Il y a de ces excuses bien tardives qui laissent un goût amer. Celles de l’École de technologie supérieure (ETS), par exemple, qui, quatre ans après les faits, a finalement offert des excuses publiques à Kimberley Marin, étudiante victime de harcèlement sexuel pendant le rituel d’initiations en 2015.

« Au nom de l’ETS, je veux transmettre mes plus sincères excuses à Mme Marin. Ce malheureux épisode a mis en lumière des manquements de notre organisation à l’égard du traitement des plaintes de harcèlement », a déclaré François Gagnon, directeur général de l’ETS, dans un communiqué, mardi.

Le jour même, on apprenait dans Le Devoir qu’une enquête menée par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse avait conclu que l’ETS avait failli à son obligation d’offrir « un milieu exempt de discrimination et de harcèlement » à Kimberley Marin, alors que l’établissement « connaissait les problèmes liés aux inconduites sexuelles pendant les initiations ».

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L’École de technologie supérieure (ETS) a offert des excuses publiques à Kimberley Marin, étudiante victime de harcèlement sexuel pendant le rituel d’initiations en 2015.

Le 3 septembre 2015, l’étudiante à la maîtrise a vécu une expérience extrêmement humiliante lors d’une activité costumée des nouveaux étudiants à l’ETS sur un thème de musique hawaïenne. Pour l’occasion, elle portait un bikini et une jupe en paille. Pour relever un « défi » stupide qui leur avait été lancé ce jour-là, trois étudiants ont agrippé Kimberley Marin par-derrière et l’ont soulevée pour lui retirer sa jupe. Elle s’est débattue en criant : « Non, lâchez-moi ! » En tirant sur sa jupe, les étudiants ont baissé son bikini jusqu’en bas de ses fesses. Elle s’est retrouvée presque nue devant un groupe d’une centaine de personnes composé d’une majorité d’hommes.

« T’étais habillée en Hawaïenne, tu t’attendais à quoi ? », a dit à Kimberley Marin un représentant de son association étudiante.

Elle a reçu une même fin de non-recevoir de la part du directeur par intérim des Services aux étudiants, qui l’aurait dissuadée de porter plainte en lui disant : « Tsé, il y en a qui se victimisent. »

Démolie, Kimberley Marin a finalement porté plainte auprès du Secrétaire général de l’ETS en avril 2016. Mais bien que la plainte ait été jugée fondée, elle n’a finalement provoqué qu’un haussement d’épaules. Un étudiant trouvé coupable de plagiat peut être expulsé. Mais un étudiant trouvé coupable de harcèlement sexuel ? Bof…

C’est cette indifférence qui a poussé Kimberley Marin, qui a recueilli les confidences de plusieurs autres étudiantes de l’ETS ayant vécu des épisodes semblables, à porter sa cause devant la Commission des droits de la personne. À la suite de l’enquête de la Commission, Kimberley Marin a reçu une indemnisation de 34 500 $ de l’ETS, de son association étudiante et des personnes mises en cause pour discrimination et harcèlement fondés sur le sexe. 

Après quatre ans de démarches humiliantes et ardues pour obtenir justice, l’objectif premier de la cofondatrice du groupe Québec contre les violences sexuelles n’était pas d’obtenir un quelconque gain personnel, mais bien de faire changer les choses. En brisant la culture du silence. En rappelant aux établissements qu’ils ont des responsabilités en matière de lutte contre la violence sexuelle. En rappelant aussi aux femmes qu’elles ont des droits et que cela vaut la peine de porter plainte. Même si, de toute évidence, il reste bien du travail à faire pour mettre fin à la culture du silence et de l’impunité.

« J’aurais bien aimé obtenir des excuses », répétait Kimberley Marin mardi, après que Le Devoir eut publié son histoire en manchette, en précisant que l’ETS avait refusé de lui accorder une entrevue. 

>> Consultez l’article du Devoir publié mardi

Ces excuses que Kimberley Marin attendait depuis quatre ans sont donc finalement arrivées par communiqué mardi, après la médiatisation des conclusions embarrassantes pour l’ETS de la Commission des droits de la personne. Ce qui donne l’impression qu’il s’agissait davantage d’une opération médiatique pour limiter les dégâts que d’excuses « sincères ». Dans un tel cas, le silence institutionnel parle plus que les mots.

Pourquoi ces excuses tardives ? « C’était tout récemment qu’on avait eu une entente à la satisfaction de la plaignante. On parle de jours et non de mois. Je n’osais pas intervenir pendant ce processus », me répond François Gagnon, directeur général de l’ETS depuis quatre mois, en faisant référence à l’entente signée le 3 octobre par la plaignante.

« Là, je me suis exprimé parce que j’étais convaincu que c’était la bonne chose à faire. Très personnellement, je commence un peu à être exposé à ces situations. Je trouve que le harcèlement est inacceptable. »

Si c’était « LA » chose à faire, pourquoi ne pas l’avoir faite d’emblée au lieu d’attendre que ce soit médiatisé ? « Moi, je n’ai pas encore de toute ma vie refusé de faire des excuses. Je n’ai pas non plus refusé d’entrevue », me dit François Gagnon. La directrice des communications de l’ETS invoque quant à elle un mystérieux problème de communication.

Chose certaine, le long silence de l’établissement est bien difficile à justifier. D’autant que ce n’est pas la première fois que ça arrive. En 2016, avant même de porter sa cause devant la Commission des droits de la personne – à défaut de pouvoir obtenir justice autrement –, Kimberley Marin s’était butée au même silence après avoir déposé sa première plainte à l’ETS. L’établissement reconnaissait que sa plainte était fondée, tout en refusant de s’excuser pour sa piètre gestion de la plainte. L’ETS avait alors manqué une belle occasion d’envoyer un message clair.

>> Consultez l’article du Devoir publié le 15 juillet 2016

Bien que l’ETS ait finalement fait des excuses publiques, elle le fait officiellement sans « aucune admission de responsabilité », lit-on dans la décision de la Commission des droits de la personne. Si l’établissement considère qu’il n’est responsable de rien, de quoi s’excuse-t-il alors ? « C’est évident que l’ETS reconnaît ce qui a été énoncé par la Commission. Ce n’est pas pour rien que l’on s’excuse. Il y a eu des manquements. Il y a une part dans laquelle on admet certaines responsabilités », répond François Gagnon, en soulignant que l’ETS, comme d’autres établissements d’enseignement, était mal outillée pour répondre à ce genre de plaintes.

En 2017, l’ETS a mis sur pied un Bureau de prévention et de résolution du harcèlement, qui reçoit une centaine de signalements par année. Une dizaine de cas chaque année donnent lieu à des plaintes formelles. À la suite d’une enquête externe, un employé a été congédié et un étudiant, expulsé.

Le directeur de l’ETS assure que tout est mis en place pour que ce qui est arrivé à Kimberley Marin ne se reproduise plus. « On est tourné vers l’avenir et on fait les changements nécessaires pour que ça n’arrive plus. On n’aurait pas viré à l’envers nos pratiques dans ce domaine-là si on n’avait pas vu qu’il y avait du travail à faire. Mme Marin a fait ces démarches pour que les choses changent dans les établissements. Et je pense qu’elles changent. »

Elles changent très lentement, mais au moins, elles changent, oui. Grâce à la détermination de battantes comme Kimberley Marin.