqu’un sur qui je pouvais compter. Des fois, ça avait l’air broche à foin, mais je pouvais lui faire confiance pareil. Je sais qu’après, je vais être capable de compter sur mon père. En tout cas, il va faire son possible. »

« OK, ma mère m’a déjà frappée et tout ça, mais ça n’était pas au point d’en mourir avec des coups de couteau et tout ça. Mais il y en a que c’est vraiment pire. »

« Ma mère, c’est comme une inconnue. Je ne connais rien d’elle et elle ne connaît rien de moi. Jamais je ne vais l’appeler, je n’ai rien à lui dire. »

« Je ne comprends pas pourquoi elle ne se force pas plus pour que ça marche. Là, c’est vraiment un abandon. Elle ne donnait plus de nouvelles à la DPJ. Elle ne fait plus partie de ma vie. »

« Je suis tannée d’être en famille d’accueil parce que je sais qu’à l’autre bout, j’ai un petit frère et une petite sœur qui s’ennuient. »

« Les intervenants sous-estiment la douleur qu’on peut avoir. Ils pensent que ça se règle parce qu’on est placé puis qu’on n’est plus avec notre parent. Ils pensent que ça peut nous aider, ouais, pour certains ça peut aider. Pour d’autres, ça n’aide pas. »

Sur les familles d’accueil

« Je suis capable de parler de tout et de rien avec eux autres, puis on fait des blagues, on rit. L’atmosphère est bonne. »

« Je pense que ce que j’aimerais vraiment, vraiment changer, c’est oui, que je sois avec ma famille d’accueil, mais que ma famille puisse toujours être avec moi. Comme ça, je peux toujours la voir en tout temps. Comme, admettons, on vivrait ma famille d’accueil et ma vraie famille dans la même maison. »

« J’ai appris c’était quoi la signification de famille en venant ici. »

« Depuis que je suis en famille d’accueil, de ne pas me déplacer, de ne pas déménager… comme là, je vais à l’école tous les jours. Je ne m’occupe pas de tout le monde autour de moi. »

« C’est juste qu’ici, ce ne sont pas mes vrais parents. Je ne me sens pas à l’aise comme chez nous. Je ne sais pas, c’est différent. »

« Je suis en famille d’accueil, puis c’est jusqu’à la majorité, ça fait que j’ai pas le choix de rester là. Au moins, je n’habite pas partout. »

« Ce que j’aime, c’est la stabilité. Ici, si je veux, je peux être toute seule, tranquille, dans ma bulle, sans entendre mes parents se chicaner, sans entendre mes petites sœurs crier, pleurer. Ça me fait du bien un peu. »

« Avant, ça n’était pas full stable. Je changeais toujours de famille d’accueil. Il y en avait une qui prenait sa retraite, j’en avais une autre pour six mois. »

« Je n’ai pas eu l’opportunité d’avoir une mère présente, puis elle, elle fait vraiment le rôle d’une vraie mère. »

« Au début, c’est sûr que c’était un peu dur, c’était comme des inconnus. Je m’ennuyais pas mal de mon entourage. Mais là, je me suis habituée. C’est comme recommencer à zéro et tout va bien. »