Le Marché central tel que vous le connaissez est appelé à se transformer de fond en comble. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il s’apprête à prendre un virage vert : nouveaux commerces, nouvelle offre alimentaire, terrasses, stationnements souterrains, pistes cyclables, rues piétonnes.

Îlot de chaleur

Un des éléments déclencheurs de ce gigantesque projet est le déménagement des producteurs maraîchers. Plus important marché de gros de fruits et de légumes dans l’est du Canada, la Place des producteurs migrera au début de 2020 sur le boulevard Pie-IX, dans le quartier Saint-Michel. Depuis 1960, cette association occupe un terrain de 800 000 pieds carrés dans la partie sud-est du Marché central, au coin du boulevard Métropolitain et du boulevard de l’Acadie. Son départ est une occasion en or pour repenser et agrandir le marché, une mer d’asphalte qui constitue le plus gros îlot de chaleur de l’arrondissement d’Ahuntsic-Cartierville.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR ÆDIFICA

Projection d’une vue aérienne du Marché central

Le besoin

L’immense site est détenu par la caisse de retraite bcIMC, qui a racheté, fin 2018, le bail de l’Association des producteurs maraîchers, valide pour encore 35 ans, pour la somme de 30 millions. « Le départ de la Place des producteurs stimule le besoin de redévelopper le marché », confirme Michel Lauzon, président d’Ædifica, firme montréalaise d’architectes, de designers et d’ingénieurs dont les services ont été retenus par la caisse de retraite.

« Momentum »

Le virage projeté par le Marché est en phase avec celui de l’arrondissement, qui réfléchit au redéveloppement du secteur. Un projet d’aménagement axé sur les transports en commun (transit-oriented development, ou TOD), incluant les gares Chabanel et Ahuntsic ainsi que le Marché central, est à l’étude. « Les deux projets ne sont pas liés main dans la main, mais ils arrivent au bon moment, affirme Émilie Thuillier, mairesse de l’arrondissement. Il y a un momentum ; on va dans la même direction, mais pas forcément à la même vitesse. »

Verdissement

L’arrondissement souhaite que le Marché central diminue le nombre de places de stationnement et accélère le verdissement des lieux. Le règlement municipal prévoit que tous les nouveaux stationnements doivent comprendre 20 % d’espaces verts au sol et que la canopée doit couvrir 40 % de la superficie, vue du ciel. « Combien on garde de places de stationnement ? Combien on en enlève ? Combien on en met en souterrain ? On en discute avec le propriétaire, précise la mairesse Thuillier. Dans 20 ans, il n’y aura presque plus personne en auto solo ; on se déplacera en navette électrique ou en voiture autonome. Il faut se demander comment on construit, aujourd’hui, pour 2040. »

ILLUSTRATION FOURNIE PAR ÆDIFICA

Projection des espaces piétons du Marché central

Les piétons

Chose certaine, il n’est pas question d’éliminer les voitures du jour au lendemain. « Est-ce qu’on peut faire un environnement plus végétalisé, moins minéral, qui met l’humain au centre plutôt que la voiture ? demande l’architecte Michel Lauzon, d’Ædifica. Oui, mais il faut rendre ça très fonctionnel pour la voiture. L’idée, quand on met les piétons au centre, ce n’est pas de rendre ça dysfonctionnel pour les autos. On peut transformer l’apparence du stationnement et conserver son aspect fonctionnel pour les autos. C’est une question de design. » Qui plus est, les commerces du Marché central détiennent des baux qui prévoient un nombre déterminé de places de stationnement.

La référence

Déjà vu comme une référence en matière de « power center » au Québec, le Marché central a vieilli même s’il fonctionne encore très bien, commercialement. Il accueille 10 millions de visiteurs par année et compte 60 commerces, dont Costco, MEC, Aldo, Garage, La Vie en Rose, Nike, Puma et Old Navy. « Il a été un des premiers, sinon le premier mégacentre de Montréal », souligne Jean-François Grenier, expert en immobilier commercial chez Altus. « Avant, il y avait de grandes surfaces, comme Club Price ou Home Depot, mais elles étaient sur des sites autonomes, pas dans un centre commercial. »

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Le Marché central accueille 10 millions de visiteurs par année et compte 60 commerces, dont Costco.

Positionnement

Le Marché central, comme n’importe quel centre commercial, doit se renouveler s’il veut conserver son positionnement et attirer de nouveaux acteurs. D’autant plus que le Royalmount va sortir de terre à moins de 10 kilomètres de distance, avec une offre décuplée de boutiques, de restos et de salles de spectacle. Le Centre Rockland, de l’autre côté de l’autoroute 40, a aussi amélioré son offre de services en créant une nouvelle aire de restauration, aérée et lumineuse.

Certification « WELL »

La métamorphose du Marché central sera réalisée en plusieurs phases, échelonnées sur une vingtaine d’années, voire davantage. Le concept sera axé sur le développement durable, le bien-être et les déplacements actifs. L’idée, c’est de faire en sorte que les gens puissent se déplacer plus facilement à pied ou à vélo sur le site. L’offre de restos sera aussi revue et améliorée, et les gens pourront manger ou prendre un verre sur une terrasse l’été. À terme, le marché vise une certification WELL, le premier standard de construction qui se base exclusivement sur la santé et le bien-être des humains. Cette certification, apparue en 2014, fait de plus en plus d’adeptes dans le monde.

L’ADN

Ædifica planche sur ce projet depuis un an. La firme a d’abord cherché à définir l’ADN du lieu avant de concevoir des plans. « Dans l’ancien temps, on faisait un projet, on en parlait au développeur, on trouvait que c’était bien bon. Ensuite, on essayait de convaincre tout le monde que c’était une bonne chose. Nous, on pense que c’est une approche hautement risquée et qu’elle ne va pas chercher l’adhésion des communautés », explique Michel Lauzon. « On est plus dans l’urbanisme participatif », ajoute Samir Admo, directeur du centre d’expertise Milieux de vie & placemaking de la firme.

Le patient

Le défi sera de transformer le site tout en préservant son activité commerciale et sa clientèle, qui vient d’un peu partout : Ahuntsic, Cartierville, Saint-Laurent, Mont-Royal et Saint-Michel. Des quartiers favorisés, d’autres moins. « Souvent, on intervient dans un organisme vivant, illustre le président d’Ædifica. Ce qu’on propose comme approche, c’est comme dans une opération à cœur ouvert. On ne veut pas que le patient meure. Sur le boulevard Saint-Laurent, où on a tout cassé pour élargir les trottoirs, le patient est un peu mort. On veut éviter ça. »