Le 6 janvier, en raison des travaux de construction du REM, les 15 000 usagers du train de Deux-Montagnes ne pourront plus se rendre au centre-ville… avant 2023. Des mesures de remplacement ont été annoncées, mais des utilisateurs les jugent insuffisantes. 

« C’est presque mission impossible »

Quand il prend le train de banlieue pour se rendre à Montréal, le maire de Deux-Montagnes, Denis Martin, ne peut pas être plus proche de ce qui trouble le plus le quotidien de ses citoyens depuis des mois. Il roule dedans. Le 6 janvier prochain, au retour du long congé des Fêtes, le train de Deux-Montagnes et ses 15 000 usagers matinaux en partance pour Montréal n’auront plus d’accès au centre-ville en raison de la fermeture du tunnel ferroviaire sous le mont Royal.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le 6 janvier prochain, les 15 000 usagers matinaux du train de Deux-Montagnes devront utiliser de nouveaux itinéraires pour se rendre au centre-ville de Montréal. 

Pour les quatre prochaines années, soit jusqu’à la fin de 2023, les déplacements d’environ 18 000 usagers des trains de banlieue reposeront sur un vaste ensemble de mesures établies tardivement, en seulement quelques mois, afin d’offrir à ces milliers de naufragés du tunnel de nouveaux itinéraires entre les gares du nord de Montréal, où ils devront descendre de leur train, et le centre-ville.

Les mesures annoncées le 9 septembre dernier pour compenser la fermeture du tunnel, nécessaire pour l’implantation du futur Réseau express métropolitain (REM) de la Caisse de dépôt et placement du Québec, ont déçu les citoyens, estime le maire Martin, qui ne cherche même pas à cacher ses inquiétudes quant à ce qui se passera à partir du 6 janvier.

Avec des temps de déplacement deux fois plus longs que le trajet actuel en train et des correspondances obligées entre plusieurs réseaux de transports collectifs (train + bus + métro), « on est vraiment dans l’inconnu », a-t-il dit en entrevue avec La Presse.

On a fait des progrès avec la création de la navette 404 [qui va offrir un lien direct sans correspondance entre Deux-Montagnes et le centre-ville, en dehors des périodes de pointe et les fins de semaine]. Mais quand on regarde ça, c’est presque mission impossible.

Denis Martin

« J’ai beaucoup défendu le projet du REM, affirme le maire, parce qu’au départ en 2016, on m’a assuré qu’il y aurait seulement un an de travaux sur la ligne Deux-Montagnes [pour la convertir en une antenne du REM]. Mais là, ce n’est plus un an, c’est quatre ans. Quatre ans sans service de train, et avec la congestion routière de la banlieue nord, ça, c’est inquiétant. »

Moratoire

« Il y a des gens qui sont désespérés à Deux-Montagnes, à Laval et dans l’Ouest-de-l’Île à l’idée de devoir passer trois heures par jour [aller-retour], à sauter d’un réseau de transport à un autre, juste pour aller travailler et rentrer chez eux en fin de journée », dit pour sa part Robert Giguère, un des instigateurs d’un « Rassemblement de la dernière chance » qui réunira demain soir, à Deux-Montagnes, des usagers frustrés d’être « sacrifiés sur l’autel du REM ».

Malgré son surnom un peu définitif, le rassemblement n’est ni un baroud d’honneur ni un requiem pour nostalgiques d’un vénérable train de banlieue en train de mourir à petit feu après un siècle de service, dit son coorganisateur, et habitué du train, Stefan Bracher.

« Nous allons demander à Québec de décréter un moratoire sur les travaux qui affectent le train de Deux-Montagnes, et ce, jusqu’à ce qu’on ait trouvé et mis en œuvre une solution de remplacement satisfaisante pour les usagers. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Stefan Bracher est l’un des instigateurs du « Rassemblement de la dernière chance » qui réunira demain soir, à Deux-Montagnes, des usagers frustrés d’être « sacrifiés sur l’autel du REM ».

J’ai passé un an au comité de vigilance avec le réseau exo [responsable des trains de banlieue], la Caisse de dépôt et les municipalités, et il y a plein d’idées qui ont été formulées, sans qu’on y donne jamais suite.

