L’annonce d’une demande d’action collective de parents du Québec contre le concepteur du jeu vidéo Fortnite, rapportée dans La Presse hier, a ravi de nombreux parents dont les enfants sont accros au jeu en ligne.

« Quand j’ai entendu la poursuite qui se mettait en branle, ma réaction a été : “Je les comprends !” », explique Patrice Giroux, un père de Montréal.

M. Giroux note que ses deux enfants ont toujours joué aux jeux vidéo de manière responsable – jusqu’à ce que Fortnite arrive dans leur vie.

Rapidement, son garçon de 14 ans est devenu accro au jeu produit par la société américaine Epic Games, qui compte plus de 250 millions d’adeptes dans le monde.

« Il y a des progressions dans les récompenses, ça donne de l’adrénaline, il joue en équipe… Avec la dopamine que ce jeu-là sécrète, on est ailleurs. C’est de la neuropsychologie. »

Pour Jonathan Bonneau, coordonnateur du Laboratoire en médias socionumériques et ludification de l’UQAM, Fortnite est différent des autres jeux addictifs, car il agit comme une porte d’entrée attrayante qui finit par mener à quelque chose de plus « pervers ».

Ça commence avec un jeu gratuit, avec un dessin animé, c’est très attirant. Les parents baissent leurs défenses.

Jonathan Bonneau, de l’UQAM

Rapidement, l’enfant est exposé à beaucoup de publicités, et à des joueurs mieux équipés, car ils font des achats de vêtements et d’armes dans l’application. « On achète un petit chapeau ici, une petite danse là… On dépense 2 ou 3 $ pour avoir l’air de connaître ça, pour ne pas avoir l’air d’un nouveau joueur… Le caractère addictif se développe peu à peu. »

M. Bonneau ne veut toutefois pas démoniser Fortnite. « Parce que le public cible est devenu en si bas âge, c’est devenu un problème. Il faut de l’encadrement, il faut en discuter. Même avec les entreprises : elles ne sont pas fermées à changer leurs manières de faire. Reste que le profit, c’est le profit. »

Un horaire équilibré

Lui-même père de six enfants, M. Bonneau ne limite pas le temps consacré aux jeux vidéo, auxquels il joue parfois, mais s’assure que ses enfants ont un horaire équilibré. « On en discute au souper, on en parle avec eux. On parle de nos quêtes, de nos missions. L’autogestion se fait beaucoup plus facilement, et mes enfants lisent énormément aussi. »

Hier, David Laplante, directeur général de Le Grand Chemin, qui possède des centres de traitement des dépendances et des cyberdépendances chez les adolescents, a déploré l’absence de financement destiné au traitement de la cyberdépendance au Québec.

« À l’instar de Loto-Québec, qui investit dans le jeu responsable et dans le traitement des cas de jeu excessif, l’industrie milliardaire qu’est celle des jeux vidéo ne devrait-elle pas prendre à son tour ses responsabilités et aider à la prévention, à la sensibilisation et au traitement des jeunes et moins jeunes qui développeront une dépendance ? », a-t-il suggéré dans un communiqué.

« Dix fois pire » que Nintendo

Un père de trois enfants d’Ottawa, qui a demandé à témoigner de manière anonyme pour pouvoir parler plus librement des problèmes familiaux liés à Fortnite, note que son garçon de 11 ans s’est mis à refuser de sortir de la maison pour pouvoir se consacrer au jeu, qu’il a découvert il y a un peu moins d’un an.

« Il ne voulait plus venir avec nous. Il voulait qu’on commande un repas et qu’on reste à la maison. Quand on lui disait d’arrêter, il se mettait à crier… »

Tu le vois que c’est maladif. Ça m’a inquiété. Il fallait vraiment qu’il lâche ça.

Un père de trois enfants

Il n’y a pas assez d’avertissements pour que les enfants et les parents comprennent le côté addictif du jeu, dit-il. « Ce n’est pas expliqué. Ça commence de façon innocente, et puis ils ne font que jouer à ça. Ce n’est pas un Nintendo. C’est dix fois pire. »

Ce père a finalement pu changer la donne à la maison. « Avec ma femme, on s’est assis avec les enfants, et on a tracé des limites. La semaine, il n’y a plus de jeux vidéo. Quand mon garçon revient de l’école, il lit son livre. Il peut jouer au jeu vidéo la fin de semaine, et on met des limites de temps. C’est possible d’y arriver. »

Patrice Giroux, lui, essaie d’encadrer le temps consacré à Fortnite, avec un succès mitigé. « Ça déborde souvent. Il faut vraiment jouer à la police, et on déteste ça. Il faut le faire à répétition. Le message ne passe pas. »

Il se dit heureux de voir que son fils a d’autres intérêts. « Il fait du skate, il fait du sport, il faut qu’il bouge… Mais s’il n’avait pas ces intérêts-là, on serait mal pris. »

Qui est derrière Fortnite ?

La première version du jeu Fortnite a été lancée en 2017 par l’entreprise américaine Epic Games. Tim Sweeney, le fondateur et PDG d’Epic Games, vient de faire son entrée sur la liste Forbes 400, avec une valeur nette personnelle évaluée à 4,5 milliards de dollars américains.