Devant la lenteur du gouvernement Trudeau à corriger les problèmes liés au système de paie Phénix, des fonctionnaires se sont résignés à écrire au père Noël pour l’implorer de leur donner un nouveau système de paie en guise de cadeau.

« J’ai été très sage cette année, mais j’ai de gros problèmes avec mon système de paie. J’aimerais beaucoup en avoir un nouveau pour Noël. Si je reçois mes paies correctement en décembre, je vais pouvoir t’acheter des biscuits et un verre de lait. Je te remercie d’avance ! », peut-on lire dans une lettre adressée au père Noël et qui a aussi été envoyée à la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, Carla Qualtrough.

Cette missive, datée de novembre 2017, fait partie des milliers de lettres qui ont été expédiées au bureau de Mme Qualtrough ou à son ministère de la part d’employés de la fonction publique au cours des trois dernières années relativement aux ratés du système de paie Phénix. La Presse a récemment obtenu quelque 3000 pages de lettres grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

Le système de paie Phénix a été introduit en février 2016. Il devait permettre des économies annuelles de 70 millions de dollars qui ne se sont jamais matérialisées. Il devra être remplacé parce qu’il ne peut être utilisé correctement pour une fonction publique comptant une centaine de conventions collectives différentes et quelque 80 000 règles de rémunération. Jusqu’ici, le gouvernement fédéral a englouti 1,17 milliard de dollars pour tenter de corriger un système de paie qui a nécessité des investissements de 309 millions de dollars au départ.

« Je n’étais pas au courant que des gens avaient décidé d’écrire au père Noël, a affirmé hier Magali Picard, vice-présidente nationale exécutive de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC). Cela me met à l’envers. Cela en dit long. »

Les gens sont en détresse. Cela fait plus de trois ans que l’on se bat avec l’employeur pour que les employés soient payés correctement. Cela dépasse l’entendement.

Magali Picard, vice-présidente nationale exécutive de l’AFPC

« La situation ne va pas bien du tout »

Quelque 270 000 fonctionnaires ont été directement touchés par les déboires de Phénix. Plusieurs d’entre eux ont subi des pertes financières. Des employés n’ont pas été payés pendant plusieurs mois. D’autres ont reçu des paiements en trop qu’ils ont dû rembourser, tandis que d’autres encore n’ont obtenu qu’une partie de leur rémunération.

« En juin, il y avait 230 000 cas non résolus. En août, il y avait encore 228 000 cas. Ça n’évolue pas rapidement. On parle de 2000 cas en trois mois qui ont été résolus. La situation ne va pas bien du tout. De toute évidence, les stratégies qui ont été adoptées pour corriger les problématiques liées à Phénix fonctionnent à très, très bas régime », a ajouté Mme Picard.

Selon des documents obtenus par La Presse, les divers ministères et organismes fédéraux devaient environ 130 millions de dollars en salaires non payés à leurs employés en date du 6 septembre. En contrepartie, le gouvernement fédéral a effectué des trop-payés de 418 millions de dollars. Un employé a même reçu une somme en trop de 468 000 $, selon nos documents.

« Il n’y a pas un fonctionnaire de l’État, depuis le 28 février 2016, qui, à chaque paie, ne se demande pas s’il va avoir sa paie ou pas, s’il va être capable de payer son hypothèque, le collège des enfants. C’est comme cela depuis près de quatre ans. C’est un stress épouvantable. Il y a des fonctionnaires qui se sont enlevé la vie à cause de Phénix. Ce sont des histoires d’horreur », a ajouté Mme Picard.

Détresse

Les lettres obtenues par La Presse illustrent la détresse des fonctionnaires qui ont été touchés par des erreurs dans leur paie.

« Vous comprendrez qu’actuellement, ma famille et moi vivons beaucoup de stress relativement à notre situation financière », a écrit une fonctionnaire en février 2018. Cette employée fédérale avait accepté un transfert de Service correctionnel Canada au ministère des Anciens Combattants et elle a été privée de salaire pendant deux mois en 2017.

« Nous vivons présentement à crédit, et ce depuis mon entrée en poste […]. C’est pourquoi je m’adresse à vous aujourd’hui, car je suis désespérée », ajoute cette fonctionnaire dont les problèmes de paie se sont échelonnés sur plusieurs mois.

Je souhaite pouvoir mettre mes énergies là où elles devraient être, mais nous avons contracté des engagements financiers en lien avec nos salaires.

Extrait d’une lettre écrite par une fonctionnaire en février 2018

En juillet 2018, le ministre du Travail de la Nouvelle-Écosse, Labi Kousoulis, a décidé d’écrire à la ministre Qualtrough après avoir reçu plusieurs plaintes de fonctionnaires fédéraux de sa province qui ont été touchés par les ratés du système de paie.

« Je reconnais que c’est un dossier fédéral. Toutefois, en tant que ministre du Travail et des Études supérieures de la Nouvelle-Écosse, je dois exprimer mes préoccupations sérieuses au sujet de l’impact négatif que le dossier du système de paie fédéral continue d’avoir sur les travailleurs de la Nouvelle-Écosse et leurs familles. Bien que le gouvernement fédéral se soit engagé à régler ce dossier, la solution tarde à venir. Nous ne tolérerions pas une telle situation s’il s’agissait d’une entreprise de la Nouvelle-Écosse, et cela ne devrait pas être toléré par le gouvernement fédéral », a-t-il affirmé dans sa lettre.

Le gouvernement fédéral a proposé de dédommager les fonctionnaires en leur offrant l’équivalent de cinq jours de congé pour les torts subis. L’AFPC juge cette offre totalement inacceptable.

« C’est vraiment indécent, cette proposition. Si vous travaillez pour l’État et que vous gagnez 50 000 $ par année, on vous offre l’équivalent d’une semaine de vacances. Si vous gagnez 100 000 $ par année, on vous offre aussi une semaine. Si ces deux personnes se voient payer le dédommagement, l’un va avoir le double de l’autre pour exactement la même situation. Le gouvernement libéral doit être plus généreux pour corriger ce fiasco qui a été mis en place par les conservateurs », a dit Mme Picard.

— Avec la collaboration de William Leclerc, La Presse