Stefan Bracher

Les autres chantiers le long du futur réseau de train électrique de 67 kilomètres, financé au coût de 6,3 milliards, pourront se poursuivre malgré le moratoire, durant lequel M. Bracher souhaite « une réorganisation de l’échéancier en fonction du public usager ».

La filiale de la Caisse de dépôt et placement CDPQ Infra pourrait-elle revenir à son premier scénario qui prévoyait une mise en service partielle du REM dès 2021 pour les usagers de la banlieue nord ?

Pourquoi les trains de Deux-Montagnes ne pourraient-ils pas contourner le mont Royal sur les rails du CN pour se rendre jusqu’à la gare Centrale, au centre-ville, comme vont le faire les trains de la ligne de Mascouche, à partir de l’été 2020 ?

Avec la fermeture du tunnel du mont Royal, à un an d’avis, et le démantèlement définitif de ce qui restera de la ligne de Deux-Montagnes à l’été 2021, « on devrait se demander si c’est le calendrier du REM ou le bien-être des résidants et des usagers du transport collectif qui doit passer en premier », conclut Robert Giguère.

La « vraie vie »

Résidante de Deux-Montagnes, usagère quotidienne du train de banlieue et dirigeante d’entreprise au centre-ville, Nancy Rancourt vit le problème de la fermeture du tunnel du mont Royal en double. D’abord, en tant qu’utilisatrice, elle sera privée au moins jusqu’à la fin de 2023 de son moyen de transport quotidien. Ensuite, en tant que gestionnaire, la fin des services de train jusqu’au centre-ville va obliger l’entreprise à encourager le télétravail, à adapter ses horaires de travail ou à revoir ses processus internes, tellement les problèmes de transport touchent les employés et le fonctionnement quotidien du bureau.

« On est une toute petite entreprise et on songe pourtant à ouvrir un bureau satellite en banlieue nord, ajoute-t-elle. Ce n’est pas un petit impact temporaire : juste sur la ligne Deux-Montagnes, c’est 30 000 usagers [aller-retour] par jour qui vont être privés de leur moyen de déplacement quotidien pendant un minimum de deux ans, et on nous présente ça comme un sacrifice temporaire pour une bonne cause. »

Je ne sens pas beaucoup d’empathie pour les usagers dans les commentaires de la CDPQ ou du ministère des Transports.

Nancy Rancourt

Après la fermeture du tunnel, en janvier, elle n’a pas l’intention d’utiliser les mesures qui seront mises en place pour se déplacer jusqu’au centre-ville.

« Ce n’est pas vrai que je vais mettre une heure et demie chaque matin pour venir travailler. Et ça, c’est un scénario optimiste, parce qu’ils pensent qu’ils vont vider un train de 1000 personnes dans des autobus en seulement 15 minutes, à la station Bois-Franc, et que les autobus vont descendre directement à la station de métro Côte-Vertu. »

« Le ministère des Transports dit qu’ils ont fait des simulations, que c’est possible, ajoute Mme Rancourt. Mais le 6 janvier 2020, ça va être la vraie vie, on va être en plein hiver, au retour des Fêtes. S’il fait - 30 degrés, ou qu’il neige à plein ciel, j’ai hâte de voir comment ça va fonctionner, le réseau transitoire. »

Les étapes à venir

Janvier 2020

Fermeture du tunnel sous le mont Royal aux trains de banlieue. Le train de Deux-Montagnes s’arrêtera à la gare Bois-Franc. Le train de banlieue de Mascouche s’arrêtera pour sa part à la gare Ahuntsic

Milieu de 2021

Fermeture complète du dernier tronçon de la ligne, de Deux-Montagnes à la gare Bois-Franc.

2022

Ouverture du tronçon central du Réseau express métropolitain (REM) à partir de la station Du Ruisseau jusqu’au centre-ville de Montréal, en passant par le tunnel du mont Royal, transformé pour les besoins du REM.

Fin 2023

Ouverture complète de l’antenne du REM jusqu’à Deux-Montagnes.

