Patrice Roy a géré, comme un king, le débat des chefs de jeudi. Ce fut beaucoup moins cacophonique, et beaucoup plus substantiel, que la version anglaise, présentée en début de semaine. Cela dit, le moment le plus viral de l’événement a tout de même été une mêlée oratoire digne des beaux soirs de 110 %. Avec dans le rôle de Michel Villeneuve, Andrew Scheer, dans celui de Gabriel Grégoire, Yves-François Blanchet, et dans celui de Jean Perron, Maxime Bernier, bien sûr.

Le moment a eu lieu lors d’un affrontement à trois, portant sur la politique étrangère et l’immigration. Le chef du Parti conservateur est en train d’affirmer que s’il y a plusieurs députés bloquistes élus, Justin Trudeau va demeurer premier ministre. On entend Maxime Bernier dire qu’il aimerait prendre la parole là-dessus. Patrice Roy laisse le chef du Bloc québécois se défendre.

On entend, sans le voir, le leader du Parti populaire du Canada passer des commentaires, à plusieurs reprises, pendant que Blanchet s’exprime. Roy accorde le droit de réplique à Scheer. Le conservateur s’adresse à l’ex des Ex : « Vous aimez prétendre que vous êtes le meilleur ami de M. Legault, mais honnêtement, soyez honnête, après l’élection, vous allez travailler pour… » Et c’est là que, comme dirait le reste du Canada, la merde touche le ventilateur. Bernier, n’en pouvant plus, se met à répéter : « Monsieur Scheer, vous n’écoutez pas, Monsieur Scheer, vous n’écoutez pas ! » Tandis que Blanchet répond à M. Scheer, mais le monsieur en question est toujours en train de formuler son opinion. 

Bref, les trois parlent en même temps. On voit un index se dresser dans le cadre. C’est Roy avertissant les débatteurs de parler un à la fois. Ils ne l’écoutent pas.

PHOTO JUSTIN TANG, AGENCE FRANCE-PRESSE

Andrew Scheer, chef du Parti conservateur, et Maxime Bernier, chef du Parti populaire du Canada

Alors le Yvan Ponton de la ligue politique d’improvisation désigne le beau Beauceron : « Monsieur Bernier… » Bernier continue de parler. « Monsieur Bernier… » Bernier cause toujours, pendant que Scheer et Blanchet poursuivent leur prise de bec. « Monsieur Bernier, je coupe le micro… », menace l’animateur. Maxime Bernier s’emballe au maximum. Patrice Roy lui lance un regard de policier l’ayant vu ne pas faire son stop. Rien n’y fait. Roy dit : « Très bien, on coupe les micros. »

On entend encore Blanchet et Scheer parler l’un par-dessus l’autre, mais sur le plan large, on voit les lèvres de Bernier bouger, sans l’entendre. On dirait bien qu’il a le micro coupé. Désespéré, il ouvre les bras, la paume en avant, tel Jésus, pour signifier sa frustration. Scheer et Blanchet continuent leurs envolées synchronisées. Roy doit regretter de ne pas avoir de sifflet comme Ron Fournier, au temps de ses belles années sur les patinoires de la Ligue nationale.

Après avoir sorti Bernier de la bataille générale, le chef d’antenne de Radio-Canada essaie d’extirper le chef du Bloc, en levant le ton : « Monsieur Blanchet… Monsieur Blanchet ! » M. Blanchet comprend enfin son nom. Il se tait un instant. Le public se met à rire. Patrice Roy reprend le contrôle de l’émission et semonce les trois agités : « Voici le meilleur exemple d’une cacophonie, les gens n’ont rien compris, il reste 48 secondes, tant pis pour vous ! »

Bernier saute sur l’occasion : « J’ai 48 secondes… »

Roy ne l’entend pas ainsi : « Vous n’avez pas 48 secondes, vous avez 20 secondes. » Quin toé  !

Bernier, tel un Gallagher se plaignant à l’arbitre : « Je crois que vous avez été inéquitable, là-dessus. » Bien sûr, le numéro 11 du Canadien n’emploie pas le mot inéquitable, mais son synonyme, commençant par f.

Voilà, l’incident est clos. Ce fut le seul moment 110 % de la soirée. Il a duré exactement 30 secondes. Le temps d’une publicité retenue et payée par le Parti conservateur, le Bloc québécois et le Parti populaire du Canada, à la fois.

Pendant toute la durée de cet échange incompréhensible, Elizabeth May, Jagmeet Singh et Justin Trudeau restaient dans le noir, penauds, comme Gigi attendant que Dalida lui donne enfin la parole, parole, parole.

Le moment MasterCard de cet événement, c’est lorsque Patrice Roy, en désespoir de cause, a dit : « On coupe les micros. » Quel pouvoir ! Quel fantasme  ! Un peu plus, on aurait eu droit au nouveau gadget de Vidéotron. Roy disant à sa manette Hélix : « Muter Maxime Bernier ! » Et Maxime Bernier tombant dans le silence. Mais on n’était pas au bon poste pour vivre ça. Le résultat a cependant été le même.

Imaginez si, dans la vie de tous les jours, on était tous des petits Roy. Votre boss vous engueule. On coupe le micro ! Votre conjoint ronfle. On coupe le micro ! Votre bébé pleure. On coupe le micro ! Votre chien aboie. On coupe le micro !

La paix, enfin. La sainte paix. N’entendre que ce qu’on veut entendre. Des mots doux, le vent dans les feuilles, Chopin… Le rêve. Mais nous ne sommes pas Roy. Nous ne sommes que le peuple.

L’autre moment détonnant du débat s’est produit lorsque la verte Elizabeth May a lancé à ses collègues, de plus en plus violets : « Arrêtez de vous chicaner ! » Ça venait du cœur. Et ça traduisait bien la pensée des électeurs canadiens, après trois débats et des semaines de campagne. Vivement le vote. Malheureusement, l’élection ne mettra pas fin à la chicane. Au contraire.

Pourtant, ça ferait tellement de bien si, au matin du 22 octobre, Patrice Roy coupait les six micros, pour un petit bout.

Bonne Action de grâce ! Remercions la Terre d’être encore là. Malgré tout. Malgré nous.