Alors que les bonbons, chocolats, jujubes et autres friandises au cannabis sont plus facilement accessibles que jamais sur des sites internet du marché noir, les laboratoires qui devront attester de la qualité des produits comestibles légaux, eux, sont devant le vide : aucun protocole officiel ne leur a été fourni par Santé Canada pour mener leurs tests.

À moins de 60 jours de l’arrivée de produits comestibles de cannabis légaux sur le marché canadien, la situation est telle que le directeur du laboratoire Phytochemia, à Saguenay, dit qu’il serait « très mal placé » si ses résultats d’analyse en laboratoire devaient se retrouver devant un tribunal.

« On n’a pas de matériel de référence certifié pour faire les tests. Je ne suis pas prêt à mettre ma tête sur le billot à ce stade pour offrir ce service à mes clients », lance Hubert Marceau, directeur du développement chez Phytochemia.

« Avec les bonbons au cannabis, on sait quoi faire. On va les casser et les dissoudre. Mais pour un muffin ou un biscuit, on fait quoi ? On teste le produit au complet, ou juste la pâte avant la cuisson ? On ne sait pas. C’est flou », dit Maria Carbone, directrice des opérations chez MS Pharma, un laboratoire agréé de Laval.

Les tests de concentration de THC sont particulièrement laborieux pour les jujubes infusés aux THC, affirme l’Association canadienne pour l’accréditation des laboratoires.

Leur nature gommante fait qu’il est particulièrement difficile d’utiliser des solvants efficacement pour faire les tests.

Ken Middlebrook, responsable des essais d’aptitude (proficiency testing) pour l’Association canadienne pour l’accréditation des laboratoires

« Le problème est aussi qu’il n’y a pas qu’une seule sorte de produit comestible », ajoute-t-il. La méthodologie peut être très différente entre un gâteau, un brownie et un bonbon, en fonction de son taux de gras.

Le gouvernement Legault entend interdire par voie réglementaire la vente de gâteaux, bonbons, jujubes, chocolats ou tout autre produit comestible au cannabis potentiellement attrayant pour les enfants. La Société québécoise du cannabis (SQDC) se dit ouverte à vendre des barres granolas ou des muffins au son contenant des extraits de THC, pourvu qu’ils soient destinés à des consommateurs adultes.

Facilement accessibles

Une large gamme de produits comestibles demeure néanmoins très facilement accessible sur l’internet. La Presse a acheté une dizaine de ces friandises infusées au THC d’un site internet du marché noir, que nous avons fait tester en laboratoire.

Le site web, qui n’acceptait que les paiements Interac, a demandé une photo de notre permis de conduire pour vérifier notre âge.

Selon l’étiquette, le paquet est arrivé par Postes Canada en provenance d’un magasin de chapeaux de Vancouver.

Dans tous les cas, les produits testés par le laboratoire Phytochemia affichaient une concentration de THC nettement inférieure à ce qui est annoncé sur l’emballage.

Hubert Marceau y voit deux possibilités : soit les producteurs exagèrent la concentration de leurs produits – ce qui est une pratique courante du marché noir, soit la méthode utilisée par Phytochemia pour tester leur puissance n’est pas bien adaptée.

Bactéries élevées

Trois des produits testés – des chocolats au lait infusés au cannabis, des jujubes en forme de ver de terre et des dragées à la menthe – affichaient un taux anormalement élevé de bactéries.

Selon les lignes directrices du MAPAQ, ils entreraient dans la catégorie médiocre.

Hubert Marceau

« Ça peut suggérer que l’environnement dans lequel ils ont été fabriqués n’est pas très propre », ajoute-t-il.

Quatre des friandises avaient des mentions demandant de garder les produits à l’écart des enfants. L’une d’elles, rappelant la forme et les couleurs des bonbons Nerds, qu’on trouve dans les dépanneurs, n’offre aucun moyen d’évaluer ce qu’est une dose de THC normale.

Dans deux autres cas, l’étiquette est carrément trompeuse : « Ce produit a été testé et approuvé par une établissement Santé Canada », est-il écrit sur l’une d’elles. Dans les faits, aucun produit de cannabis comestible n’est encore autorisé à la commercialisation au Canada, et les laboratoires ne sont pas autorisés à les homologuer.

« Ça ne peut pas être mieux sur le marché noir »

Pour l’Association québécoise de l’industrie du cannabis, la facilité avec laquelle nous avons pu acheter ces produits en ligne sur le marché noir plaide en faveur d’une plus grande ouverture de Québec face aux produits comestibles. Et ce, malgré les difficultés éprouvées lors de nos tests en laboratoire.

« Ce qu’on voit avec les tests en laboratoire, c’est typique d’une industrie en développement, qui est encore en train de faire des bancs d’essai », dit son président Michel Timperio.

« Dans un contexte où il y aurait un organisme de protection des consommateurs, capable de contrôler la qualité, ça ne peut pas être pire que le Far West qu’on voit sur le web, estime-t-il. C’est se mettre la tête dans le sable de penser qu’en interdisant leur vente sur le marché légal, le problème du marché noir va se régler », ajoute M. Timperio. Selon lui, des producteurs dûment autorisés par Santé Canada, comme ceux qu’il représente, sont aussi un gage de meilleure salubrité des installations.

« Actuellement, c’est le “free for all”, lance pour sa part le directeur du laboratoire Phytochemia. Ça ne peut pas s’améliorer si on laisse ça entre les mains des bandits. »