Source : Mobilité Montréal

Un timide mea culpa de la Caisse de dépôt

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La Caisse de dépôt et placement est responsable du développement du REM, un projet de train électrique de 67 kilomètres, dont le coût est estimé à 6,3 milliards.

L’organisme de promotion des transports collectifs Trajectoire Québec estime que les mesures qui seront mises en place pour compenser la fermeture du tunnel du mont Royal aux trains de banlieue, en janvier prochain, arrivent beaucoup trop tard pour permettre aux citoyens de faire des choix importants en fonction de leur mode de déplacement.

« On annonce des mesures semblables à minuit moins une, alors que c’est un projet de grande envergure qui touche directement la clientèle de deux trains de banlieue, dont celui qui est le plus achalandé de tout le réseau », déplore Gabrielle Guimond, responsable du dossier de Deux-Montagnes pour Trajectoire Québec.

Selon Mme Guimond, la fermeture du tunnel pour la construction du Réseau express métropolitain (REM), en janvier 2020, arrivera à un moment de l’année où de nombreuses familles et personnes viennent déjà de choisir un emploi, un cégep ou une université en tenant compte des options de déplacement qui seront offertes.

La Caisse de dépôt et placement s’est avancée pas mal au début du projet en disant que le train de Deux-Montagnes ne fermerait pas [en raison de l’implantation du REM].

Gabrielle Guimond

« Les gens s’en souviennent, ils sont extrêmement déçus de la tournure des événements, et je pense que ça contribue à alimenter une certaine grogne contre le REM chez les passagers du train de Deux-Montagnes », souligne Mme Guimond. 

Mea culpa

« On a déjà fait notre mea culpa publiquement à ce sujet », dit Harout Chitilian, directeur exécutif, Affaires corporatives et développement, à CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement responsable du développement du REM, un projet de train électrique de 67 kilomètres, dont le coût est estimé à 6,3 milliards.

Ce qu’on a dit, et qu’on assume pleinement, c’est que oui, en toute transparence, on a évoqué à l’époque de l’examen du projet par le BAPE [automne 2016] que tout allait être fait pour choisir les méthodes de construction et limiter les impacts sur les services de la ligne de Deux-Montagnes, tout en modernisant autant la ligne que le tunnel.

Harout Chitilian

C’est au cours de ces mêmes audiences publiques que CDPQ Infra a été submergée de demandes venant de tous les horizons de la métropole pour améliorer la connectivité du REM avec le métro, en ajoutant à son projet original la construction des stations souterraines McGill et Édouard-Montpetit, dans le tunnel du mont Royal.

Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), rappelle-t-il par ailleurs, en avait fait une recommandation importante de son rapport en janvier 2017.

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Harout Chitilian, directeur exécutif, Affaires corporatives et développement, à CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt et placement responsable du développement du REM

« Nous avons donc intégré ces stations au projet, dit le directeur exécutif, ce qui en a évidemment modifié la portée. Nous avons dû refaire nos devis quand nous avons sollicité le marché, et lorsque les propositions nous sont revenues, on s’est rendu compte qu’elles étaient différentes de ce qu’on avait évoqué en 2016. Les méthodes de construction retenues nous forçaient à fermer complètement le tunnel en janvier 2020, et on a avisé les autorités de cette fermeture nécessaire. »

C’était en avril 2018. Dans les mois qui ont suivi, il ne s’est virtuellement rien passé.

Temps perdu

Selon M. Chitilian, c’est à la même période que les premiers travaux apparaissaient en bordure de la voie ferrée et qu’on a procédé aux premières coupes de service sur la ligne de Deux-Montagnes. Un exercice qui a accaparé à la fois CDPQ Infra et les sociétés de transport responsables des services pendant des mois. Puis, il y a eu les élections provinciales d’octobre 2018, qui ont porté au pouvoir un nouveau gouvernement…

« Nous nous sommes tout de même assurés que l’information ne tombe pas dans les oubliettes », assure M. Chitilian, en ajoutant que des rencontres de travail « au plus haut niveau » du ministère des Transports du Québec ont été organisées dès la formation du gouvernement Legault. C’est lors de ces rencontres « que tout le monde s’est dit que [la planification de ces mesures de mitigation] devait être la priorité des priorités ».

À l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), qui responsable des services de transport collectif dans l’ensemble de la région de Montréal, on assure qu’on n’a « rien laissé sur la table » pour offrir les meilleures solutions de rechange possible aux usagers des trains de banlieue de Mascouche et de Deux-Montagnes.

Dans le contexte où le transport collectif métropolitain va être momentanément privé de la diagonale la plus compétitive en direction du centre-ville de Montréal, tout ce qui était possible a été analysé et revisité.

Simon Charbonneau, porte-parole de l’ARMT, dans un courriel à La Presse

« Il n’y a pas de solution magique à cette situation complexe, poursuit-il. Aucun effort n’a été ménagé pour offrir les options de transport les plus rapides et avec le moins de correspondances possible, tout en étant compétitif à la voiture. »

Gabrielle Guimond, de Trajectoire Québec, n’est démord tout de même pas. « Si on avait bougé plus rapidement, le contournement du mont Royal pour la ligne de train de Mascouche, qui est une excellente mesure pour les usagers, aurait pu être en place dès le mois de janvier, quand le tunnel va fermer, plutôt qu’au printemps prochain.

« À cause de ce décalage, conclut-elle, on va perdre des gens. »

Qu’est-ce que le réseau transitoire ?

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Nouveaux circuits d’autobus, navettes express à destination de stations de métro, de nombreuses mesures ont été pensées pour tenter de faciliter la vie des usagers de la ligne de Deux-Montagnes lorsqu’elle sera fermée définitivement en janvier. 

Navette ferroviaire gratuite en partance de la gare de Deux-Montagnes, bonification de services de nombreux circuits d’autobus à Montréal, Laval et dans la couronne nord, création de navettes express à destination des stations de métro Côte-Vertu et Radisson : voici quelques-unes des mesures qui doivent faciliter la vie des usagers des lignes de Deux-Montagnes et de Mascouche. Faits saillants. 

Ligne de Deux-Montagnes

Sur la ligne de Deux-Montagnes, les mesures transitoires reposeront jusqu’en 2021 sur plusieurs nouvelles navettes et « Trainbus » et sur… le train de Deux-Montagnes. Transformé en « navette ferroviaire » avec départ toutes les 30 minutes sur un tracé raccourci à sept arrêts seulement, le train déplacera des milliers de voyageurs jusqu’à la gare Bois-Franc. Une caravane d’autobus les y attendra – la navette 964 – pour les mener jusqu’à la station de métro Côte-Vertu, en passant par une voie réservée dans la rue Grenet.

Une nouvelle navette directe (404) entre Deux-Montagnes et le centre-ville de Montréal sera aussi mise en service, en dehors des périodes de pointe et les fins de semaine. Le réseau prévoit des mesures spécifiques à cinq secteurs distincts de la ligne de Deux-Montagnes.

Consultez les mesures proposées

Ligne de Mascouche

À partir de 2020, le train de Mascouche se rendra jusqu’au centre-ville en contournant le mont Royal sur le réseau du CN, au lieu de passer en dessous, par le tunnel. Ce parcours allongera le temps de déplacement vers la gare Centrale d’environ 40 minutes pour les usagers du train de Mascouche. Sa mise en place exigera des travaux d’infrastructures estimés à 30 millions.

Cette solution, la plus importante sur la ligne de Mascouche, ne sera toutefois pas prête au moment de l’arrêt de service vers le centre-ville, le 6 janvier 2020. Des sources affirment à La Presse que le train de banlieue pourrait commencer à faire le tour de la montage en juin 2020.

Dans l’intervalle, des services bonifiés de navettes express rabattront les orphelins du tunnel vers la station de métro Radisson, principalement, sur la ligne verte du métro, dans l’est de la métropole.

Consultez les mesures proposées

En chiffres 

Coût de l’ensemble des mesures : 192 millions

Ministère des Transports du Québec : 168 millions (87,5 %)

Bureau de projet du REM-CDPQ Infra : 24 millions (12,5 %)